
« Je suis moi-même le Juif honni. Je suis mon propre amour, mon propre mépris, ma haine et ma gloire. Mon éternité. Je suis Aaron Tamerlan Munteanu, né le 28 mais 1884 à Galati en Roumanie. Plus de cent trente années ont passé, sans que mon visage, mon corps et mon esprit aient subi la moindre altération »
J’en suis sorti révolté d’une part du fait de cette lecture dérangeante mais aussi, du fait des recherches d’autres sources littéraires sur ce thème, les caricatures moquant les Juifs….. Aujourd’hui encore des tarés sont capables de vendre et d’autres d’acheter plusieurs centaines d’Euro, des éditions de textes sur le thème « comment reconnaître physiquement un Juif ». Ecœurant !
Premières pages du livre…lues en feuilletant ce pavé, dans la médiathèque. … Aaron Tamerlan Munteanu est le fil conducteur, du livre.
Comment résister, comment refuser de mieux connaître ce monde moqué et souvent caricaturé ?….une Histoire du monde juif, du mode de vie, des textes, des règles…un pavé de plus de 300 pages !
…Nous connaissons tous ces caricatures répugnantes de Juifs, souvent présentés comme maigres, souffreteux, rapaces.. aux doigts crochus…
Aaron Tamerlan Munteanu est, quant à lui, le « Juif Rouge ».
Rouge car il est roux et de plus très grand : 2,22 m de taille, tout le contraire des dessins de presse moquant ces hommes. Toujours ces mêmes dessins répugnants, qui n’ont pas évolué au fil du temps. Quel que soit le caricaturiste !
Il est né le 28 mai 1884 à Galati en Roumanie, et, de fait, est le fil conducteur du livre, le narrateur…qui nous dépeint la vie des Juifs, leur histoire au cœur de l’Histoire.
Il est le Juif permanent confronté aux difficultés, aux vicissitudes des événements de notre monde dans nos 130 dernières années… Histoire de mort, de sang, de crimes…jusqu’au crime industriel mis en place par les nazis. Histoire que nous connaissons tous.
Il est soldat et se bat dans les Carpates, contre les armées allemandes et autrichienne, il est celui qui lutte contre l’antisémitisme, jamais éteint, toujours prêt à se rallumer.
Ce regard, cette évocation de l’Histoire de nos sociétés, de notre monde vue à travers la loupe de l’antisémitisme est bigrement documentée, fouillée.
Une lecture dérangeante et utile.
Editions Seghers – 336 pages -2024
Lien vers la présentation de Stéphane Giusti
Quelques lignes
« Nous sommes bien éveillés, nous deux seuls face aux immenses armées allemande et autrichienne, seuls face aux turcs, aux sarrasins, aux goths, aux Alamans, face à tous ceux qui voudraient envahir notre chère et belle Roumanie. » (P.14)
« Si toi seul sait que tu es Juif, il ne t’arrivera rien. Personne ne pourra rie contre toi. Fais comme je te dis. Courbe l’échine ou regarde ailleurs, mais ne te bas jamais au nom du Juif. Tu perdras » (P. 17)
« Ma peau blanche tachetée jusqu’entre les doigts de la main ferait le bonheur d’un amateur de pogroms, tout à sa joie de dépecer du Juif et d’exposer ma peau léopard dans son salon, au dessus de la cheminée. » (P. 32)
« …le fait qu’une personne soit juive est mis en avant si elle a mal agi, comme si cela ajoutait à la bassesse du méfait. Les musulmans partagent parfois notre opprobre, en particulier quand nos accusateurs sont à court de Juifs. Alors, par défaut, ils peuvent s’en prendre aux musulmans, qui eux-mêmes se retournent tôt ou tard contre nous et ainsi de suite. Ainsi va la haine. » (P. 35)
« Je dois préciser pour tous ceux auxquels notre législation roumaine n’est pas familière que nous autres Juifs ne sommes pas des citoyens roumains. La loi nous définit comme des «étrangers apatrides » ou mieux, des «habitants du pays». En tant que résidents roumains nous sommes toutefois assujettis au service militaire, nous devons nous battre et verser notre sang pour un État qui ne nous reconnaît pas comme siens » (P. 46-7)
« En tant que Juif, vous devriez savoir que le fait de vous haïr n’a ni commencement ni fin ! » (P. 72)
« Mon sentiment d’appartenance à une communauté, le fait d’être juif, se traduisait chez moi par une sorte de compassion sacrificielle après chaque pogrom ou violence perpétrée contre des Juifs. Le temps de la lecture des horreurs commises, je frissonnais de terreur et de rage, j’étais abattu, révolté, oh oui, je souffrais avec mes frères ! Oui, après quelques jours, j’oubliais. Je revenais à mon individualisme douillet où je n’étais que moi-même, vierge de tout, engagé dans rien. » (P. 108)
«Un Juif ne s’évade pas. Il pactise, il marchande, il conspire. Le Juif ne fait pas un bon soldat. Il fait surtout un bon traître. » (P. 120)
« Vous, les Juifs, vous attirez les Allemands comme le miel les guêpes, on devrait tous vous attacher avec du barbelé et vous noyer dans le Danube. » (P. 130)
« ….une intuition précise du lieu de la prochaine hécatombe, le Nord-Est, Ukraine, Russie, Pologne encore une fois, toutes ces terres où l’on massacre des Juifs comme l’on irait au bal. » (P. 147)
« Peu importe le nombre -dizaines, centaines, milliers ou millions -, il faut que le Juif paye et, même s’il n’y a pas de raison tangible au massacre, on en trouvera toujours une bonne pour se justifier. » (P. 165)
« Érudit en diable, Ganzfried nous fait un tableau précis de la situation en Ukraine, qui se révèle proche de l’apocalypse. Tout d’abord, résume-t-il la «zone de résidence» imposée aux Juifs quelques cent vingt ans auparavant par Catherine II, couvre l’essentiel du territoire ukrainien . Ainsi les Juifs sont en surnombre par rapport aux autres régions de l’Empire russe ou d’Europe centrale, donc sujets à être perçus comme quantité redoutable et surtout perfide. » (P. 167)
« Beaucoup de Juifs de Liepāja et des pays Baltes ont déjà quitté la région pour la Palestine. Ils espèrent fonder une vie là-bas, à l’ombre de l’histoire. » (P. 191)
« Ce petit bout de territoire était alors sans histoire. En yiddish, le ville se nomme Oswiecim, en polonais Oswiecim, en allemand, Auschwitz, la clairière aux bouleaux se nomme Brezezinka, en allemand Birkenau (P.259).
« En parquant les Juifs dans des ghettos et en leur imposant de porter une étoile jaune, les nazis suivront une longue tradition d’exclusions et de marquage au fer rouge. Le massacre systématique et à échelle industrielle sera en revanche une nouveauté à mettre à leur actif. Nous n y étions pas préparés. Nul ne l’est. Comment aurions-nous ou l’être. » (P. 275)
« Chaque vie juive passée sur cette terre est entrée en moi comme un infime brin d’air, je l’ai respirée, bue, avalée et fondue à l’intérieur de mes chairs et de les cellules les plus infimes. Chacune d’elles vit toujours en moi, leur cœur bat par mon cœur, je les emmène dans mon éternité. Des millions d’âmes. » (P. 330)

