
….les livres, comme nous le dit si bien Luba Yakymtchouk, ne servent pas seulement en temps de guerre, à barricader les fenêtres. Les livres sont aussi des armes. » (P. 13).
Vous tenez entre vos mains 14 armes qui vous permettront de mieux connaître ce conflit, 14 armes….14 stylos tenus par 14 auteurs âgés de 34 à 72 ans, de toutes régions, qu’Emmanuel Ruben avait contactés, afin qu’ils partagent leur regard, leurs émotions sur cette guerre et leur pays…..14 regards masculins et féminins….des regards d’une quinzaine à une quarantaine de pages .
Parler de la guerre, oui, mais surtout parler d’un lieu symbolique à leurs yeux…des lieux qui nous permettent de découvrir une autre face de l’Ukraine….Ukraine que nous sommes, je pense peu nombreux à connaître. Alors quoi de mieux que la littérature pour approcher un pays, grace à ces regards d’auteurs ….Le Robert admet le mot « Auteur » y compris pour les femmes.
Certains d’eux ont depuis longtemps quitté l’Ukraine, et livrent leurs souvenirs. D’autres y vivent encore, mais tous ont estimé que leur place était bien dans ce projet littéraire, transmettre des souvenirs, des émotions, des coups de cœur, ou leur rage, alors que les avions russes larguaient leurs bombes.
Et nous permettre de découvrir les paysages miniers, terrils, les mineurs de fond, d’emprunter les routes maintenant détruite par les chenilles des chars russes, mais aussi les camps de concentration dans lesquels la torture est toujours pratiquée, les villages construits pour les réfugiés de Tchernobyl…
Tout ça, c’est bien loin de nous, dirons certains. Détrompez-vous ! Certains villages de l’Ukraine, sont à nos portes, plus proches de l’Europe que de Kiev.
Vous lirez des récits de voyage, des aventures de vie, vous vivrez des promenades en forêt, la vie des montagnards, vous visiterez les Carpates, les alpages, Vous vivrez la vies des bergers.
Et…vous découvrirez que la diffusion des reportages des télés occidentales renseignent les Russes!
» Boutcha, Marioupol, Kramatorsk, Krementchouk, Vinnytsia : le seul avantage des guerres, pour un pays occupé, c’est qu’elles familiarisent le monde entier avec sa géographie » ….première phrase du livre.
Personne ne croyait encore qu’une guerre pourrait advenir en Ukraine et que toute la ville serait occupée. » (P. 106)
Humour, dérision, drames et gravité…..
Espérons toutefois que ne parviendrons pas avec le temps à nous familiariser avec ce conflit, avec ce crime russe, mais qu’au contraire notre indignation restera intacte.
« Pouvoir tsariste dans un passé lointain, régime soviétique répressif dans un passé plus récent….La Russie poursuit ses efforts pour imposer à l’Ukraine libre la matrice de sa monarchie dégénérée. » (P. 277)
Textes et Auteurs:
-
« Maison mon amour » – Luba Yakymtchok (P. 19)
-
« Datcha » -Taïs Zolotkovska (P. 41)
- « Quand les marronniers de Crimée perdent leurs feuilles » – Anastasia Levkova
- « Une Atlantide Ukrainienne » – Lyubko Deresh – (P. 83)
- « Il faut que tu le vives » – Kateryna Babkina (P. 113)
- « Donetsz, ses terrils, ses rosiers, son soleil et sa steppe » – Vlodymyr Rafeyenko – (P. 125)
-
« Déflagration » – Boris Kheersonsky (P. 145)
-
« Deux petits cœurs » – Artem Tchekh (P. 159)
- « Krioukivchtchyna, Un rève ukrainien » – Petro Yatsenko (P. 195)
- « La limite orientale de l’aire naturelle du hêtre » – Taras Prokhasko (P. 235)
- « Oujhorod, transcarpatie, Periferia Absoluta » – Andriy Lubka (P. 245)
- « Le village de Lararivka et ses environs – Andreï Kourkov (P. 263)
Éditeur : La Cosmopolite – 2022 – 281 pages
Quelques lignes
-
« La guerre est la plus terrible des leçons de géographie. Elle fait éprouver au soldat les plis du terrain, elle enseigne au stratège les courbes de niveau, elle fait voyager contre leur gré des milliers de familles à travers leur propre pays, elle sépare les couples et leur fait endurer l’épreuve d’une distance physique infranchissable, elle apprend au journaliste à bien prononcer le nom d’une ville étrangère, elle trace de nouvelles frontières entre nous et les autres. » (P. 12)
- « La guerre détruit non seulement nos lieux préférés, mais aussi nos mots préférés et le mot qui a le plus souffert pendant la guerre est probablement celui de «maison». Des centaines de milliers de personnes en Ukraine on perdu le mot «maison». Cette perte est pour eux une plaie béante. » (P. 22)
- « Pour nous, la datcha n’est pas un lieu, mais un membre de la famille. Elle demande une attention constante : réparer le toit, arroser les plantes, faire du feu. » (P. 48)
- « Se retrouver dans le «verre» ou «le tuyau» constituait en soi une forme de torture. «L’aquarium» était le box en verre où l’on plaçait un inculpé pendant son procès quant à l’épithète «égarés » elle désignait les gens enlevés par les services spéciaux russes, ceux qui disparaissent sans laisser de traces » (P. 73)
- « Comme l’Atlantide de Platon, tout ce que nous avons vécu ensemble, étudiants russes et ukrainiens, a sombré avec les villages autrefois engloutis par le pouvoir soviétique. Sombré avec les enfants tués par les missiles russes. Sombré avec les femmes ukrainiennes violées par les soldats russes. Sombré avec tout le «monde russe » autrefois présent en Ukraine. » (P. 111)
- « Je ne peux descendre nulle part, car le monde qui était le mien, englouti profondément, inatteignable et meurtri, se noie sous le poids non de l’eau mais de l’invasion sanglante, et moi, bien que loin de lui, je suffoque et je me noie avec lui. » (P. 124)
- « Ils nous ont exterminés, ils nous ont forcé à oublier notre langue, pendant des générations ils ont essayé de faire de nous un appendice dévalorisé de la culture russe. Mais ils n’ont pas réussi. Nous avons survécu, nous avons gagné notre indépendance et nous avons commencé à nous unir autour de l’idée ukrainienne, à forger notre société malgré l’adversité. Devant nous s’ouvrait la voie de l’unité politique et d’une croissance économique lente mais irrépressible. Mais cela, à l’évidence, était inacceptable pour la Russie; le Kremlin savait très bien que notre départ définitif de l’orbite russe, en aspirant à devenir un état européen à par entière, équivaudrait à la mort de l’empire russe. » (P. 139)
- « Son objectif ? Détruire tout ce que j’ai énuméré plus haut. Anéantir non seulement le «rêve ukrainien» mais aussi annihiler à la fois l’«Ukrainien» et l’idée même de «rêve». Voler le blé, troubler la quiétude, massacrer les enfants. » (P. 212)
- « C’est donc toujours à l’aune de leurs montagnes natales que pensent les montagnards » (P. 237)
- « Pourquoi les mouvements de population, lors des guerres et des grandes catastrophes, se font-ils pour l’essentiel d’est en ouest? Pourquoi en URSS, l’Ouest était-il considéré à la fois comme une menace pour le régime et comme un rêve pour le citoyen ordinaire? Pourquoi, ces trente dernières années, la menace pour l’Ukraine est-elle toujours venue de l’Est » (P. 274)

