
« Dessiner ou écrire dans Charlie Hebdo a toujours été un acte politique, et si leurs dessins peuvent déclencher les rires, les dessinateurs du journal ne sont ni des comiques ni des humoristes. Chacun de leurs dessins est l’affirmation de leurs convictions et la violence de leur trait n’est que l’écho de celle du monde qui les entoure. » (P. 211)
Au nom de ces actes politiques, ils se réunissaient autour de cette grande table pour mettre en commun leurs dessins, leurs sourires, pour échanger leurs points de vue, leurs regards sur l’actualité. Il la retrouve au retour de l’hôpital. On imagine les parties de rire, mais aussi les coups de gueule. On reste sans voix, devant cette table qui les réunissait dans cette salle à jamais muette, maculée de sinistres traces devenues noires avec le temps.
Un jour sans aucun doute nous retrouverons toutes ces victimes tués de tout temps par des tarés, par des fous furieux, par ces détraqués qui mettent Dieu, ou disent mettre Dieu, au cœur de leurs préoccupations, de leurs pensées, de leurs actes.
Toutes les époques ont connu leur fanatiques, leurs Fous de Dieu, mais était-il encore pensable qu’au 21ème siècle, en plein Paris, des journalistes puissent être tués pour avoir blasphémé Dieu, puissent être tués au nom du fanatisme religieux.
La mort n’a pas voulu de lui, elle l’a laissé seul, pour affronter le vide laissé par ses copains…Le vide face à cette table qu’il revoit, cette table qui les réunissait pour boucler les éditions de Charlie-Hebdo.
Seul couché dans un coin de la salle, son épaule fracassée par cette sinistre balle, il voyait passer les deux fous tirant dans tous les sens;
Pourquoi est-il encore là? Lui et pas ses amis?
Riss avait affronté la mort, dès son adolescence . Au cours d’un travail il avait été employé dans une agence de pompes funèbres. Puis il avait côtoyé la mort violente à l’occasion de reportages en Afrique et au Vietnam.
Un livre intelligent et sobre, qui nous interroge sur nos sociétés, qui devrait interroger chacun de nous sur ses relations à Dieu, le droit à la dérision.
Un titre qui nous rappelle également l’historique de ce journal, les coups de gueule, ses débuts à La Grosse Bertha, ses rencontres avec tous ces autres auteurs et dessinateurs comme Gébé, François Cavanna, Cabu…partis avant lui, ses copains qui n’on pas souffert et ceux aussi qui comme lui passèrent des mois et des mois de soins, de douleurs, de rééducation…
En sortiront-ils guéris ? Mais peut-on en guérir ?
Bref un livre qui fit remonter tant de souvenirs, tant de tristesse et d’émotions, mais aussi tant d’unité de tous face à l’horreur.
« Les jours qui s’écoulent m’éloignent des adieux que je leur fis, et me rapprochent de l’accueil qu’ils me feront demain. Un jour, c’est sûr, on se retrouvera tous. » (dernière phrase du livre)
Éditeur : Actes Sud – 2019 – 312 pages
Lien vers la présentation de Riss
Lien vers le site de Charlie Hebdo
Quelques lignes
- « L’écriture est un égoïsme dont le seul but est la délivrance de celui qui s’y prête » (P. 10)
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« Les épisodes de la vie ne se rangent pas comme les couverts sur la table : les bons moments à droite et les mauvais à gauche. tout s’entrechoque avec obligation de cohabiter. Ainsi naît l’humour. Le rire s’amuse de ces mariages inattendus, lorsque la gravité rencontre le ridicule, que la tristesse embrasse le loufoque et que le sérieux s’abandonne avec légèreté. L’humour ne fuit pas la tragédie de la vie, mais au contraire, se l’approprie pour le rendre supportable. L’humour est parfois la seule issue pour échapper à la folie. » (P. 43)
- « En démocratie, chacun possède des droits qui le protègent et lui permettent de se défendre et de faire comparaitre les coupables. Malheureusement, trop peu d’entre nous ont conscience du niveau de protection que l’Etat de droit leur accorde. Car ils sont rares les endroits sur terre où existe un tel luxe. » (P. 61)
- « Faire s’effondrer des humains, les transformer en masses immobiles, les briser comme un enfant vicieux qui se délecte de casser ses jouets, d’autres humains son capables d’aimer ça. tout existe chez l’humain. (P. 72)
- Victime est un mot qui vous range aux côtés des chiens battus victimes de leurs maîtres, des enfants martyrs victimes de leurs parents, des licenciés pour cause économiques victimes des lois du marché. Le mot «victime» est un faux ami qui vous aide pas mais au contraire vous met la tête sous l’eau et vous noie. » (P. 75)
- « Les tragédies sont comme les tempêtes : à marée basse, elle dévoilent rarement des trésors mais plus souvent des épaves. » (P. 136)
- « Le traumatisme de l’attentat, associé à cette montagne d’argent tombé sur nos têtes, dévoila brutalement la superficialité de la relation que certains collaborateurs avaient avec Charlie Hebdo. Ils crurent que le 7 janvier fabriquerait les liens profonds qu’il n’avaient pas réussi à tisser avec le journal durant les années précédant le drame. » (P. 138)
- « En 1940 comme en 2015, les collabos avaient des moyens intellectuels et culturels pour résister, que d’innombrables ne possédaient pas. Mais ils n’en ont rien fait. Au contraire, ils ont cherché à détourner le plus grand nombre pour conforter leur lâcheté. ils auront été, cette année 2015, la plus parfaite incarnation de ce qu’on appelle «l’esprit collabo». (P. 185)
- « Les jours qui s’écoulent m’éloignent des adieux que je leur fis, et me rapprochent de l’accueil qu’ils me feront demain. Un jour, c’est sûr, on se retrouvera tous. » (dernière phrase du livre)

