On parle souvent de l'enchantement des livres. On ne dit pas assez qu'il est double. Il y a l'enchantement de les lire et il y a celui d'en parler. (Amin Maalouf – Les désorientés)
« Je ne connais pas d’Algérien qui ne parle pas d’espoir cent fois par jour en étant assis. Non, je n’en connais pas. Je me demande ce que veut dire ce mot. » (P. 56)
Lamia, la narratrice travaille dans un hôpital en qualité de pédiatre et vit dans une maison ancienne coincée dans une vieille rue d’Alger. Une maison toute de guingois qui n’a jamais connu l’angle droit ! Elle dit d’elle : On m’appelle « la vieille » en y mettant un semblant d’affection pour faire passer la pilule. »
Une maison qui, au fil du temps, s’est transformée, chaque propriétaire l’ayant modifiée à son goût…tous n’ont pas eu cependant la même définition du patrimoine architectural et du bon goût !
…un peu comme cette Algérie, qui aurait tout pour être un beau pays…si génération après génération une politique lucide et ambitieuse avait été mise en place et suivie, par les pouvoirs successifs, au profit de la jeunesse.
…puis un jour, Lamia fait la connaissance de Chérifa…une jeune femme un peu fantasque,…et enceinte …. une jeune prostituée.
L’avortement est interdit !
Lamia lui a permis de surmonter ses angoisses, des angoisses qui l’incitaient à tout quitter …par le suicide.
Mais parallèlement à cet aspect « roman », de ce titre, Boualem Sansal développe d’autres points bien plus sociologiques et politiques, coups de sang sans aucune complaisance présentant la vie en Algérie : vie des jeunes hommes ou des jeunes femmes en Algérie,
Les hommes de tout âge sont en chasse perpétuelle…..alors les jeunes filles tombent enceintes. Elles devront alors se débrouiller seules…car elles n’ont que bien peu d’aides à attendre du pouvoir, des lois ou des familles qui les rejettent ! Il n’y a pas de foyers pour accueillir ces jeunes filles enceintes !
Jeunes hommes et jeunes femmes n’ont qu’une seule idée en tête : rejoindre l’Europe par tous moyens…être des « Harragas » qui tenteront de traverser la Méditerranée, ou l’Espagne par tous moyens …Rejoindre le rêve !
Tous, loin de là ne réussissent pas le passage des frontières et certains doivent affronter le racisme entre migrants au cours de ce voyage risqué.
Ce titre évoque également à plusieurs reprises cette hypocrisie dans l’éducation des enfants, les différences entre droits et devoirs accordés ou attendus de la part des jeunes hommes d’une part et des jeunes filles d’autre part.
Les jeunes filles enceintes n’ont que très peu de possibilités d’accueil en foyers et rares sont les foyers parentaux qui accepteront leur condition.
Ce titre évoque également les colonisations anciennes, française d’une part et présence turque d’autre part, et leurs apports culturels dans la vie algérienne…et ce n’est pas le moindre …. le miroir aux alouettes que constitue l’Europe.
Nombreux sont les jeunes qui disparaîtront à tout jamais…perdus dans ce Sahara ou ailleurs en tentant ce voyage risqué vers leur idéal de vie.
Une association des jeunes et familles a été constituée en Algérie afin de rechercher des jeunes en détresse portés disparus dans l’émigration clandestine.
Cette présentation de la vie algérienne, ce coup de gueule ne doivent pas beaucoup plaire au pouvoir…L’actualité nous le confirme. Il faut du courage, beaucoup de courage pour témoigner.
Boualem Sansal doit être soutenu dans le combat qu’il mène depuis sa cellule.
Une association a été créée afin de soutenir l’auteur…ce n’est pas le livre qui l’évoque, mais un besoin personnel d’information et de partage :
« C’est triste une femme qui se découvre être une vieille fille. Chérifa me terrorisait avec ses dérèglements et me charmait par ses désordres. » (P. 22)
« Hormis le jardinet redevenu savane pelée, la maison ne souffrait plus que de l’arthrite et contre cela un vieux ne peut rien. » (P. 29)
« La démocratie a du bon aux yeux de la police. Pour tout avouer, plus elle se donne de droits moins elle se connaît de devoirs. » (P. 34)
« Du sang a coulé sous les ponts et des océans d’amertume dans les cœurs. Le quartier a changé de peuple plusieurs fois depuis ce temps, c’est à ne pas s’y retrouver soi-même. Les mutations ont été menées au canon, les plus rapides ont changé d’air, les traînards ont pris sur la tête. Pas d’accalmie, pas de pitié. L’exode rural, qui fut le grand succès de l’époque, a fait d’Alger une misère sans fin, on entre, on sort, puis on disparaît dans un bidonville ou un autre. Ses tentacules ne comptent pas, ils s’enroulent et se déroulent d’un horizon à l’autre. » (P. 35)
«Depuis je suis traumatisée, je me pose la question : l’islam fabrique t-il des croyants, des lavettes ou simplement des terroristes ? La réponse n’est pas simple, les trois peuvent être d’excellents comédiens. Et d’ailleurs, il est avéré que l’islam d’aujourd’hui est une mise en scène et d’abord un sacré levier pour les pilleurs de tombes. » (P. 41-2)
« Si on ne peut pas vivre chez soi, pourquoi aller mourir chez le voisin. » (P. 45)
« Sur le chemin des harragas, on ne revient pas, une dégringolade en entraîne une autre, plus dure, plus triste, jusqu’au plongeon final. On le voit, ce sont les télés du satellite qui ramènent au pays les images de leurs corps échoués sur les rochers, ballottés par les flots, frigorifiés, asphyxiés, écrasés, dans un train d’avion, une cale de bateau ou le caisson d’un camion plombé. Comme si n’en savions pas assez, les harragas ont inventé pour nous de nouvelles façons de mourir. Et ceux qui réussissent la traversée perdent leur âme dans le pire royaume qui soit, la clandestinité. Quelle vie est la vie souterraine ?» (P. 47)
« Certains soirs, se prendre la tête entre les mains, coudes sur les genoux, est le seul geste qui vient à l’esprit, la vie est absente, inutile de s’agiter. » (P. 58)
« Ces allées et venues, par nature intempestives, furent préjudiciables à la demeure. Les transformations opérées étaient des défigurations. Par cette voie, le faux bois, le formica, le linoléum, le plastique et skaï envahirent la vénérable demeure, chassant brutalement tommettes et stucs, mosaïques et cuivres et jusqu’à l’odeur têtue du vieux cuir. Une vraie pitié. » (P. 75)
« Mais enfin, la richesse c’est quoi lorsqu’on ne connaît pas la valeur des choses ? Et c’est quoi la misère lorsqu’on méprise le savoir ? Qui se veut adepte du malheur s’assume ! Ils est temps que les miséreux sachent ce qu’ils veulent à la fin, rester dans la mouise ou s’en sortir et que nos riches apprennent à se tenir. Ça me rend folle, ces manières là ! Tout ça pour dire qu’Alger n’est pas de tout repos. » (P . 84)
« Tout ce qui se produit dans le monde de loups, de rossignols, de navets et de gadgets scintillants se déverse sur nos marchés et s’arrache à la volée alors même que personne ne travaille et que pas un ne sait d’où lui viennent ses revenus. J’aimerais que les économistes sortent des salons et viennent m’expliquer ça. » (P. 101)
« Et d’abord lui enfoncer dans le crâne la première règle de vie à Alger : se méfier de tout le monde, les passants , les voisins, les prédicateurs, les loubards, les policiers, les juges, les messieurs bien mis de leur personne qui manient la politesse comme un moulinet. » (P. 103)
« Il faut comprendre que dans ce pays à la noix, on a le droit de se plaindre autant qu’on veut, pas celui d’ennuyer ces péquenots du gouvernement. Ils sont nerveux, les organisations internationales les asticotent, elles veulent savoir pourquoi ils sont si combinards, cruels comme des poux, et comment il se fait que tant de gens disparaissent au nez et à la barbe des familles et des pouvoirs publics. » (P. 111)
« Si les rois et roitelets de ce pays jusqu’au dernier étaient passés à la roue, sans oublier leurs misérables bouffons, les jeunes verraient enfin la lumière. » (P. 114)
« L’évolution étant ce qu’elle est et le monde musulman ce que nous voyons, j’ai cherché à comprendre pourquoi les filles étaient martyrisés et les garçons adulés et s’il fallait y voir le doigte de Dieu ou la main du diable. Très vite je suis arrivée à la conclusion toute bête que notre société n’a pas d’oreilles pour entendre les filles» (P. 125)
« Pour chaque homme de cette planète, il y a un livre qui pourrait tout lui dire comme une formidable révélation. On ne peut lire ce livre et rester soi-même. Le drame avec les ignorants est qu’il faut tout leur montrer, et plus on leur en dit, plus ils se ferment. Le refus de l’instruction leur tient chaud au cœur. » (P. 132)
« Selon les statistiques, le problème des filles est différent de celui des garçons, mais pas moins sérieux. Elles s’évaporent à l’intérieur du pays, ils se volatilisent à l’extérieur. […] Les filles fuient le milieu familial, elles veulent s’émanciper, cacher une faute, vivre un amour interdit, ne passion inédite, les garçons sont des rêveurs en quête d’avenir mirobolant, ils ne croient pas que le pays leur donnera un jour les moyens d’assouvir leurs fantasmes.» ( (P. 162-3)
« Quand même, nous gardons un bon souvenir des Turcs. Nous tenons d’eux la chorba, la dolma, le chiche-kebab et les loukoums grâce à quoi nous nous acquittons honorablement du ramadan, notre mois de famine générale. On ne leur en veut pas de nous avoir colonisés, brimés, ratiboisés et laissé en legs leurs coutumes barbares : l’intrigue, la flibuste et le goût de l’extermination. L’idée de passer l’éponge est ancrée chez les musulmans, le principe étant que la foi produit les mêmes certitudes et les mêmes renoncements chez l’un et chez l’autre. Raison pour quoi, leurs pays passent le lus clair du temps à s’expliquer. En religion, le temps ne compte pas, l’ardeur est le principal. » (P. 177)
« A Alger il ne se passe rien. Et en Algérie, il ne se passe rien. Comme dans un cimetière, un jour d’automne d’une année morte dans un village abandonné d’une lointaine campagne d’un pays perdu d’un monde mal fichu. » (P. 237)
«Si les démocraties occidentales – à commencer par la France – veulent éviter le pire, il est donc grand temps qu’elle fassent preuve de lucidité-réalisme face aux mollahs » …dernière phrase du livre.
L’auteur précise : « Ce qui m’intéressait particulièrement, c’était de comprendre quels étaient les fondements religieux et idéologiques de la République islamique d’Iran, ce sur quoi ils reposaient et comment celle-ci s’était transformée en État mafieux. » (P. 38)
Un livre pas toujours aisé, mais surtout un livre courageux. Très courageux, car l’auteur risque sa vie en dévoilant les turpitudes du régime, les viols, les assassinats et disparitions de ceux qui en Iran aujourd’hui osent ou osaient s’opposer aux religieux qui gèrent le pays. Il sait qu’il est menacé.
Un livre également très documenté, quant à l’Histoire de l’Iran de ces cinquante dernières années.
Aujourd’hui, des religieux s’associent aux trafiquants de drogue, de toutes les drogues, Cocaïne et autres, et qui en font les ressources, les moyens de leurs actions.
Des moyens inépuisables.
Une économie et un régime qui ont d’autres moteurs, également très puissants : le pétrole, l’uranium….et l’antisémitisme dans une société très codifiée, et dirigée au carcan !
Ce livre traînait sur une table de la Médiathèque…sans doute un lecteur intéressé par le thème, l’a feuilleté et laissé, de peur d’affronter cette dure réalité, et les cauchemars qui pourraient s’en suivre. Car cette lecture n’est cependant pas toujours aisée, mais souvent dérangeante car très documentée.
Oui, il faut du courage pour décrire, chiffres et faits à l’appui, les risques que font courir au monde les mollahs qui à ce jour dirigent l’Iran…et les risques géopolitiques pouvant affecter le monde entier, notamment la gestion du Détroit d’Ormouz, par lequel transitent tant de cargos
L’Iran : un pays que j’ai vu évoluer – dans la presse – au cours de ma vie.
Il y a bien longtemps la presse nous présentait un Iran « bling-bling» celui du Shah d’Iran, qui avec son épouse s’étalaient régulièrement en premières pages de Paris-Match.. C’était un aspect qui plaisait dans les chaumières !
Papier glacé, photos bien cadrées, pas naturelles….bref du Paris-Match grand cru ! On devait sans doute, je le suppose retrouver les mêmes « infos » creuses dans Ici-Paris. Concurrence oblige !
Ou comment se moquer de ses lecteurs en leur offrant du vide.
Au moins ça nous permettait d’attendre les ciseaux du coiffeur….
Aujourd’hui, cette drogue qui transpire de partout, ces narcotrafiquants qui ont pignon sur rue et ce pétrole sont des armes très puissantes. Il y en tant en a tant et tant à disposition. Des avions gros porteurs sont même affrétés pour transporter des lingots d’or ! Dans d’autres paradis !
Ces « armes » sont présentes à toutes les pages ou presque. Elle sont les moteurs du pays de même que l’hostilité à l’égard de l’Irak.
Non contents de disposer de ces moteurs increvables, l’Iran travaille sur un autre moteur… le nucléaire…nucléaire iranien toujours géré et voulu par les religieux, un moteur entre des mains qui pourraient l’utiliser contre Israël. Un risque et un moteur freinés par l’Occident…Jusqu’à quand?
Oui, l’Iran disposerait de suffisamment d’uranium pour fabriquer plusieurs bombes!
Petit oubli…et non des moindres. L’Iran est un gros fournisseur d’armes, notamment de drones, dont la Russie de Poutine raffole par les temps qui courent pour tenter d’écraser l’Ukraine. Une Russie amie et alliée de l’Iran !
Un ouvrage pas toujours aisé à lire, mais qui a surtout la faculté d’attirer l’attention du lecteur sur ce pays, ses conditions de vie, ce régime de religieux, et les dangers de toute nature pouvant apparaître .
« La mort et les larmes, tout au long de ce voyage au cœur des ténèbres iraniennes, ont en fait été mes compagnes en chaque instant. » (P. 37)
« On n’imagine pas à quel point il y a des idéologues totalement mystiques au sein du gouvernement iranien, qui rêvent de l’affrontement final, et de déclencher le Jihad mondial. » (P. 125)
Une attention à ne jamais relâcher.
Coup de chapeau à l’auteur …. Au moins on ne pourra jamais dire « Nous ne savions pas ! »
« Ils font peur aux plus grands États de la planète » (P. 132)
« Enquêter sur la face cachée du régime iranien, c’est s’exposer au mieux à des menaces de mort, au pire au risque d’être abattu d’une rafale de mitraillette en pleine rue» (P. 15)
« L’Iran des Mollahs est en réalité un État islamique qui tient du régime nazi et de la famille Corleone » (P. 15)
« ..la révolution islamique a été engendrée par un pervers psychopathe dont les disciples, encore à l’œuvre aujourd’hui, s’affranchissent de toute humanité au nom de ses préceptes aussi rétrogrades qu’odieux. » (P. 26)
« La mort et les larmes, tout au long de ce voyage au cœur des ténèbres iraniennes, ont en fait été mes compagnes en chaque instant. » (P. 37)
« Tous ces bourreaux ont une posture de concentration sérieuse. Ils sacrifient leur vie pour quelque chose de plus grand. Mais parmi eux, seuls quelques-uns sont de vrais sadiques. Les autres suivent. » (P. 39)
« …comme Khomeini dans sa jeunesse, les fondateurs des Frères musulmans étaient fascinés par le nazisme, et que par de nombreux aspects, les méthodes employées par les mollahs et leur police sont celles de Gestapo et la SS, ce qui n’est pas un hasard. » (P. 41)
« La force des mollahs a été de jouer sur une alliance avec des groupes marxistes et communistes pour se donner une image de gens ouverts, enclins à l’avènement de la démocratie au Moyen-Orient. Si bien sûr il y avait une demande populaire pour obtenir plus de libertés et préserver un certain nombre de traditions , la vision des opposants de gauche et de leurs soutiens était quand même très naïve. » (P. 57)
« Khomeini a tout fait pour donner l’illusion d’une démocratie, en confiant le vrai pouvoir aux institutions religieuses. » (P. 58)
« La République islamique […] va dès lors s’imposer au monde entier comme un État pratiquant le régime de la terreur sur le plan intérieur, amis aussi sur le plan international, la diplomatie du terrorisme. » (P. 66)
« La République islamique met la pression sur le gouvernement irakien pour qu’il expulse les opposants iraniens. » (P. 117)
« Les gardiens de la révolution et les mollahs sont en effet prêts à toutes les infamies pour préserver leur pouvoir, et surtout protéger les immenses fortunes que celui-ci leur a permis d’amasser depuis 1979. » (P. 117)
« Alors que les gens d’ici meurent de faim, et que des mères n’ont pas de quoi nourrir leurs enfants, les mollahs vendent des drones à Poutine pour tuer des civils en Ukraine, alors qu’ils détestent les russes. » (P. 124)
« Même si le mot t’est encore inconnu, à dater de ce jour et pour le restant de ta vie, comme cent trente mille autres, désormais tu es un «Malgré-nous» » (P. 92)
Difficile de compter les ouvrages ayant pour cadre la 2 ème guerre mondiale. Romans, livres à caractère historique, collaboration, contexte politique, débarquement, camps de travail ou de concentration….etc. Nombreuses sont les approches prises par ces auteurs, qu’on ne compte plus….
Et chacun de nous lecteurs, peut de mémoire en citer quelques uns. Mais il y en a tant !
Nazisme, collaboration, résistance, sur fond d’amour parfois ou non….les approches sont nombreuses et finalement, nous avons souvent l’impression de relire ce qu’on savait déjà, et en partie, de ne rien découvrir. Bref d’avoir perdu du temps dans une lecture qui ne nous a pas apporté grand-chose !
Sentiment tout à fait différent avec ce titre, lu d’une traite. En ce qui me concerne !
Enfin une découverte !
Certaines parties de notre territoire, L’Alsace et La Lorraine sont historiquement des terres de tension entre France et Lorraine… des terres impossibles à partager !
En 1870, en 1914, on chantait déjà « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine »…et pendant 60 ans ce chant était enseigné sans doute dans les écoles. Territoires français pour un temps, repris pour devenir allemand, quelques décennies après, puis…Des territoires et hommes brinquebalés selon les décennies au gré des victoires et des défaites..
Les populations de ces territoires contestés de part de d’autre, étaient allemands pour un temps puis redevenaient français, à l’issue de la guerre suivante…1870, 1914, 1945…Ce n’était pas le grand amour entre ces deux peuples !
Au gré des périodes, des années, les habitants furent français puis allemands puis redevenaient français…
L’auteur évoque la dernière période, celle s’étirant de 1939 à 1945,…Un aspect familial et un aspect historique…deux aspects, deux approches qui, en se percutant, furent sources de tensions morales et familiales ! Fortement dérangeant
La famille française de l’auteur parlait le « Platt », un dialecte local pourtant bien plus proche de l’allemand que du français. Aussi quand la deuxième guerre mondiale fut déclarée et au fur et à mesure de l’avancée et de l’occupation allemande, ce territoire devint plus allemand que français…Et les hommes en âge de faire la guerre, furent donc enrôlés de force dans l’armée allemande…certains comme bidasses classiques, mais d’autres furent forcés de porter des sinistres uniformes noirs à tête de mort, ceux des SS !
Ce fut le cas de son père !
Des « malgré-nous » qui n’eurent pas le choix, qui firent toutes les batailles y compris sous ces sinistres uniformes noirs !!!
Engagés dans toutes la batailles et toutes les saloperies.
Ce fut le cas de son père qui fit l’aller-retour jusqu’en Russie à l’occasion de cette guerre…
Un père qu’il ne défend pas, qu’il n’accable pas non plus. Un « Malgré Nous » enrôlé de force. Un homme qui n’eut pas le choix. Il y en eut tant d’autres comme lui. Il fit la guerre du mauvais côté et jamais ne sera un héros admiré.
Dérangeant…mais pouvait-il faire autrement…
A-t’il tué? S’est-il sali les mains et l’âme? La réponse viendra…Une réponse dans les dernières pages.
L’auteur préoccupé sans doute par l’attitude de son père pose publiquement la question et s’interroge : « Peut-on vraiment faire la guerre sans jamais tuer quelqu’un ?»
Il apporte la réponse…chiffres en main ! Sourire !
Une lecture qui n’a pu laisser indifférent le lecteur que je suis .
La découverte de cet auteur m’incite à mieux le connaître. J’espère en reparler prochainement
«Chaque fois que les Allemands passaient par là, ils déplaçaient la frontière un peu plus loin vers l’ouest , au prétexte que c’était là qu’elle aurait dû se trouver depuis toujours. Tout naturellement, on devenait allemands. A la fin de la guerre ; ou à la suivante, on leur demandait de tout remettre en place comme avant, et on leur faisait promettre de ne plus jamais recommencer. Et l’on redevenait français. » (P.14)
« Tu es un enfant de la « Zone rouge ». Tu as grandi à l’étroit entre la ligne Maginot et la frontière, coincé entre deux pays, deux langues et deux guerres. » (P. 21)
« Si les hommes n’ont pas été mobilisés, ou s’ils n’ont plus l’âge d’être soldats, s’ils ont trop d’enfants à nourrir pour aller mourir au front, alors c’est ici qu’ils feront la guerre, en creusant les profondeurs de la terre pour en extraire du charbon. Du charbon pour les hauts-fourneaux et les forges. Les forges pour les canons. L’immuable rengaine. » (P. 34)
« Ils étaient déjà là avant leur arrivée, ces trous. Ils ont toujours intrigué Maman. Maintenant seulement elle comprend toute leur utilité. Lorsqu’elle se retrouve, au sous-sol, blottie contre ses sœurs, dans la pénombre, elle se dit que c’est une bonne idée. On se sent moins seul. Solidarité des trottoirs, en surface, et solidarité des caves, sous terre. Comme à la mine, tous dans la même galerie, tous dans la même galère. On partage la menace des bombes, comme on partage celle des coups de grisou. On partage sa peur, surtout, mais les parts ne sont jamais égales. » (P. 58)
Ce qu’elle garde en mémoire, ce sont ces routes encombrées de somnambules, ces flots de gens et de véhicules. Elle se rappelle ces visages défaits, ces yeux rougis, et ce vieil homme qui poussait sa femme dans une brouette. » (P. 60)
« Ici, désormais, c’était le Reich et vous en preniez pour mille ans. A chaque pas, chaque regard, à chaque coin de rue, jour après jour, on allait se charger de vous le rappeler, on allait vous faire regretter de l’oublier. » (P. 80)
« Vous êtes partis de France et vous rentrerez en Allemagne. Mais peu importe, puisque c’est «chez vous», et «chez vous» c’est plus fort qu’une histoire de frontière. «Chez vous», c’est là où sont nés vos parents et les parents de vos parents. «Chez vous», ce n’est ni l’Allemagne ni tout à fait la France. C’est à la fois beaucoup plus simple et plus compliqué. «Chez vous», c’est là où vous serez en sécurité. Du moins vous le pensez. C’est votre maison, votre jardin, votre village et votre clocher, ce sont les voisins d’en face et ceux d’à côté, ce sont les mines où vous vous épuisez, ce sont vos champs et vos bêtes, cette vieille outre en chêne qui vous sert de banc les soirs d’été. [..]. Et par dessus tout «chez vous», c’est votre langue, le platt, que l’on parle ici depuis des siècles. Voilà votre refuge, votre identité. » (P.75-6)
« En dehors des valeurs du Reich, point de salut. C’est ainsi qu’on vous lavait le cerveau, même le dimanche, jusqu’au fond des salles obscures » (P. 95)
‘C’est une bataille hors du temps et hors du monde, des combats sans piété, à travers les plaines et les vallées, àtravers les villages, ou ce qu’il en reste, à travers les rues et les ruelles, les jardins et les vergers. C’est une bataille où les forêts volent en éclat sous le feu de l’artillerie. Une bataille, d’un autre temps, où les sapins déchiquetés éclatent en mille fragments de bois acérés, comme autant de flèches mortelles. […] C’est une bataille avec du beau monde, aussi : Capa, Salinger, Hemingway…Pourtant ; tu ne els a pas vus, ni de près ni de loin. On ne te les a pas présentés. Ce n’est pas pour toi non plus, que Marlène Dietrich a chanté. » (P. 178)
« C’est une bataille hors du temps et hors du monde, des combats sans piété, à travers les plaines et les vallées, à travers les villages, ou ce qu’il en reste, à travers les rues et les ruelles, les jardins et les vergers. C’est une bataille où les forêts volent en éclat sous le feu de l’artillerie. Une bataille, d’un autre temps, où les sapins déchiquetés éclatent en mille fragments de bois acérés, comme autant de flèches mortelles. […] «
C’est une bataille avec du beau monde, aussi : Capa, Salinger, Hemingway…Pourtant ; tu ne les a pas vus, ni de près ni de loin. On ne te les a pas présentés. Ce n’est pas pour toi non plus, que Marlène Dietrich a chanté. » (P. 178)
« La seule chose immuable au-delà des frontières c’était le langage de la guerre. L’ennemi changeait de visage et d’uniforme, mais quel que soit le fusil, quelle que soit la balle, ou la langue du soldat, qui te l’adresserait, le résultat serait le même. Mourir ici, pourtant, serait bien pire encore que d’avoir été tué dans les Ardennes, car jamais tu ne t’étais senti aussi loin des tiens et de leurs pensées. » (P. 193)
« …la seule motivation, maintenant, pour bon nombre d’entre vous, c’est de ne pas tomber aux mains des Russes. On ne se bat jamais mieux que lorsqu’il s’agit de sauver sa peau. » (P. 202)
« C’est eux qui sont terribles. On les appelle les « incasables»…enfin dans les dossiers on écrit pas ça , hein, on écrit «cas complexes ». Ils peuvent exploser à tout moment, tu vois ? Deux grenades que plus personne ne veut et que tout le monde se refile. Ils sont violents et ils foutent le bordel partout où ils passent. » (P. 91)
L’enfance, est le sujet de ce texte dérangeant, ou plutôt les enfances
Oh ! pas l’enfance heureuse vécue dans une famille unie, une famille des beaux quartiers….non, l’auteur souhaite évoquer l’enfance souffrante, l’enfance écartée du milieu familial, placée chez nous, dans des établissements spécialisés, ainsi que celle « dé-placée » sous d’autres latitudes…Deux enfances cachées, qu’on évite de mettre en avant, d’évoquer…deux enfances vivant sans repère, sans parents, et devant à tout prix se débrouiller pour s’en sortir !.
Des enfances souffrantes du fait d’adultes….. une constante selon les latitudes.
Une belle claque en tout cas, qui m’a ému. Et qui m’a bousculé
Deux enfances dont on évite de parler…quelques entrefilets dans la presse et c’est tout !
Un livre construit sur deux parties à peu près égales en taille et bien distinctes…on passe de la France à la Russie, à l’Ukraine…on en arrive à se demander pourquoi ces deux parties si éloignées…en apparence !
On pourrait même lire l’une en oubliant l’autre….2 romans sous le même titre ?
Ben est un SDF fiché par la police. Il éprouve de grandes difficultés pour se nourrir.
Heureusement qu’il trouve de quoi subsister en se servant à la fin des marchés.
Il parvient à devenir intérimaire dans une institution pour enfants placés ou abandonnés , une institution qui « déborde » de cas sociaux…il a beaucoup cherché et accepté ce travail de nuit essentiellement pour se rapprocher de son frère, Jimmy.
Ben n’est là que pour repartir avec son frère !
Quelques années plus tard, Ben poussé par son grand cœur et surtout par ses valeurs morales, sa probité, mais aussi une certaine naïveté, décide de traverser l’Europe afin de rapprocher d’autres populations souffrantes, celle d’Ukraine notamment, en proie à l’occupation russe, mais surtout en proie aux exactions russes, du fait de cette occupation.
Exactions qui là encore s’exercent essentiellement contre des gamins. Là-bas des gamins sont arrachés à leurs familles, à leur pays, à leur histoire …ukrainiens aujourd’hui, mais russes demain…Entre temps, les soldats russes les ont déportés ! Ces gamins sont devenus russes. Adieu l’Ukraine et ses valeurs. Ils devront dorénavant combattre au sein des lignes russes. Ils sont devenus russes, de vrais russes sur lesquels l’État russe compte pour accroître sa puissance et sa domination.
Un excellent moyen pour que les Ukrainiens n’oublient jamais qu’ils sont d’abord et avant tout des russes…Tout ça par la volonté de Poutine.
Par la volonté et le vice de Poutine, ces gamins participent à la re-création de l’ex-Urss, un état qui avait « avalé » les États limitrophes et leurs populations devenues russes par la volonté de ces leaders russes
Diabolique !
La presse évoque ce point politique : la volonté semble-t-il de Poutine de re-créer la grande URSS, mais il nous est difficile, d’en apprécier l’importance. Ce point fait l’objet de la deuxième partie du roman s’étalant sur une dizaine d’années…Aide sociale à l’enfance d’un côté et volontés hégémoniques d’un leader politique de l’autre….
« Je pense que la non-violence est la seule façon de lutter contre la violence » (P. 165)
« Á tous les responsables, demandez-le. Exigez la réponse. N’arrêtez jamais. Exigez la réponse. N’arrêtez jamais Demandez et demandez encore, demandez toujours. Si vous ne voulez pas périr dans la honte, dans le parjure, et participer au crime, demandez : où sont les enfants. « (P. 275)
« Il sait qu’un enfant placé, un enfant des tribunaux, des foyers, des prisons, un enfant sans pays, sans guide, sans repère, sans adulte, n’est pas seulement un en danger, en souffrance, en sursis, pas seulement évalué, surveillé, menacé. Chaque enfant de l’institution est en concurrence avec le reste du monde. » (P. 104)
« …ces enfants ne marchent pas comme nous sur les mines. Ils sont les mines. Et le jour où ils sortiront de terre et prendront feu, ce sera légitime et dangereux. » (P. 104)
« le voyage en bus dure de plus de treize heures, fréquemment interrompu par les alertes aériennes. Ils traversent un pays qui ne s’appartient plus et dont ils semblent remonter le courant, car d’est dans l’autre sens que se concentre la circulation, c’est la zone occupée que l’on fuit. » (P. 131)
« Quand les Russes sont arrivés, les bénévoles de la Défense territoriale, des brigades d’assaut aérien et des brigades mécanisées les ont chassés et ils ont tenu leurs positions près du pont, mais après…Qu’est-ce que tu veux faire…Après les Russes ont largué leurs bombes ! Et puis ils ont pris le contrôle de Kherson et d’autres villes de la région, comme tu le sais. Et maintenant…ça m’étonne…maintenant on ne les voit plus, les policiers, les douaniers, les soldats ukrainiens, tous remplacés par les Russes du jour au lendemain. » (P.133-4)
« Dire que les ukrainiens se tuent entre eux et font des mises en scène avec leurs morts, c’est de la saloperie de propagande, et je ne veux pas qu’Olena entende ça. » (P. 135)
« Kherson n’est plus aux Ukrainiens. Elle est au Russes. Et toute sa région aussi. Et bientôt l’Ukraine entière. Les Russes le veulent. Ils le disent dans leur langue devenue officielle est obligatoire. Ils disent, Nous sommes là pour toujours. Ils l’écrivent sur les murs. Ils l’affichent dans les rues sur les places, des panneaux géants.» (P. 140)
« Mais il apporte avec lui un vent de liberté et d’Occident, il est venu à eux, comme eux veulent aller à l’Union européenne, le pays se bat pour ça, depuis huit ans, et la révolution de la dignité, place Maïdan à Kyiv, a déclenché la fureur de Poutine, et l’annexion de la Crimée. Entre Ben et eux la confiance est immédiate. » (P. 145)
« Ca arrive tous les jours dans tout le pays, une guerre sans merci et sans loi, le crime à grande échelle, au nom du bien. » (P. 150)« En Ukraine, les femmes, les enfants, les hommes sont des jouets sur lesquels s’exerce une domination illimitée, l’autorisation et l’encouragement à la cruauté y rendent toutes les expériences possibles. » (P. 151)
« Et maintenant tous le savent : la barbarie n’est pas bestiale. Elle est humaine. Ils écrivent, c’est de la barbarie. Mais une fois qu’ils ont écrit ce mot, ils ne savent pas quoi en faire. » (P. 152)
« Ainsi la ville est envahie par deux présences inévitables : les Russes et les fantômes des absents. » (P. 156)
« Pourtant Poutine l’a dit, hein, cette invasion pour lui, c’est juste une «étape»…. »
« …Ben, les Russes transfèrent les enfants des foyers, ceux des instituts pour mineurs handicapés et ceux des orphelinats vers la Russie […] …une fois en Russie on change leur identité et on les envoie se faire adopter aux quatre coins du pays. […] un système de déportation à grande échelle.» (P. 174-75)
« …les champs sont pétris d’éclats d’obus et de mines. Elles sont dans la terre et dans la mer, des océans de flammes et d’explosions, des mers de feu, et dans les champs, et dans les terrains de jeux, les maisons squattées par les Russes puis abandonnées, des mines encore, dans les poussettes, dans les chaussures, dans les pianos, sur les stylos, les poignées de porte, sur les chats, et sur les cadavres aussi. Partout ces explosifs qui ressemblent à des jouets, à des fleurs qui ont la couleur de l’herbe ou celle des feuilles tombées au sol, des mines qui s’appellent «papillons ». La mort à portée de main. Et pour des dizaines et des dizaines d’années, de générations entières l’explosion. » (P. 189)
Qui aurait cru qu’un jour ces enfants seraient transformés en butin de guerre ? Que l’ennemi les voudrait autant que nos terres, nos villes et nos mers . » (P. 198)
« On fait taire les enfants et on les planque, mais est-il possible qu’ils disparaissent par milliers, depuis des années et des années. » (P. 216)
« Il a fallu seulement deux mois pour que des dizaines de milliers de maisons soient détruites ; et des centaines d’écoles, des bibliothèques, des musées, des imprimeries, des librairies, qu’est-ce qu’ils vont apprendre, ces enfants-là, à part que les adultes sont des salauds. » (P. 220)
« ..selon Poutine tout enfant né sur le sol occupé par les Russes, est russe…. » (P. 245)
« Les nazis avaient pris deux cent mille enfants polonais et trois cent mille dans d’autres pays occupés, ensuite ils étaient adoptés par familles aryennes. Si on a accepté ce trafic hier, si on l’accepte aujourd’hui, alors on l’acceptera demain, on l’acceptera toujours. » (P. 248)
« si tu veux vaincre tes ennemis, éduque ses enfants. » (P. 267)
« Les enfants. Les enfants disparus, transformés en soldats, en orphelins, en Russes. L’absence de ces enfants comptera, ils manqueront au monde et le monde les regrettera, il le sait et ça le déchire. Personne ne s’en remettra. «Notre planète est le lieu idéal pour la vie » (P. 268)
« Dès que les Juifs du monde entier deviennent des cibles potentielles, ce n’est plus un combat d’émancipation. Ça devient du terrorisme [. ….]« Et quiconque cautionne le terrorisme, d’où qu’il vienne, devient un ennemi du droit. » (P. 48)
« Avec un trou dans la gorge et des yeux immenses. Je subis une trachéotomie pour pouvoir respirer de nouveau, et les chirurgiens dessinèrent un sourire diabolique pour recoudre ma tête à mon cou. Je promène ce rictus qui fait tarir les langues depuis vingt et un ans. Un sourire niais, grand comme la joie, le bonheur, la moquerie. Il va d’une oreille à l’autre et est calligraphié en dessous du menton, net et muet ; il coupe la langue en deux ; il reproduit la joie quand elle n’est plus la joie. Ma mère Khadija, m’a appelée Aube pour contrer deux destins de nuit, le sien, le mien.» (P. 154)