« État limite » – Pierre Assouline

État limiteFrançois-Marie Samson a pris le métro, malheureusement immobilisé à la suite d’une panne de courant due à un orage violent. Il descend à la station Passy dans le XVIème…pour se rentre à un cocktail dinatoire dans un appartement bourgeois….Généalogiste de renom il vient y présenter devant la famille réunie l’arbre généalogique de la famille, remontant sur plusieurs siècles…Une famille à particule de « sang noble », fierté du père de famille Tanneguy de Chemillé, il travaille au Quai d’Orsay et attend même une décision du Conseil des Ministres qui doit le nommer à un poste d’ambassadeur…Ce cocktail dans l’appartement cossu aux tapis lourds, lui permet d’observer les membres de la famille, notamment un ingénieur acoustique, des monarchistes, une jeune fille qui a des problèmes avec sa banque …. les cousins, tous étant des « gens qui n’avaient pas seulement un curriculum vitae mais une biographie que leur conférait leur origine »…Notre généalogiste,  « pratique l’observation en solitaire comme un sport, étant entendu que cette activité relevait autant de l’exercice d’admiration que du jeu de massacre »

Pierre Assouline a le don de nous faire partager avec humour et cruauté ce jeu de massacre, les portraits de ses personnages souvent précieux et l’atmosphère des lieux. Il est aussi à l’aise pour décrire les personnes bloquées dans une rame de métro à l’arrêt que celles invitées dans un appartement cossu des quartiers chics, il est ce généalogiste qui observe les invités du cocktail : « il détaillait chacun de ses membres avec d’autant plus d’esprit critique que son cynisme était muet ».    

Nous suivrons plus particulièrement au cours du roman, la maitresse de maison Inès, troublante cadre de direction dans une grande multinationale et le fils de famille Sixte, gamin de quinze ans qui, lors du cocktail  regarde fixement le tapis, et le père Tanneguy.Le généalogiste érudit nous emporte dans son monde de recherches, de pistes, de sources pour bâtir un arbre généalogique, un monde fait d’études de vieux textes, d’études des sceaux, d’étude de la petite histoire locale et de la grande Histoire….une découverte passionnante en ce qui ce concerne…que j’aurais aimé plus poussée…

Mais cette histoire de famille, cette recherche peut parfois faire remonter des secrets bien cachés, des secrets qui peuvent perturber une vie, des secrets qui peuvent tuer : « De quel droit peut-on rappeler, sinon révéler, leurs origines à des gens qui n’ont rien demandé, les ignorent probablement et ne sont pas prêts à subir un tel bouleversement ? Imagine-t-on seulement la violence que cela représente d’imposer une telle vérité à ceux à qui elle demeure intolérable ? ». Le généalogiste estime appartenir à la catégorie de « ceux qui ont tendance à soulever le tapis pour voir ce qu’on a glissé dessous »…Son travail va semer le trouble au sein de la famille, Inès femme forte, cadre supérieure va « se désagréger sous ses yeux. Un séisme avait eu raison d’elle. », presque en état limite

Sous le coté romanesque du livre, Pierre Assouline nous pose de vrais questions quant à l’identité…Faut-il tout connaître de la vie de nos ancêtres?…Une question qui me touche particulièrement, il n’est pas toujours agréable de découvrir par hasard le passé peu glorieux d’ascendants… Le généalogiste François-Marie Samson  va mener une enquête presque policière à la suite de suicides dans le métro, notamment celui du médecin qui suivait Sixte et qui lui permettait de s’ouvrir un peu. Il est mort d’une mort assez suspecte, et son corps a été autopsié…Je ne vous en dis pas plus

Sous le tapis se cachera une fin inattendue, un autre personnage que l’on attendait pas, en état limite lui aussi.

Une fin qui donne beaucoup de sel à ce roman….une chute …inattendue


Plus sur Pierre Assouline


Petits avant-goûts
  • « Mais on n’échappe pas plus au trésorier principal de son centre des impôts qu’à sa future ex-femme. Quoi qu’on fasse, où qu’on aille, leurs fantômes nous rattrapent un jour ou l’autre et nous font payer cette  disparition plus lourdement qu’on ne l’aurait jamais imaginé dans nos moments d’absolu désarroi. »? (P. 14)
  • « Les vérités les plus profondes comme les confessions les plus crues se disent souvent à des gens de passage, justement parce qu’on est sur de jamais les revoir et que leur jugement d’un instant ne compte pas » (P. 25)
  • « Cher ami, quand je vous ai contacté il y a quelques mois, je vous ai prévenu que la route serait longue et difficile, que beaucoup de documents manquaient, que cela nécessiterait des recherches parfois complexes, que la tradition orale était souvent défaillante, qu’il y aurait de grosses lacunes. Et je dois reconnaître que vous avez réussi au delà de toute espérance. Cet instant, notre famille l’attend depuis….ma fois depuis si longtemps. Alors en notre nom à tous, en l’honneur de ce que fut notre maison et de ce qui demeure l’honneur de notre lignée, merci » (P. 48)
  • « Cancéreux, c’est comme gaulliste […] tout le monde l’a été, l’est ou le sera » (P. 52)
  • « Chez eux, on ne devait ni se suicider, ni divorcer car ça ne se fait pas ; si nécessaire, dans le premier cas on évoquait un malencontreux accident de chasse, dans le second on assurait qu’un si sot mariage avait d’ores et déjà coupé les liens de famille. » (P. 57)
  • « Parfait alignement des valeurs, équilibre des paysages alentour, harmonie des tracés, cette famille avait la douce rigueur d’un jardin à la française. L’argent n’achète pas ça » (P. 58)
  • « Ces gens-là semblaient tous porter des noms de rue. »(P. 59)
  • « Dans le registre de la médisance il ne faut jamais désespérer des belles familles » (P. 60)
  • « En fait, il n’avait pas de problèmes d’argent mais des problèmes avec l’argent. Dans le premier cas, ça se règle. Dans le second, ça se soigne » (P. 63)
  • « Elle ne portait pas son âge, c’était plutôt l’inverse. Si elle avait des enfants, on avait dû les lui faire à son corps défendant. Au vrai, elle était tellement bestiale dans sa laideur qu’on avait envie de lui jeter un morceau de viande pour la faire s’écarter. Pour elle ni généalogie, ni biographie, ni curriculum vitae. Un pedigree plutôt. […..] Tout ce qui sortait de sa bouche la reconciliait avec le genre humain dont son apparence l’avait éloignée. » (P. 66)
  • « Seuls les imbéciles ont réponse à tout. Rien n’est vulgaire comme d’avoir toujours le dernier mot sur tout » (P. 68)
  • « C’est un con et je le dis au sens péjoratif du terme » (P. 77)
  • « Pour celui qui ne sait pas d’où il vient, le mal du pays n’existe pas » (P. 80)
  • « Un généalogiste a toujours une âme de détective mais certains l’ont plus développée que d’autres » (P. 125) 
  • « Le fait est qu’entre ses amis rangés et ses ennemis dérangés, il éprouverait toujours une secrète assurance pour les seconds. Ceux dont l’esprit avait fait un pas de côté. Il l’aurait volontiers examiné sous l’angle de la diaclase géologique ou celui de la scissure anatomique. La fêlure, voilà ce qui le captivait chez les gens. La faille, voilà ce qui l’aimantait durablement. Selon le tempérament, une fissure ou une dérive des continents. Toute sa curiosité n’avait pour objet que de cerner le lieu et l’instant de cette brèche dans une vie. » (P. 137)
  • « ….un mot de trop reste un mot malheureux que tout autre mot enfonce un peu plus dans la maladresse » (P. 169)

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