« Par le feu » – Tahar Ben Jelloun

Mohamed, jeune tunisien âgé d’une trentaine d’années vient de perdre son père. Il vend des fruits et légumes sur sa charrette, et ne peut rien faire d’autre.

En permanence il doit déjouer les descentes de flics qui l’expulsent manu-militari des emplacements qu’il trouve…Bien sûr il y a des emplacements libres, mais là il n’y a pas de client. Les expulsions sont toujours violentes, les fruits  sont jetés par terre, Mohamed est régulièrement tabassé…Tous le prétextes sont bons.

Tout serait si simple, s’il acceptait de devenir un indicateur des flics…mais Mohamed a sa fierté et ne peut l’envisager. Il doit nourrir ses frères et sœurs et sa mère diabétique, alors il fait face comme il peut, se bat pour quelques dinars…il ne fait pas bon être chômeur sous le soleil tunisien. 

Il ne fait pas bon être jeune tunisien : il est impossible de vivre décemment sous la menace permanente de ces descentes de flics, sous leurs coups, sous leur violence, avec le chômage comme seul avenir.

A son âge il ne peut même pas envisager le mariage avec Zineb, son amie secrétaire dans un cabinet médical…Comment se marier quand on est incapable de faire vivre sa famille ? Comment envisager un futur? 

Les jours se suivent et se ressemblent. Tant d’autres jeunes sont comme lui, virés de partout, tabassés, humiliés par les flics qui prennent tous les prétextes pour le virer, le frapper, confisquer sa charrette et ses fruits…surtout quand il refuse d’honorer le Président, de placarder sa photo sur sa charrette… 

Alors Mohamed prend un bidon de gasoil, une allumette….

On connait la suite, une suite qui déclenchera la révolte d’une population, le départ de Ben Ali…

C’était à Tunis en décembre 2010….un petit livre de 50 pages pour partager la honte de ce régime, sa violence, l’immolation par le feu comme solution ultime.

Un petit livre pour honorer le souvenir de Mohamed Bouazizi, petit livre que je pris plaisir à relire. 

Les plus anciens d’entre nous se souviendront également de Jan Palach, qui en janvier 1969 à Prague déclencha une révolution, ouvrit la porte de la liberté à son pays et aux siens en s’immolant par le feu, seule solution pour protester contre la présence de l’armée soviétique dans son pays. 

« L’histoire de Mohamed n’appartient à personne; c’est l’histoire d’un homme simple, comme il y en a des millions, qui, à force d’être écrasé, humilié, nié dans sa vie, a fini par devenir l’étincelle qui embrase le monde. Jamais personne ne lui volera sa mort. » (P. 50)

Éditions Gallimard – 2011 – 50 pages


Présentation de Tahar Ben Jelloun


Quelques lignes

  • « La pauvreté, le manque, une résignation vague assuraient à sa vie une tristesse devenue avec le temps naturelle? Comme son père, il ne se plaignait jamais. il n’était pas fataliste ni même religieux. » (P. 9)
  • « Il aurait voulu leur répondre que dieu visiblement n’aimait pas les pauvres et que la terre était vaste mais seulement pour ceux qui avaient les moyens. Il se dit : « Pas la peine d’aggraver mon cas; ils sont capables de m’arrêter pour athéisme » (P.24)
  • « Si tu continues ainsi à dire du mal du gouvernement, tu vas nous attirer des emmerdements ; qu’est-ce que t’as à tout dénigrer ; tu veux que tout le monde soit riche? Tu es communiste, c’est ça ? Tu as intérêt à te calmer, parce que, dans ce pays, quand la police arrête quelqu’un on ne sait pas dans quel état elle le rend. » (P. 37-8)
  • « Tu portes plainte contre la police? Où tu te crois, en Suède ? » (P. 42-3)
  • « Si j’avais une arme, je viderais tout le chargeur sur ces salauds. Je n’ai pas d’arme, mais j’ai encore mon corps, ma vie, ma foutue vie, c’est ça mon arme… » (P. 45)

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