
« Tous les bateaux-usine étaient délabrés. Pour un patron dans son bureau de Tôkyô, qu’est-ce que la mort de quelques travailleurs en mer d’Okhotsk? Quand le capitalisme ne peut plus se satisfaire des seuls revenus ordinaires, pour peu que les taux d’intérêt baissent et que les liquidités affluent, il se lance dans une folle course en avant. » (P. 36)
Depuis bien des mois ce livre me tendait ses pages, posé comme bien d’autres, sur ma table de travail…une recherche sur le net, m’avait suggéré cette lecture….commandée à une autre lecteur. Mes flâneries au hasard des rayons de la Médiathèque ou des libraires, m’avaient proposé d’autres lectures…Je ne dois pas être le seul dans cette situation…à trouver toujours d’autres occasions de lectures, à emprunter des livres et malgré tout à acheter des livres…une liste de livres à lire qui s’allonge avec le temps !
Une lecture qui m’a plongé dans le ventre puant d’un bateau poubelle, qui part sur des mers peu fréquentées par les auteurs, celles des mers froides, continuellement en tempête entre Japon et Urss.
Là des hommes qui n’ont plus rien à perdre s’embarquent pour aller à la pêche aux crabes…mets de luxe puisque mis sur nos tables de fête de fin d’année…
« Comme on a déjà du vous le dire, vous êtes embarqués sur ce bateau-usine pour des raisons qui dépassent de loin les profits d’une entreprise donnée, n’est-ce pas, c’est une affaire de la plus haute importance pour les relations internationales. Il s’agit de montrer qui est le plus fort : le peuple du Grand Empire nippon, ou les Russkofs. C’est un duel entre eux et nous. » (P. 21)
Les pires bateaux embarquent ces marins pour cette campagne de tempêtes, de froid, de glace. On y retrouve pêle-mêle des étudiants, des repris de justice, ou des rebuts de la société, qui dès que le bateau aura pris le large comprendront la dure loi imposée par la nature et les armateurs, ces capitalistes nippons sans aucune considération pour l’équipage…tout homme mort accidentellement sera mis dans une sac pourri et jeté en mer.
Les coups pleuvent, le froid et la faim font partie du voyage, la peur aussi quand les hommes embarquent sur des chaloupes pour récupérer les crabes pris dans les filets. Certains n’en reviendront pas…les crabes auront l’éternité pour savourer leur revanche !
Quant à toi lecteur, tu savoureras, tu dois t’en souvenir, un crabe nourri peut-être grâce à un marin mort en mer !
Coups, saleté, promiscuité, bruits incessants, odeurs acres et sales font partie du voyage dans cette usine non soumise aux contrôles d’hygiene ou des conditions de travail…concept inconnu…. seul compte le profit.
« Leur but, leur vrai but, c’est de nous faire turbiner, de nous pomper la sueur, de nous pressurer, mais alors jusqu’à la moelle, pour obtenir des résultats faramineux. Et c’est ça qui nous arrive en ce moment précis, chaque jour. » (P. 138)
Il peut arriver que les hommes se mutinent, refusent ces conditions inhumaines, refusent ce danger…tant pis pour eux…les armateurs ont réponse à tout et ont depuis bien longtemps prévu cet aléa !
Tout ceci se passait en 1929…sur fond de guerre et de tensions politiques et militaires entre Japon et Russie. ….informations historiques passionnantes…
Qui sait…..? N’y a t’il pas aujourd’hui des points de cet ouvrage qui peuvent se retrouver, ici ou là, dans les conditions de travail, dans les pressions exercées dans certains cas sur des intérimaires, voire d’autres…?
Un texte courageux, écrit par cet auteur communiste, qui mourra sous la torture.
Promis, juré…je ne mangerai plus ce crabe des repas de fêtes avec le même appétit!
« Que tout ceci soit lu comme une page de «l’histoire de l’invasion coloniale par le capitalisme » (Dernière phrase du livre)
Un livre à découvrir…
Editions Allia – 2015 – 159 pages
Lien vers la présentation de Kobayashi Takiji
Quelques lignes
« Le sol était jonché d’immondices : épluchures de pommes et de bananes, souliers de toile, sandales, biscuits avec des grains de riz collés dessus. C’était comme si un égout s’était déversé là. » (P. 20)
« Une lampe saillait de la paroi comme un gros abcès. Á chaque roulis elle éclairait soudainement plus fortement, ou plus faiblement. On entendait derrière la porte de métal des coups obstinés des vagues contre la coque du navire, et le sifflement lugubre de la sirène de détresse parfois entraîné au loin par le vent, puis revenant juste au dessus de leur têtes. » (P. 35)
« Là-bas, comme dans les colonies de Taïwan et de Corée, ils trouvaient une main d’oeuvre corvéable à merci, sachant très pertinemment que nul n’élèverait la voix. Les terrassiers qui travaillaient sur les chantiers de construction des routes et des voies de chemin de fer étaient battus à mort, avec plus de mépris que les poux qu’on écrase. » (P. 75)
« Ils disent qu’il faudra bien que toute cette zone du Kamtchatka et du nord de Karufuto soit rattachée au Japon tôt ou tard, parce qu’il n’y a qu’à tendre la main pour faire des profits, ici. Ils ont l’air de penser que c’est une zone aussi stratégique que la Chine et la Mandchourie. » (P. 112)
« On raconte que le seigneur de guerre Môri Motonari (1497-1571) avait appelé ses trois fils à son chevet, et leur avait demandé de briser une flèche, ce que chacun fit sans difficulté. il demande alors de briser trois flèches liées ensemble, ce qu’aucun fils ne put faire. » (P. 129)
« Leur but, leur vrai but, c’est de nous faire turbiner, de nous pomper la sueur, de nous pressurer, mais alors jusqu’à la moelle, pour obtenir des résultats faramineux. Et c’est ça qui nous arrive en ce moment précis, chaque jour. » (P. 138)

