« Parfums » – Philippe Claudel



  • « Le brouillard agit comme le couvercle d’une cocotte : il maintient en lui, sous lui, les odeurs de terre surprise par un automne adolescent d’herbe fatiguée par la froidure des matins, de bêtes encore aux champs; de près vacants et d’asphalte trempé. C’est un grand flacon sans paroi, un pulvérisateur incessant. » (P. 35)
  • « Même le vin rouge ordinaire, pour peu q’on le laisse frémir longuement dans une casserole sur un coin de fourneau, après y avoir jeté sucre, tranche d’orange, clou de girofle et poignée de cannelle, se mue grâce à elle en u diable ensorcelant qui brûle les mains autour du verre quand lequel on le sert, chauffe bouche et gorge, verse le feu dans le ventre fait naître rires et lumières au coin des yeux et sur les joues heureuses que le froid de dehors a rosies. Les langues se mettent à tisser contes et fantasmagories. » (P. 43)
     
  • « On permet à l’enfant que je suis de respirer ces odeurs de pollens morts, de laines veuves et de linges orphelins pour qu’un jour il les relie dans une trame et ressuscite des vies perdues au fil des guerres, des maladies et des accidents. » (P. 46)
  • « Odeur d’enfance et odeur de pauvreté, de tristesse aussi, comme si les particules noires de combustion illustraient les malheurs, petits ou grands, dommageables ou bénins, pérennes ou passagers, qui se déposent sur les lies humaines et les souillent. » (P. 54)
  • « Ce n’est pas seulement une odeur de linge lavé, propre, que je hume, mais bien celle d’une géographie de terre et de vent, sauvage et ample, étendue d’une infinité de contes, de gables, de chants, d’images que j’ai lus et regardés, et qui font de loi, sous les toits, dans les premiers pas du sommeil, dans ce lit tendu  des ses draps nouveaux que mes grand-mères et grand-tantes ont jadis paré de fleurs, de courbes et d’arabesques avec leurs patientes aiguilles, un voyageur céleste et rassuré, un être vulnérable qui se sait pour un temps entouré et heureux.(P. 84)
  • « L’encre sur nos doigts laisse des marques policières, que le robinet d’eau froide à la récréation dilue sous le préau de ciment en gouttes bleuâtres. Nous écrivons en pointant la langue entre nos lèvres, engoncés dans nos blouses qui de mois en mois rétrécissent, les codes bien à plat sur le pupitre, la plume adoucie de salive et qui glisse sur le papier à carreaux. Pleins et déliés. Le geste et la concentration sont ceux du copiste du Moyen Âge. » (P. 178) 
     
  • « Car aucun sexe n’est pareil à un autre, aucun ne s’orne des mêmes fragrances, et les baisers qu’on y dépose, comme des offrandes ou des consolations, tentent d’apprivoiser la belle créature endormie qui semble y vivre, dans un prégnant parfum qui, selon les femmes, rappelle le boisé du cèdre, le pain que l’on grille; la faible acidité du cédrat, le musc de certaines fourrures sauvages, le lait, le malt, le caramel; mais tout ceci dans une atténuation de notes mineures, une susurration d’odeurs qui, pour être perçues et célébrées demandent à ce qu’on s’approche au plus près, qu’on y pose ses narines et ses lèvres, qu’on l’embrasse et le respire, les yeux fermés, aves l’humilité agenouillée de l’orant devant la déesse.  » (P. 192)
  • « Nous produisons toujours plus d’ordures, mais nous soulevons le tapis et les glissons dessous. Eaux usées. Sales, troubles, souillées, rancies, bourbeuses. témoins à charge. nos vie à lire dans le purin, mais à quand le procès? » (P. 193)
     
  • « Chaque lettre a une odeur, chaque verbe, un parfum. Chaque mot diffuse dans la mémoire un lieu et ses effluves. Et le texte qui peu à peu se tisse, aux hasards conjugués de l’alphabet et de la remembrance devient alors le fleuve merveilleux, mille fois ramifié et odorant, de notre vie rêvée, de notre vie vécue, de notre vie à venir, qui tour à tour nous emporte et nous dévoile. (Dernière phrase du livre)

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