
« Il faut que tu fabriques une chaise en bois léger que tu pourras mettre sur ton dos, tu vois ce que je veux dire, un sac à dos pour ta mère, c’est assez drôle, non, comme idée […] tu me déposeras là où nous avons convenu et tu repartiras sans te retourner, en aucun cas.« (P. 20)
Marie voit la mort approcher et sollicite son fils.
Au Japon, une coutume ancestrale consiste à transporter, à sa demande, un infirme ou un parent âgé dans un endroit éloigné et isolé pour le laisser mourir. Seul..
Une pratique sans doute ancienne et abandonnée aujourd’hui, que je découvre avec ce roman, et que nous ne pouvons comprendre…si nous n’ouvrons pas notre esprit à cette culture….d’où l’intérêt de la lecture.
Une ultime preuve d’amour, sans aucun doute….
Dans notre monde occidental les amis et familiers suivent un corps, enfermé dans un fourgon mortuaire, en évoquant le défunt mais aussi en parlant de la pluie ou du beau temps…..en oubliant parfois le défunt.
Etonnante coutume japonaise qui doit sans doute être abandonnée ou sur le point de l’être aujourd’hui.
Cet dernier voyage n’est pas une simple marche. C’est avant tout un dernier voyage commun chargé d’une indéniable dimension spirituelle, une dernière occasion de se parler, d’échanger, d’évoquer les moments de vie commune, de parler des bons souvenirs, des regrets de part et d’autre….un voyage d’intensité, même si les mots ne viennent pas.
Et qui sait si cette pratique ne permet pas aussi à chacune de faire un voyage intérieur.
Un voyage qui permet à chacun de faire part des souvenirs, mais aussi un voyage d’introspection pour chacun…tout ce qu’on peut se dire qu’on n’a pu ou pas voulu dire auparavant !
Une conversation sans regards croisés
Marie égraine ses souvenirs et malgré leur proximité de vie, les moments de vie passés ensemble, la mère et le fils se rencontrent et peuvent enfin se dire tous ces mots non dits auparavant.
Une belle façon de se dire adieu. Un adieu dont le dont le fils se souviendra toujours sans aucun doute.
Pas facile de parler de cette coutume, sans sombrer dans les larmes.
Cette ultime communication, ces dernières confidences entre eux…au fur et à mesure de cette montée vers les sommets y compris les silences entre mère et fils confirment leur bonheur réciproque, leur proximité
Et nous interrogent !
C’est aussi le roman d’une vie, celle de cette vieille dame, la vie d’une femme avec ses croyances, ses choix, son amour, mais aussi sa vie avec avec ses propres parents, ses deuils, ses émotions, ses souffrances.
Le lecteur s’interroge : « qu’aurais-je dit dans ces derniers instants? »
Merci au hasard pour cette découverte
Ce sujet a également fait l’objet d’un film : « La Ballade de Narayama » (楢山節考), film japonais réalisé par Keisuke Kinoshita et sorti en 1958. Un remake dû à Shōhei Imamura, a été réalisé en 1983.
Editeur : La Fosse aux Ours – 112 pages
Lien vers la présentation d’Isabel Gutierrez
Quelques lignes
- « Puisque nous allons ensemble, mon fils, sans que nos regards se croisent, puisque c’est le moment du départ et celui des dernières enjambées, à toi à qui j’ai appris à marcher et à pédaler, je parlerai en silence, je calerai le rythme de ma langue sourde, marche de vers iambiques, à la longueur de tes pas. Nous traversons le temps du paysage ensemble. » (P. 28)
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« ….les gens s’imaginent que la perte, elle d’un être ou d’un objet, nous rend plus sensible. C’est faux, notre sensibilité se nourrit de ce que l’on nous donne et certainement pas de ce que l’on nous prend. » (P. 75)
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« Depuis une heure, son corps était secoué, par intervalles, de hauts-le-coeur qu’il tentait de maîtriser par la régularité des pas et en fixant son regard sur le sol qui défilait lentement. Ses épaules étaient douloureuses, son front devenait soudain brûlant, sa bouche se crispait dans un mouvement qui nouait ses mâchoires l’une à l’autre, empêchant l’air d’entrer et de sortir. Il ne fallait pas s’arrêter, s’arrêter c’était s’effondrer et il devait tenir debout, solide, comme la mère le voulait. Á cette pensée, tout se calmait, pour un moment. Il entendait de nouveau le chant des bois. » (P. 94)
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« Vois-tu, mon petit roi, il y a des gens qui se perdent entre les lignes d’un livre comme d’autres se perdent dans la nuit. Ils parcourent les chemins d’encre en passant la tête à travers les personnages qu’ils ont choisis. Ils ressentent leurs peurs, leurs désespoirs, leurs désirs, leurs soifs, leurs passions et, l’ouvrage refermé, les emportent dans leur cuisine ou dans leur lit. Quelquefois même, il les tiennent prisonniers dans leurs propres greniers, dans leurs caves les plus secrètes, forçats sur leurs routes intimes, et ne veulent plus s’en séparer, ils préfèreraient même mourir que de les abandonner. » (P. 112)
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« Maman, pendant ces derniers jours, de quoi ton cœur était-il traversé lorsque nous montions vers cette nuit glacée de veille, de quels mots le silence de nos arrêts se chargeait-il lorsque, les yeux humides et perdu vers la maison qui s’éloignait, tu me souriais timidement? » (P. 116)

