
« Nos repas devaient se dérouler dans l’ordre imposé par le règlement, de la soupe au dessert. Et il était strictement interdit de picorer comme bon nous semblait. Le clairon appelant au rata, l’arrivée au réfectoire en rangs militaires, le claquement de mains, les cuillères tous ensemble, les fourchettes tous ensemble, le fruit tous ensemble, le claquement de mains, puis quitter la cantine en rang et en silence. » (p . 113)

…et ce n’est qu’une vexation parmi tant d’autres. Une vexation ou plutôt une règle absurde imposée, coups à l’appui, si nécessaire, à ces gamins regroupés pour une bêtise d’un soir, plus ou moins importante, un vol voire même des coups donnés quelques mois ou années auparavant.

Ils sont là dans un ancien bagne entouré d’un mur de 6 m de haut, dans lequel ces mineurs « délinquants » se préparent aux métiers de la marine, un bateau avec son gréement complet est placé au milieu de la cour pour leur formation , mais ces gamins ne sortent jamais en mer. Il apprennent à réaliser des cordages et s’entraînent à terre sur le bateau !
Tant d’autres règles absurdes parfois sont imposées à ces gamins, souvent voire même toujours privés d’amour et de famille depuis leur naissance….Sinon ils ne seraient pas là !
Ces vexations, nées de l’inventivité des matons sont destinées à dresser ces gamins. Je n’emploie pas d’autre mot, à dessein on ne peut parler ni d’éducation ni de formation !
Ces punitions s’accompagnent de coups et souvent d’un isolement, pour un ou plusieurs jours, dans une cellule crasseuse, froide et humide . Ce sont les lieux qui l’imposent. Ils vivent en effet sur l’île de Belle-île dans un ancien bagne qui accueillit des délinquants adultes bien plus dangereux et mauvais qu’eux. Nombre de ces gamins ont, bien souvent dans leur passé, été privés d’amour parental.
Ces gamins internés dans ce fort sont privés de tout et contraints de vivre dans la froideur et l’humidité des lieux…ils sont sur une ile battue par les vents et sont à la merci de la violence, de la méchanceté et de la bêtise …, le mot connerie serait plus approprié… des surveillants.
Impossible de déroger aux règles absurdes qui ont été établies au fil des années.
Révoltant !
Les incidents se succèdent, mais ce soir de 1934, un incident qui aurait dû rester banal se produit : un gamin ne respecte pas l’ordre imposé..entre le soupe et le dessert…il a mangé son fromage avant sa soupe….coups des surveillants, les gamins se révoltent…le feu couvait depuis bien longtemps. Les gamins se révoltent, les coups pleuvent…et un semblant de calme revient, après des mises au cachot, des coups et des coups…..La seule chose que savent faire les surveillants : cogner, cogner !
Un semblant de calme revient, mais Jules Bonneau, dit La Teigne, un gamin qui n’est pas ménagé par les surveillants reste manquant.
Le méfait qu’il avait commis et pour lequel il était puni et gardé sur l’île est « grave » !!!! : il avait volé trois œufs en 1921 ! Il porte un amour immense à sa mère dont il ne conserve qu’un ruban qui ne le quitte pas. Une privation d’amour qui n’est sans doute pas étrangère à son comportement
Toutes les recherches pour le retrouver restent vaines….
C’est là le début de la partie romancée de l’Histoire. La réalité est plus sinistre : tous les gamins ont été repris.
C’est autour de Jules Bonneau, dit « La Teigne », personnage clé du roman, personnage inventé par l’auteur, le cinquante et unième gamin que le roman se construit. I
Je n’en dirai pas plus ! Un titre édifiant, lu d’une traite.
Ecoeurement garanti. La France des droits de l’homme avait encore bien du chemin à faire !
J’ai oublié de vous dire que l’Histoire avec un grand « H » a enregistré la capture effective des 50 gamins qui avaient « tenté la belle ! » Difficile de quitter une île même assez proche du continent !
Jacques Prévert en a parlé bien mieux que moi….un extrait de son ouvrage PAROLES:
https://www.lapoesie.org/jacques-prev
Lien vers la présentation de Sorj Chalandon
Quelques lignes
« Loiseau avait repris sa place à l’atelier de couture, là où les caïds viennent choisir leur «petite femme»
« Les récifs, les courants, les tempêtes . On ne s’évade pas d’une île. On loge ses côtes à perte de vue en maudissant la mer. Même si certains ont tenté le coup. » (P. 23)
« Éducation correctionnelle comme ils disent. Ils veulent nous instruire, nous ramener au bien. Pour nous inculquer le sentiment de l’honneur ils nous redressent à coups de triques et de talons boueux. Ils nous insultent, ils nous maltraitent, ils nous punissent du cachot, une pièce noire, un placard étroit, une tombe. Ils nous menacent le jour et la nuit. » (P. 24)
« Pour survivre ici, il faut être en granit. Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. Même lorsque tu as peur, même lorsque tu as faim, même lorsque tu as froid, même au seuil de la nuit cellulaire, lorsque l’obscurité dessine le souvenir de ta mère dans un recoin. » (P. 34)
« J’avais été condamné à deux jours de Bal, des Laudes jusqu’aux vêpres. À une journée de «pain sec sans pain» comme disait Le Goff, six jours de pain sec et six jours de cachot. J’ai pleuré tous les soirs, en secret , de colère et de douleur, le visage enfoui dans mes draps. Ils avaient voulu que j’avoue. J’ai nié jusqu’aux larmes. A aucun moment ils se sont dit qu’ils m’avaient peut-être fait courir pour rien, isolé pour rien, affamé pour rien. A part une dénonciation, ils n’avaient aucune preuve conter moi mais il leur fallait un coupable. Ert faire un exemple aussi. » (P. 63-4)
« Mais comme je ne pouvais pas être abandonné à la rue sous peine de vagabondage, la Justice a décidé de m’envoyer en maison de redressement, jusqu’à ma majorité. Ils appelaient ça une Colonie pénitentiaire. » (P. 80)
« Ce jour-là, j’aurais dû être à l’exercice, mais j’ai rejoint un puni. Lui était ligoté au grand mât depuis le matin. Une bagarre entre détenus dans l’atelier des tailleurs. Il avait frappé le surveillant qui avait tenté de s’interposer. L’année dernière, son petit frère en avait eu assez d’apprendre le nœud en huit, le nœud de chaise, le nœud de taquet. Il avait fabriqué un nœud coulant tout simple et s’était pendu à une poutre du réfectoire. » (P. 102)
«….nous qui étions dans l’antichambre des Maisons centrales, de Cayenne ou des bagnes d’Afrique. Les victimes comme Loiseau étaient la monstruosité de ce système » (P. 110)
« Tout devenait possible, alors que rien ne l’avait jamais été. Frapper ceux qui nous avaient battu. Casser les bancs qui blessaient nos chairs, briser les vitres mouchardes, renverser nos écuelles à chien, brûler nos paillasses, enfoncer nos pertes, défoncer les murs des douches que les caïds obligeaient leurs gitons à lécher. Nous n’avions pas pensé à demain. » (P. 131)
« Le Bon Dieu et tous ses saints n’avaient jamais mis le pied à la Colonie pénitentiaire. Pendant les coups de bâton, les tours de Bal, les humiliations, la faim, quand les petits étaient enfouis dans la braguette des grands sans que les gardiens bougent, il était où Jésus » (P. 169
« Pendant la guerre de 1870, les fantassins bretons réclamaient davantage de pain et de vin à leurs officiers pour mieux botter le cul aux Prussiens. Ces soldats ne parlaient pas français. Et c’est en breton qu’ils revendiquaient du bara frais et des pichets de Gwin. Ils scandaient Bara ! Gwin ! Bara ! Gwin ! Prêts à mettre le crosse en l’air. « (P. 253)
« Le maître d’école avait oublié de nous dire que les premiers prisonniers de notre colonie étaient des insurgés parisiens. » (P. 280)

