
« Ici, on ne vend pas le pain des Français aux bougnoules! Dix baguettes ! Et encore quoi ? »
éructa le boulanger, les bras croisés derrière sa longue vitrine de pâtisseries. J’avais six ans, et mon père, qui me tenait par la main en resta sans voix. » (P. 13)
L’enfant accompagne son père et va, avec lui acheter du pain à la Boulangerie…..Une phrase qui rappellera aux plus anciens d’entre nous ce sketch de Fernand Raynaud, dans les années 50-60….sketch qui mettait en scène un boulanger arabe, rejeté par racisme, quittant son pays d’adoption et laissant les villageois sans pain…
Fernand Raynaud évoquait le départ du boulanger quittant son village, vaincu par le racisme…. un rire jaune pour dénoncer le racisme, envers ces arabes qui venaient manger « le pain des Français ». On en riait dans les années 60-70.
Un autre « comique » Jacques Chirac avait évoqué en parlant des étrangers d’origine maghrébine le « Bruit et l’odeur »… pas très malin à mes yeux. Des propos dans la bouche d’un Président de la République en exercice qui m’avaient indigné ..
Mais ce titre est bien loin de faire rire le lecteur de 2025…Le but est identique…montrer les ravages du racisme, du rejet de l’autre parce qu’il est étranger. Au contraire, il va le bousculer, le déranger fortement
Ainsi, le propos de Xavier Leclerc est bien plus dérangeant qu’un sketch de Fernand Raynaud ou plus grave, qu’une boutade indigne d’un Président de la République en exercice !!!
Xavier Leclerc évoque les crimes commis en masse en Algérie par la France, ces arabes jeunes et vieux décapités à l’épée, à la hache, agenouillés avec une corde tendue autour du cou pour bien dégager la nuque et dont les crânes sont conservés au Musée de l’Homme, à Paris, crânes dont il imagine les conversations dans les caves du Musée, notamment cette gamine décapitée, dont le crâne est répertorié, un numéro sur la tempe….comme tous les autres. Certains enfants et adultes ont été vendus comme bêtes de foire. Et des restes humains, des crânes, des mâchoires, ont été jetés aux fauves de la ménagerie ou vendus à des collectionneurs !
En imaginant la vie de cette gamine de 8 ans décapitée, comme bien d’autres, il dérange le lecteur en insistant sur les autres ignominies, les autres saloperies, pardon pour le mot, mais je n’en ai pas d’autre, faites lors de cette conquête de l’Algérie. Les restes humains et les os des cimetières ont été exploités « Pour parfaire l’empierrement qui relevait du service des Ponts et Chaussées, d’innombrables squelettes mélangés aux stèles de marbre servirent à remblayer les routes. » (P. 70)
Il donne d’autres chiffres tous aussi terribles : 420 000 algériens morts du fait de la guerre, 2.5 millions de paysans déportés dans des « camps de regroupement », 8 000 villages décimés et 27 000 harkis « abandonnés » à leur triste sort après le départ des Français.
Même la violence des intégristes a été largement dépassée et n’a pas atteint les 250 000 victimes
On est bien loin du « Bruit et de l’odeur »…l’écœurement est garanti. Les chiffres sont là pour étayer les propos de l’auteur. Surtout quand ces faits historiques ont été commis par des hommes, des soldats du pays des Droits de l’Homme! Par la France qui parfois dans d’autres occasions, donne des leçons de dignité au restes du monde .
Oui j’ai été écœuré par cette lecture. Ecœuré par les chiffres, écœuré par les situations décrites par la France, Pays des droits de l’Homme! qui stocke dans ses sous sols « 18000 crânes dont la moitié vient des colonies » ! ….des crânes humains
Si vous aussi, lecteurs, cherchez un titre bouleversant, un propos historique, quelques heures dérangeantes, n’hésitez pas. L’auteur précise :
« Son silence fit du garçon que j’étais l’écrivain qui greffera sur les écorchés, toute sa vie, des mots comme de la peau. » (P. 16)
« Comment se libérer du terrible conflit de loyauté, de cet héritage colonial si douloureux.? je n’ai pas trouvé mieux que ce brise-chaîne d’établi qu’est la littérature.( P. 25)
« Je savais déjà qu’écrire ne consistait pas à produire de belles rimes niaises, mais à basculer dans un autre monde. » (P. 22)
Editions Gallimard -2025 – 134 pages
Lien vers la présentation de Xavier Leclerc
Quelques lignes
« Les chantiers, les mines étaient avides de cette main d’œuvre payée un tiers en moins que leurs collègues français » (P. 14)
« Le jeu des ratonnades qui commençait par des injures racistes , des coups et des brimades dans la rue se finissait souvent avec un crâne défoncé contre l’arête d’un trottoir, des côtes cassées, des noyades ou selon l’humeur des copains, une pendaison dans les bois. » (P.14)
« J’étais une mouche coincée entre les rideaux et la vitre, que le mot « tapette » assommerait tôt ou tard. » (P. 17)
« Au fond, se divertir ou rire de ces clichés sur les immigrés et leurs enfants offrait à la nation le goût sucré du paternalisme, une accoutumance qui remontait à l’empire colonial et se poursuivait après les Trente Glorieuses » (P.20)
« Cette mutilation nous ramène à ton époque, lors des conquêtes où les oreilles des indigènes valaient dix francs et leurs têtes parfois le double. Un commerce macabre qui amusait des hommes ivres d’un sentiment de supériorité. Aux lueurs de l’aube, j’imagine les racistes d’aujourd’hui, perdus dans la fumée et les étincelles d’une disqueuse, consumés par une rage qu’ils confondent avec le patriotisme. » (P. 43)
« Cultivant la peur du lendemain, la peur des Noirs et des Arabes, ces fascistes s’érigent en gardiens de la chrétienté, mais détestent les étrangers, le droit d’asile et ce qu’ils appellent « la culture du repentir » (P. 43)
« Le « calme de ce bon docteur » me raconte ton histoire, Zohra, bien plus que le la fureur des conquêtes, du feu et des armes. ce calme de boucher qui découpe de la viande d’homme. ce calme ce collectionneur qui étiquette des crânes rangés sur ses étagères. ce calme d’un artisan de tannerie, où la peau des hommes est salée, écharnée, épilée, pelée, reverdie, séchées et pendue à des crochets. ce calme qui, comme par un doux frottement d’agate sur la fleur, lisse et satine le cuir des martyrs. » (P. 50)
« Il n’a jamais été question de tragédies mais de spécimens.[…] ces médecins militaires qui les offraient en souvenir ou pour garnir des cabinets de curiosités » (P. 60)
…les crânes comme trophées de chasse « des « têtes de choix » comme l’on disait autrefois « les pièces du boucher » (P. 64)
« Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet des s’emparer des hommes et des troupeaux. » (P. 73)
« D’un côté, l’Algérie était un pays sublime, de l’autre, les injustices du système colonial avaient asphyxié les indigènes. » (P. 94)
« On me dit que les Arabes sont heureux, qu’ils n’ont besoin de rien, qu’il leur suffit d’avoir à manger pour aujourd’hui et qu’ils ne s’inquiètent pas du lendemain, que leur religion le veut ainsi. Je en sais pas si cela est vrai, mais ce qui est sûr, c’est que nous Européens, nous pensons différemment et que nos principes en tout cas voudraient que nous fassions quelque chose pour les tirer de cette misère qui est, à proprement parler, une honte. Je n’ai jamais été colonialiste mais après cette expérience, je le suis moins que jamais. » (P. 98)
« En ce temps-là, on ne les appelait pas encore les ratons, mais les troncs de figuier, sans doute parce qu’ils aiment s’assoir au pied des arbres. Après la guerre 14-18 on commença à leur donner le nom de bicots. » (P. 101)


Si l’on demandait à chacun de nous lecteurs, de citer un auteur et un titre d’un auteur indonésien, rares seraient sans doute ceux d’entre nous capables de le faire…Cette partie de notre monde nous est relativement méconnue, l’actualité l’ignore bien souvent.