
J’ai, pendant toute ma lecture, essayé de faire abstraction du personnage qu’est devenu Céline, de ses écrits et paroles antisémites des années d’occupation, légitimant la mort de milliers de juifs
Pourtant tout avait bien commencé : j’ai été emballé par les premiers chapitres sur la guerre de 14, l’engagement de Bardamu, la vérité de ses mots pour décrire l’horreur de cette guerre, la peur qui rend fou, l’attitude des français de l’arrière…un style qui collait à la vie des poilus. J’ai été heureux de rencontrer un Céline pacifiste, critique de la guerre, un Céline courageux pour aller à contre courant des courants de pensée de l’après guerre, des années 30. Il ne décrit que très peu l’horreur des tranchées
Mais cet emballement des premières pages a été suivi par une forme d’ennui, de lassitude allant grandissante, sauvé par quelques pages et chapitres de génie, par des réflexions sur l’homme….
Un voyage dans la vie de Bardamu et de son ami Robinson qui va nous mener en Afrique, aux États-Unis et dans la banlieue parisienne où Bardamu sera médecin, un médecin soignant des personnes sans ressource, hésitant à faire payer ses soins.
Dans les colonies, en Afrique, Bardamu rencontrera des français, colonialistes uniquement préoccupés par l’appât du gain, de l’argent, il tentera d’être l’un d’eux, mais dégoûté par leur bassesse, il fuira ver les Etats-Unis…Céline anticolonialiste
En Amérique Bardamu sera embauché à Détroit comme ouvrier sur les chaines de montage de Ford. Il y décrit les conséquences du Taylorisme, l’abêtissement de l’homme….Il fuira vers la futilité, vers ces actrices américaines, sexe et argent? Bardamu critiquant les excès du capitalisme
Retour en France où il deviendra médecin et exercera dans des banlieues, au service de petites gens….un Berdamu humain attachant parfois mais souvent cynique, fataliste, jetant un regard noir sur ses patients confrontés à la misère, aux avortements…Berdamu nous permettant de connaitre les conditions de vie des pauvres gens, avant les grandes réformes sociales de la fin des années 30, un peu comme Zola l’avait fait pour son époque, avec un autre style littéraire .
Peu de personnages trouvent grâce aux yeux de Céline…a t-il aimé ses concitoyens, son temps, les personnes qu’il soignait? On ne trouve que peu de traces d’amour dans ce texte, la noirceur des caractères et des âmes semble l’emporter. L’homme n’a rien de bon à ses yeux….Une impression générale de grisaille….A ne pas lire les jours de déprime.
Le style d’écriture de ce voyage est un style oral, employant des termes d’argot, très éloigne du style rédactionnel des autres livres de son époque et d’avant.. Un style qui surprend, mais qui finalement colle bien aux personnages qu’il décrit, colle au langage de la rue.
On peut être surpris que des prix littéraires aient été attribués à « Voyage au bout de la nuit ». Pour ma part j’y vois la récompense d’un témoignage sur une époque et sur l’âme humaine.
Celine se défendait d’avoir écrit un livre autobiographique. A un journalisme qui lui demandait s’il avait vécu les souvenirs de Voyage au bout de la nuit il avait répondu : « Si on vous le demande vous direz que vous n’en savez rien », à d’autres ils disait » C’est une substitution »
Je vais prochainement Lire « Mort à crédit ». Après je pourrai dire : « j’apprécie » ou « je n’apprécie pas l’auteur »…Impression mitigée pour le moment. En ce qui concerne l’homme Céline mon choix est fait ! et rien ne pourra me faire changer d’avis
Plus sur Louis-Ferdinand Céline
Extraits
« C’est que je ne connaissais pas encore les hommes. Je ne croirai plus jamais à ce qu’ils disent, à ce qu’ils pensent. C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur » (P. 20) « Quand on sera au bord du trou faudra pas faire les malins nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot, de ce qu’on a vu de plus vicieux chez les hommes et puis poser sa chique et puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie entière » (P. 31) « Chaque mètre d’ombre devant nous était une promesse nouvelle d’en finir et de crever, mais de quelle façon? Il n’y avait guère d’imprévu dans cette histoire que l’uniforme de l’exécutant. Serait-ce un d’ici ? Ou bien un d’en face ? » (P. 33) « On faisait queue pour aller crever. Le général même ne trouvait plus de campement sans soldat. Nous finimes par coucher tous en pleins champs, général ou pas. Ceux qui avaient encore un pépin de cœur l’ont perdu. C’est à partir de ces mois la qu’on a commencé à fusiller des troupiers pour leur remonter le moral, par escouades, et que le gendarme s’est mis à être cité à l’ordre du jour pour la manière dont il faisait sa petite guerre à lui, la profonde, la vraie de vraie. » (P. 36) « Je ne connaissais que des pauvres, c’est à dire des gens dont la mort n’intéressait personne »(P. 57) « L’âme c’est la vanité et le plaisir du corps tant qu’il est bien portant, mais c’est aussi l’envie d’en sortir du corps dès qu’il est malade ou que les choses tournent mal » (P. 60) « Un destin d’assassiné en sursis que tout le monde trouvait pour moi tout à fait normal » (P. 60) « Pour qu’on vous croye raisonnable, rien de tel que de posséder un sacré culot. Quand on a un bon culot, ça suffit, presque tout alors vous est permis, absolument tout, on a la majorité pour soi et c’est la majorité qui décrète ce qui est fou et ce qui ne l’est pas » (P. 69) « Quand le moment du monde à l’envers est venu et que c’est être fou que de demander pourquoi on vous assassine, il devient évident qu’on devient fou à peu de frais. Encore faut-il que ça prenne, mais quand il s’agit d’éviter le grand écartelage il se fait dans certains cerveaux de magnifiques efforts d’imagination. »(P. 72) « Engraisser les sillons du laboureur anonyme, c’est le véritable avenir du véritable soldat » (P. 76) « Quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer, c’est qu’ils vont vous tourner en saucisson de bataille…c’est le signe…il est infaillible » (P. 77) « Il n’y a de repos pour les petits que dans le mépris des grands qui ne peuvent penser au peuple que par intérêt ou par sadisme. Les philosophes, ce sont eux, notez le encore pendant que nous y sommes qui ont commencé par raconter des histoires au bon peuple. Lui qui ne connaissait que le catéchisme. » (P. 77) « Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l’indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue » (P. 91) Un psychiatre : « La guerre, par les moyens incomparables qu’elle nous donne pour éprouver les systèmes nerveux agit à la manière d’un formidable révélateur de l’Esprit humain ! Nous en avons pour des siècles à nous pencher, méditatifs, sur ces révélations pathologiques récentes, des siècles d’études passionnées….avouons-le franchement….Nous ne faisions que soupçonner jusqu’ici les richesses émotives et spirituelles de l’Homme ! Mais à présent, grâce à la guerre, c’est fait. Nous pénétrons par suite d’une effraction, douloureuse certes, mais pour la science, décisive et providentielle, dans leur intimité ! Dès les premières révélations, le devoir du psychologue et du moraliste moderne ne fit pour moi Bestombes, plus aucun doute ! Une réforme totale de nos conceptions psychologiques s’imposait » (P. 103) « C’est ainsi que j’entends traiter mes malades, par l’électricité pour le corps et pour l’esprit, par de vigoureuses doses d’éthique patriotique, par les véritables injections de la morale reconstituante! » « Les huiles ont fini par ma laisser tomber et j’ai pu sauver mes tripes mais j’étais marqué à la tête et pour toujours » (P. 122) « Tant que le militaire ne tue pas, c’est un enfant. On l’amuse aisément. N’ayant pas l’habitude de penser, dès qu’on lui parle, il est forcé pour essayer de vous comprendre, de se résoudre à des efforts accablants » (P. 132) « C’est comme les cochonneries, les histoires de bravoure, elles plaisent toujours à tous les militaires de tous les pays. Ce qu’il faut au fond pour obtenir une espèce de paix avec les hommes, officiers ou non, armistices fragiles il est vrai mais précieux quand même, c’est leur permettre en toute circonstance de s’étaler, de se vautrer parmi les vantardises niaises. Il n’y a pas de vantardise intelligente. » (P. 134) « Quant aux nègres on se fait vite à eux, à leur lenteur hilare, à leur gestes trop longs, aux ventres débordants de leurs femmes. La nègrerie pue sa misère, ses vanités interminables, ses résignations immondes ; en somme tout comme les pauvres de chez nous mais avec plus d’enfants encore et loins de linge sale et moins de vin rouge autour. » (P. 155) « On y parlait toujours du Gouverneur, le pivot de toutes les conversations, et puis du vol d’objets possibles et impossibles et enfin de la sexualité : les trois couleurs du drapeau colonial » (P. 159) « Quand les fidèles entrent dans leur banque, faut pas croire qu’ils peuvent se servir comme ça selon leur caprice. Pas du tout. Ils parlent à Dollar en lui murmurant des choses à travers un petit grillage. Ils se confessent quoi. Pas beaucoup de bruit, des lampes bien douces, un tout minuscule guichet entre de hautes arches, c’est tout. » (P. 208) « Ils avaient l’air si misérables, si puants, la plupart de mes clients, si torves aussi, que je me demandais toujours où ils allaient les trouver les vingt francs qu’il fallait me donner, et s’ils allient pas me tuer en revanche. J’en avais tout de même bien besoin, moi des vingt francs. Quelle honte! J’aurai jamais fini d’en rougir. » (P. 282) « Cent ivrognes mâles et femelles peuplent ces briques et farcissent l’écho de leurs querelles vantardes, de leurs jurons incertains et débordants, après les déjeuners du samedi surtout. C’est le moment intense dans la vie des familles. Avec la gueule on se défie, et des versets pleins le nez, papa manie la chaise, faut voir, comme une cognée et maman le tison, comme un sabre ! Gare aux faibles alors ! C’est le petit qui prend. Les torgnoles aplatissent au mur tout ce qui ne peut pas se défendre et riposter, enfants, chiens ou chats. Dès le troisième verre de vin, le noir, le plus mauvais, c’est le chien qui commence à souffrir, on lui écrase la patte d’un grand coup de talon. Ca lui apprendra à avoir faim en même temps que les hommes. On rigole bien en le voyant disparaître en piaulant sous le lit comme un éventré. C’est le signal. Rien ne stimule les femmes éméchées comme la douleur des bêtes, on n’a pas toujours des taureaux sous la main. La discussion en repart, vindicative, impérieuse comme un délire, c’est l’épouse qui mène, lançant au mâle une série d’appels aigus à la lutte. Et après ca c’est la mêlée, les objets cassés se morcellent. La cour recueille le fracas, l’écho tourne autour de l’ombre. Les enfants dans l’horreur glapissent. Ils découvrent tout ce qu’il y a dans papa et maman ! Ils attirent sur eux la foudre en gueulant. » (P. 283) « Je savais moi, ce qu’ils cherchaient, ce qu’ils cachaient avec leurs grands airs de rien les gens. C’est tuer et se tuer qu’ils voulaient, pas d’un seul coup bien sûr, mais petit à petit comme Robinson avec tout ce qu’ils trouvaient, des vieux chagrins, des nouvelles misères, des haines encore sans nom quand ça n’est pas la guerre toute crue et que ça passe encore plus vite que d’habitude. » (P. 287-8) « Parce que, tu vois, les hommes quand ils sont bien portants, y a pas à dire, ils vous font peur….Surtout depuis la guerre….Moi je sais à quoi ils pensent…Ils s’en rendent pas toujours compte eux-mêmes….Mais moi, je sais à quoi ils pensent…Quand ils sont debout, ils pensent à vous tuer » (P. 326) « Les riches n’ont pas besoin de tuer eux-mêmes pour bouffer. Ils les font travailler les gens comme ils disent. Ils ne font pas le mal eux-mêmes les riches. Ils payent. On fait tout pour leur plaire et tout le monde est bien content. Pendant que leurs femmes sont belles, celles des pauvres sont vilaines. C’est un résultat qui vient des siècles, toilettes mises à part. Belles mignonnes, bien nourries, bien lavées. Depuis qu’elle dure la vie n’est arrivée qu’à ça » (P. 353) « Mais mes clients n’y tenaient plus à ce que j’accomplisse des miracles, ils comptaient au contraire sur leur tuberculose pour se faire passer de l’état de misère absolue où ils étouffaient depuis toujours à l’état de misère relative que confèrent les pensions gouvernementales minuscules. Ils traînaient leurs crachats plus ou moins positifs de réforme en réforme depuis la guerre. Ils maigrissaient à force de fièvre soutenue par le manger peu, le vomir beaucoup, l’énormément de vin et le travailler quand même, un jour sur trois à vrai dire. » (P. 354) « On ne sait pas ce que c’est que de revenir et d’attendre quelque chose tant qu’on n’a pas observe ce que peuvent attendre et revenir les pauvres qui espèrent une pension » (P. 354) « La mort n’est après tout qu’une question de quelques heures, de minutes même, tandis qu’une rente, c’est comme la misère, ça dure toute la vie. Les gens riches sont soûls dans un autre genre et ne peuvent comprendre ces frénésies de sécurité. Être riche c’est une autre ivresse, c’est oublier. C’est même pour ça qu’on devient riche. Pour oublier. » (P. 355) « On était maintenant du même voyage. Il apprendrait à marcher dans la nuit le curé, comme nous, comme les autres. Il butait encore. Il me demandait comment s’y prendre pour ne pas tomber. Il n’avait qu’à pas venir s’il avait peur ! On arriverait au bout ensemble et alors on saurait ce qu’on était venus chercher dans l’aventure. La vie c’est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. » (P. 361) « Un peu meilleur l’endroit dans les débuts, forcément, parce qu’il faut toujours un peu de temps pour que les gens arrivent à vous connaître, et pour qu’ils se mettent en train et trouvent le truc pour vous nuire. Tant qu’ils cherchent l’endroit par où c’est le plus facile de vous faire du mal, on a un peu de tranquillité, mais dès qu’ils ont trouvé le joint alors là ça devient du pareil au même partout. En somme, c’est le petit délai où on est inconnu dans chaque endroit nouveau qu’est le plus agréable » (P.367) « Tout devient plaisir dès qu’on a pour but d’être seulement bien ensemble, parce qu’on dirait qu’on est enfin libres. On oublie sa vie, c’est à dire les choses du pognon. » (P. 374) « Quand on y réfléchit bien, il existe deux grandes espèces de petites amies, celle qui ont «les idées larges» et celles qui ont reçu «une bonne éducation catholique». Deux façons aux miteuses de se sentir supérieures, deux façons aussi d’exciter les inquiets et les inassouvis, le genre «fichu» et le genre «garçonne» » (P. 394) « La jeunesse vraie, la seule, c’est d’aimer tout le monde sans distinction, cela seulement est vrai, cela seulement est jeune et nouveau. Et vous en connaissez beaucoup des jeunes qui soient ainsi balancés ?…Moi, je n’en connais pas. Je ne vois partout que de noires et vieilles niaiseries qui fermentent dans les corps plus ou moins récents, et plus elles fermentent ces sordidités et plus ça les tracasse les jeunes, et plus ils prétendent qu’ils sont formidablement jeunes ! Mais c’est pas vrai c’est du bourre mou…ils sont seulement jeunes à la façon des furoncles à cause du pus qui leur fait mal en dedans et qui les gonfle » (P. 403) « Un fou ce n’est que les idées ordinaires d’un homme mais bien enfermées dans une tête. Le monde n’y passe pas à travers sa tête et ça suffit. Ça devient comme un lac sans rivière, une tête fermée une infection. » (P. 440) « La grande fatigue de l’existence n’est peut être en somme que cet énorme mal qu’on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c’est à dire immonde, atroce, absurde. Cauchemar d’avoir à présenter toujours comme un petit idéal universel, surhomme du matin au soir, le sous-homme claudicant qu’on nous a donné » (P. 442) « Un patron se trouve toujours un peu rassuré par l’ignominie de son personnel. L’esclave doit être coûte que coûte et même beaucoup méprisable. Un ensemble de petites tarés chroniques morales et physiques justifie le sort qui l’accable. La terre tourne mieux ainsi puisque chacun se trouve à sa place méritée. L’être dont en se sert doit être bas, plat, voué aux déchéances. » (P. 454) « Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l’air de rien les mots, pas l’air de dangers bien sur, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu’ils arrivent par l’oreille par l’énorme ennui gris mou du cerveau. On ne se méfie pas d’eux des mots et le malheur arrive. Des mots, il y en a des cachés parmi les autres, comme des cailloux. On les reconnaît pas spécialement et puis les voilà qui vous font trembler pourtant toute la vie qu’on possède, et toute entière, et dans son faible et dans son fort….c’est la panique alors….Une avalanche….on en reste là comme un pendu au dessus des émotions. C’est une tempête qui est arrivée, qui est passée, bien trop forte pour vous, si violente qu’on l’aurait jamais crue possible rien qu’avec des sentiments. » (P. 517)
A reblogué ceci sur Gunnar Sewellet a ajouté:
Voyage au bout de la nuit est le premier roman de Céline, publié en 1932.