
» Alors écrire . Pour la faire démourir un peu. Faire vivre son souvenir, lui parler comme si elle était encore là. Renouer avec elle, la redécouvrir, nous redécouvrir, lui pardonner, l’aimer de nouveau. Ecrire pour faire le point. Ordonner les évènements. Retrouver les sentiments. Et puis écrire pour créer. Une pulsion de vie opposée à une pulsion de mort. » (P. 12-3)
Une mère de famille se jette sous un TGV. Suicide banal diront certains…ça arrive tous les jours. mais l’auteur est le fils de cette désespérée, un fils qui, comme le dit la quatrième de couverture « apprend à lui pardonner cet abandon ».
L’éditrice me proposa cette découverte.
Une proposition toujours difficile à accepter…pourrais dire et comment que je n’ai pas aimé, que je n’ai pas apprécié…si, par hasard, c’est le cas?
Impossible pour moi d’être complaisant, ce ne serait pas honnête ! Le sujet allait-il d’autre part rallumer des cendres bien tièdes, presque froides, avec le temps, des cendres de relations familiales, personnelles ?
Et c’est ce dernier point, ces dernières cendres tièdes, presque froides qui me firent accepter cette proposition….Voir comment un auteur peut traiter ce mal-être qui est le sien,…voir comment personnellement je peux me retrouver, en partie, dans cette lecture.
En abordant ce sujet personnel, l’auteur, certes aborde les causes, nombreuses qui au fil du temps, poussèrent sa mère sous ce train, les relations familiales, les non-dit, cette poussière qu’on croyait perdue parce qu’elle avait été laissée sous les lits…les relations avec son père, les relations père-mère…..relations qui toutes démolirent progressivement cette femme. Et en analysant tout ceci, c’est également une analyse personnelle que l’auteur entreprend.
Dérangeant ! rien n’est inventé, tout est vrai, tout est analysé sans complaisance, tous ces petits coups de pelle légers qui progressivement creusèrent ce trou. Il tente de les comprendre, de les mettre en perspective, de démontrer l’impossibilité d’accompagner cette mère, l’amour impossible de cette mère, les aléas familiaux…bref, toutes ces petites choses qui sapent petit à petit la moral…et qui petit à petit disloquent une famille. Et qui l’ont également perturbé, comme tous les autres membres de la famille.
Cette analyse devient une analyse psychologique, psychiatrique presque, du comportement de chacun, des relations familiales…qui devient également une analyse de son comportement de fils, de ses actes, du comportement et des actes de chacun des membres de la famille.
C’est un texte dérangeant, qui peut faire remonter certains aspects personnels d’une vie, des points qu’on croyait à jamais enfouis…ce n’est plus du roman!
D’autres que moi peuvent être dérangés, remués.
C’est ce qui fait, selon moi, une lecture enrichissante!
Editions Le chant des voyelles – 2023 – 115 pages
Lien vers la présentation de Raphaël Cuvier
Quelques lignes
- « Ma mémoire était très indulgente envers moi-même. Au moins autant qu’elle était dure avec elle. » (P. 14)
- « J’accordais beaucoup d’importance aux petits dysfonctionnements qui ne pouvaient que découler de sa maladie, quand ils n’étaient au final que de simples révélateurs d’une certaine normalité. Quel foyer peut se dire sans tache? La norme n’est pas la perfection. Il m’a fallu le comprendre. » (P. 14)
- « Je me relis et je constate que je n’arrive pas à suivre moi-même le conseil que je donne à mes élèves de ne pas mélanger les temps du passé et le présent lorsqu’ils écrivent. Mon récit saute de l’un à l’autre, sans justification apparente. » (P. 30)
- Pourquoi écrire? Fixer une réalité, la reconstruire…La mettre au jour? M’en détacher. M’en libérer. Enfin mettre a distance tout ce que je ressasse et qui ne me quitte pas, pour ne plus avoir à penser, repenser à toutes ces scènes de peur de les oublier. Les déposer. les savoir consignées, conservées, archivées et ne plus avoir à les entretenir. Créer? Reconstituer? Ecrire et les fixer pour ne plus en être le gardien. délivré. » (P. 39)
-
« Daddy était violent avec elle quand elle était petite? C’était quelqu’un de dur, manipulateur, méchant. Capable de se montrer en public sous son meilleur jour. Odieux en privé. Elle n’a rien dit de sa mère, dont la violence était plus psychologique. Elle en a reparlé régulièrement après ça. C’était toujours les mêmes anecdotes qui revenaient, parce quelles la rongeaient, parce qu’elle ne parvenait pas à mettre tout ça à distance. » (P. 58)
- « C’est là que ma mère a été hospitalisée la troisième fois; C’est là que j’ai véritablement été confronté à la maladie de ma mère. Il ne m’était plus possible de garder sa folie à distance. De ne pas prendre conscience de son état. Nommer les choses. Ma mère était maniaco-dépressive. Psychotique. Folle. » (P. 99)
- « Quand mes enfants, tes petits-enfants, me parlent de toi et que se pose la question de leur parler de ton choix, de ton non-choix : quels mots pour leur dire la vérité trop dure à entendre, inintelligible à leur âge, que je ne peux pas leur cacher car je sais le poids des non-dits? Alors, ces mots qui ne disent pas tout mais qui en disent assez. Tu étais trop triste. Tu ne savais plus vivre. » (Dernière phrase du livre)

