
« Regarde comme la nouvelle classe politique est arrogante et vaniteuse. Elle ne comprend rien, recommence avec l’affairisme et la corruption comme le régime précédent. Sans parler de tous les génocidaires qui ne pensent qu’à reprendre le pays. Nous n’avons pas autant sacrifié pour laisser la place aux incompétents, aux cupides et aux assassins. Les civils ne savent pas que la paix n’est qu’une guerre suspendue . » (P. 80)
Il y a quelques années je découvrais Gaël Faye avec son roman « Petit Pays », qui m’avait fortement remué. Puis à l’occasion d’un nouvel « atelier lecture », l’un de ces ateliers au cours duquel nous échangeons, entre lecteurs, nos coups de cœurs……je fus attiré par la présentation qui fut faite de Jacaranda …le livre rejoignait aussitôt sur ma table de lecture, d’autres ouvrages qui m’avaient attirés un jour…Livres qui comme tant d’autres sont relégués au sommet de la pile, pile qui grandit au fil des jours, livres empruntés à rendre, livres à placer dans des boites à livres, ou livres personnels qui un jour iront rejoindre d’autres ouvrages quand je les donnerai à une bibliothèque de village afin de donner du bonheur à d’autres lecteurs abonnés à cette bibliothèque …
Un livre ne se jette pas, il se donne, se prête…et avec le temps s’oublie….bien souvent. Difficile voire impossible de se souvenir chers amis lecteurs, vous verrez avec le temps que des lectures ont été oubliées…et même que vous empruntez à la bibliothèque ou que vous achetez un ouvrage qui dès les premières pages vous fera dire : « tiens ça me dit quelque chose ».
Oui, l’accumulation des ans est pénible.
J’espère que vous, amis lecteurs et amies lectrices, que j’ai plaisir à retrouver, me pardonnerez ma négligence. L’âge nous fait commettre bien des erreurs….si, si .
Oui ce titre comme « Petit Pays » me prit et me dérangea, ce livre coup de poing revient sur les massacres qui ensanglantèrent le Rwanda.Le Rwanda et les crimes qu’il dur endurer souvent comme bien d’autres crimes de guerre sous d’autres cieux, bien souvent passés sous silence par ceux qui les ont vécus, qui les ont subis.
Difficile de parler des crimes de guerre, sous toutes les latitudes
Et pourtant c’est en parlant qu’on parvient à éviter que les générations futures connaissent de tels drames. Drames que l’on découvre en creusant un peu, en se renseignant. Ainsi, en tentant de déjouer ces silences, on peut parvenir à reconstituer la mémoire familiale de nos anciens qui ont souffert…rares sont ceux qui s’épanchent auprès de leurs des souffrances qu’ils ont dû endurer. Une pudeur qui s’impose à eux. Je l’ai personnellement vécue avec mon grand-père peu loquace sur ses années de guerre de 1916 à 1918. Il pleura le jour de mon mariage, car il avait retrouvé à proximité du lieu de la cérémonie, les tranchées, les trous d’obus dans les forêts de Douaumont. Il avait tenu à profiter de cette occasion pour retrouver par la pensée ses copains de souffrance, ceux qui s’en étaient sortis et les autres, plus nombreux encore mélangés à la boue….une boue gorgée d’ossements
Editeur : Grasset – 224 pages
Lien vers la présentation de Gaël Faye
Quelques lignes
- « Elle a retiré la dernière compresse et la blessure est alors apparue. Un trou béant, suintant, à la chair rouge vif et au contour sombre. Une incise si profonde que je craignais de voir apparaître un bout de son cerveau. » (P. 35)
- « Des gamins assis par terre fabriquaient des petites voitures avec du fil de fer, des lanières de caoutchouc et des capsules de bouteilles, quand d’autres, juchés sur le toit, essayaient de faire voler des cerfs volants en sacs plastique. Dans un coin, de jeunes adolescents, torse nu, pratiquaient des exercices de musculation avec des haltères en ciment, moulés dans des boîtes de conserve, d’autres étendus sur des nattes à l’ombre de l’arbre sommeillaient ou sniffaient de la colle » (P. 60)
- « Système D. Les gosses vont mendier en ville ou bien ils font des petits trafics ? Rien de grave. Puis ils mettent tout ça dans un pot commun que Sartre gère pour la communauté. » (P. 66)
- « Il affirmait que l’Église du Rwanda s’était rendue complice du génocide, que de nombreux membres du clergé avaient trempé dans les massacres et qu’il ne se voyait pas prier dans des lieux qui avaient servi d’abattoirs » (P. 69)
- « Regarde comme la nouvelle classe politique est arrogante et vaniteuse. Elle ne comprend rien, recommence avec l’affairisme et la corruption comme le régime précédent. Sans parler de tous le génocidaires qui ne pensent qu’à reprendre le pays. Nous n’avons pas autant sacrifié pour lasser la place aux incompétents, aux cupides et aux assassins. Les civils ne savent pas que la paix n’est qu’une guerre suspendue . » (P. 80)
- « Ce pays est empoisonné. On vit avec les tueurs autour de nous et ça nous rend fous. Tu comprends ? Fous : (P. 89)
- « Nous étions une famille aisée car nous possédons des vaches qui nous donnaient du lait. Nous vivons en bonne entente avec nos voisins. On partageait les récoltes et on communiait le dimanche à l’église. Le 7 avril 1994, nous avons appris par la radio que l’avion du président Juvénal Habyarimana avait été abattu.La radio a aussitôt accusé les Tutsi et encouragé la population à se venger. J’ignorais que nous étions tutsi. On n’en avait jamais parlé à la maison, mais je pouvais déceler la peur dans les yeux des adultes. » (P. 125)
- « Ceux qui nous tuaient étaient des gens que l’on connaissait, nos voisins, nos amis, nos collègues, nos élus. » (P. 126)
- « Tu sais, l’indicible ce n’est pas la violence du génocide, c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout . » (P. 135)
- Je revendique le droit à la paresse. Surtout dans une ville où il n’est question que d’opportunités, de business, d’investissements et tout le bla-bla d’entreprise. Même la culture devient marchandise. Si on n’y fait pas gaffe, bientôt les poètes ne réciteront plus que des tables de multiplication. » (P. 153)
- « Après le génocide, si tu cherchais une maison , il suffisait de rentrer dedans et elle devenait tienne. C’est ce que Sartre a fait. […] Pendant le génocide, Sartre a récupéré cette maison abandonnée par ses occupants pour en faire le refuge d’enfants abandonnés qu’il trouvait sur son chemin, les orphelins comme moi qui avaient survécu et ne savaient pas où aller. Il les cachait, les nourrissait, les soignait. C’est un saint. (P. 171)
- « Le génocide nous a dé)à enlevé nos familles, pas question que l’on nous vole aussi la mémoire des lieux » (P. 181)
- « Afin de démontrer scientifiquement leur théorie, des scientifiques belges utilisèrent toutes sortes d’instruments de mesure, comme des craniomètres ou des compas anthropométriques, pour mesurer les nez, les fronts, les oreilles, les bras, les tibias, les mâchoires et déduire des observations sur l’apparence physique la nature profonde de chaque Rwandais et de son groupe supposé. Ainsi, ils décrétèrent que ceux qui étaient grands et minces étaient des Tutsis , et ceux qui étaient petits et trapus étaient des Hutu. Que les Tutsi étaient fourbes et raffinés et les Hutu timides et paresseux. Lorsque le carte d’identité fut introduite et rendue obligatoire pour chaque Rwandais, le roi Mudinga s’y opposa tout comme il refusait depuis toujours de se convertir au catholicisme. L’administration belge et les missionnaires décidèrent donc de le destituer et de l’exiler au Congo belge. » (P. 204)
- « En 1957, parut le Manifeste des Bahutu, un document qui désignait les Tutsi comme des envahisseurs et des exploiteurs . Avec ce texte, le poison de la division et de l’ethnisme habilement distillé par les colons belges et l’Église devint la prison mentale dans laquelle la grande majorité des Rwandais se laissèrent enfermer et dont ils ne sortiraient plus. » (P. 206)
- « Tuer un Tutsi ne constituait pas un crime. » (P. 229)
- « En 1994, les églises sont devenues des pièges mortels » (P. 235)
- « Il faut se souvenir que les Tutsi ont été tués non pas pour ce qu’ils pensaient ou ce qu’il faisaient mais pour ce qu’ils étaient. Nous devons continuer à raconter ce qui s’est passé pour que cette histoire se transmette aux nouvelles générations et ne se reproduise jamais plus nulle part. » (P. 237-8)
- « Le cycle de la vengeance est sans fin » (P. 253)
- « Tu sais ce que je leur reproche le plus à tous ces gens […] C’est d’avoir créé et pour longtemps encore une société de défiance » (P . 261)

