
« On parle ici de civilisations et d’empires, des entités apocalyptiques, c’est leur manière de se succéder, il n’y a pas de milieu, les uns doivent s’éteindre avec leurs souvenirs et leurs rêves et les autres tout envahir, l’espace et le temps, jusqu’à l’histoire qu’ils réécriront de fond en comble. » (P. 22)
« Unifier et mobiliser le Moyen Orient par des moyens politiques ou militaires est une gageure, l’histoire sait que ses peuples sont antagonistes, ils se sont toujours combattus et de la pire façon qui soit » (P. 98).
Lire la suite: « Abraham ou la cinquième alliance » – Boualem SansalHasard de cette lecture alors qu’une bien triste et bien révoltante actualité vient de placer au silence Boualem Sansal en l’emprisonnant en Algérie. Il aurait osé, par certains de ses propos, porter atteinte à l’intégrité du territoire algérien, mais sans doute bien plus, parce que son érudition et sa liberté d’expression ont fortement déplu au pouvoir algérien..
Pour ma part, je considère cet auteur, depuis bien des années, comme un auteur capable d’une part de me faire voyager, de m’interroger, de m’informer et surtout de me bousculer. C’est sans aucun doute l’un des auteurs qui m’a le plus bousculé au fil de mes lectures, l’auteur dont j’ai lu une grande partie des écrits titres.
Je n’attends rien de plus de mes lectures…être bousculé.
Et Boualem Sansal m’a bousculé à l’occasion de chaque lecture
Certes, celle-ci n’est pas facile, n’attendez pas d’elle une légèreté, une lecture vite lue….
Bien au contraire…
Ce texte nécessite pour être apprécié d’une part une certaine connaissance ou approche des textes anciens, textes qui fondèrent les trois religions du Livre, Islam, Chrétienté, et Judaïsme, et d’autre part une connaissance des conflits, nés souvent de ces textes, ou plutôt de leur interprétation par des religieux intégristes, barbus ou non…
Barbus peut-être que l’on retrouve plus ou moins barbus, dans ces trois religions du livre. Mais à coup sûr une firme certaine d’intégrisme.
Chrétienneté, Islam, Judaïsme…un même forte ressemblances dans ces trois textes, Bible Coran Torah, que l’auteur travaille et partage avec ses lecteurs ! Trois textes inspirés de la même source qui auraient dû unir les hommes de ces trois religions mais qui au contraire depuis des siècles les divisent, une source unique qui causa et cause toujours des guerres à n’en pas finir, et ceci depuis des siècles.
Sans oublier, et ce n’est pas la moindre des causes, les effets des politiques colonisatrices des États européens cherchant à accroître leur patrimoine en colonisant des territoires tout en faisant fi des populations, en scindant des tribus, des familles…
On ne peut qu’être étonné, et intrigué par cette lecture et surtout admiratif du travail et des connaissances et analyses effectuées par Boualem Sansal. Il ne se limita aux années récentes, mais évoque des vérités historiques quand Anglais et Français redessinèrent les frontières du Moyen Orient, séparant des peuples et des tribus, les religions affaires d’État, le Nazisme, la guerre 39-45 qui se fit au Moyen-Orient en partie par tribus arabes interposées, les combats contre les vichystes, les attentats contre les anglais, les accords Syke-Picot.,
C’est sans aucun doute en partie, cette érudition et sa liberté de parole, toutes deux dérangeantes qui furent en partie sans doutes parmi les causes de son emprisonnement et de sa condamnation.
Depuis presque 6 mois, il connaît malgré ses soucis de santé et son âge, les dures conditions des prisons algériennes. Sa liberté d’expression, tout autant que son érudition et ses rappels historiques et religieux déplaisent depuis bien longtemps aux intégristes de tout poil. Son analyse ne se limite pas aux années récentes
Ils n’attendaient qu’une occasion pour le réduire au silence .
Ils l’ont trouvée.
Ne leur permettons pas de gagner la partie.
Editions Gallimard – Parution en 2020 – 283 pages
Lien vers la présentation de Boualem Sansal
Quelques lignes
« Dans ce coin oublié du monde, la leçon était faite : point de peuples sans malheurs et point de malheurs sans les dieux. » (P 19)
« L’Accord franco-anglais qui projetait le dépeçage de l’empire ottoman venait d’être signé à Londres, le foyer mondial de la perfidie, par les représentants des deux grandes puissances, Paul Cambon pour la France et Edward Grey pour le Royaume Uni. » (P. 20)
« On parle ici de civilisations et d’empires, des entités apocalyptiques, c’est leur manière de se succéder, il n’y a pas de milieu, les uns doivent s’éteindre avec leurs souvenirs et leurs rêves et les autres tout envahir, l’espace et le temps, jusqu’à l’histoire qu’ils réécriront de fond en comble. » (P. 22)
« Le contrôle des richesses est d’abord celui des religions, qui sont le cœur vivant et le joyau des hommes, ainsi que les lourdes chaînes dorées qu’ils ne se fatigueront jamais de porter. » (P. 24)
« Les occasions de s’exterminer en toute sainteté n’avaient jamais manqué à cette ville martyre. L’antagonisme inépuisable entre sunnites et chiites lui avaient fait traverser des heures sombres. [….]et voici que les Européens arrivaient à leur tour, remplis de la bonne intention de mettre fin à leurs souffrances. » (P. 56-7)
« Les occasions de s’exterminer en toute sainteté n’avaient jamais manqué à cette ville martyre. L’antagonisme inépuisable entre sunnites et chiites lui avaient fait traverser des heures sombres. [….]et voici que les Européens arrivaient à leur tour, remplis de la bonne intention de mettre fin à leurs souffrances. » (P. 56-7)
« L’empire ottoman, qui domine le Moyen-Orient, l’ancienne Mésopotamie, la Palestine, la Transjordanie, l’Arabie, et l’Égypte, commence à se disloquer sous les coups de canon des armées de la Triple Entente venues du nord, de l’ouest, de l’est et du nord de l’Europe. Mais il est aussi affaibli par les révoltes arabe, kurde, druze, qui explosent dans ses vilayets ainsi que par ses propres divisions et sa folie génocidaire…(P.63)
« Les Arabes se sont entendus pour ne s’entendre sur rien. » (P. 67)
« Les conquérants ne sont forts que dans la conquête, ils perdent leur force dès lors qu’ils sont au pouvoir et que la paix commence à diffuser ses effets émollients. Ils n’ont alors plus en face une armée à combattre mais un peuple à gouverner, et ça, ça épuiserait n’importe quel grand guerrier. » (P. 68)
« Le cœur de l’homme s’est endurci, il n’entend plus. L’humanité s ‘est dégradée, elle ne vit plus que sur son animalité, sa part mystique, poétique, spirituelle s’est rabougrie et s’«est éteinte. Les guerres ont toujours été circonscrites à un lieu, mettant en prise deux, trois quatre nations voisines au plus. Là, pour la première fois dans l’histoire humaine, nous vivons une guerre mondiale dans laquelle, comble de malheur et d’ironie, la plupart des belligérants ne savent ni pourquoi ni contre qui ils ont pris les armes , entraînés malgré eux dans un maelstrom déclenché par une étincelle quelque part. C’est un autre signe. Cette guerre ne sera pas la dernière du genre, le mécanisme est mis en place pour en produire autant que l’on peut provoquer d’étincelles, n’importe où sur terre. » (P. 72).
« Unifier et mobiliser le Moyen Orient par des moyens politiques ou militaires est une gageure, l’histoire sait que ses peuples sont antagonistes, ils se sont toujours combattus et de la pire façon qui soit » (P. 98).
« Unifier et mobiliser le Moyen Orient par des moyens politiques ou militaires est une gageure, l’histoire sait que ses peuples sont antagonistes, ils se sont toujours combattus et de la pire façon qui soit » (P. 98).
« Le problème selon moi n’est pas de croire ou de ne pas croire, même si je pense comme vous que ne pas croire est aussi croire, le problème est que les hommes ne croient pas aux mêmes choses, de là viennent les dissensions et les guerres qui, en divisant et en supprimant les hommes, divisent et tuent la croyance qu’ils portent et qui les fonde. » (P. 126)
« Au lendemain de la réunion de Yalta entre les nouveaux maîtres du monde, on l’appellerait la guerre froide. Le principe premier des cette nouvelle guerre serait d’enrôler à leur total insu tous les peuples de la terre pour que les maîtres du jeu n’aient pas à le faire ouvertement eux-mêmes. » (P. 176)
« J’ai consacré beaucoup de temps pour écrire ce dernier livre. Il m’a permis de me rafraîchir le mémoire et de repenser aux êtres chers qui ont accompagné mon aventure prophétique. J’ai fait ce travail pour eux, pour les honorer, et pour permettre aux scribes de l’avenir d’écrire la nouvelle Genèse à partir de laquelle se formera la nouvelle alliance et naîtra la nouvelle Humanité, Dieu a promis et Dieu tient parole. » (P. 235)
« Il n’empêche, leurs croyants s’inscrivent tous dans la même Alliance, vue sous trois angles différents, le juif, le chrétien, le musulman, tous vénèrent le Dieu unique, tous adhérent à Son projet pour l’humanité et tous se réclament de Ses prophètes. Il fut bien y réfléchir, le différent est le meilleur moyen pour engendrer le semblable, comme semblable est la bonne source du pluriel, c’est de cette façon que le semblable échappe au clonage débilitant et que le différent échappe à l’enfermement dans des particularismes monstrueux » (P. 235-6)

