« Fils du feu » – Guy Boley

fils-du-feuAnnées 50-60, Jérôme  le gamin passe ses journées entre la forge de son père et la cuisine de sa mère, entre un monde d’hommes taiseux, son père et Jacky, qui maîtrisent le feu pour dompter le fer, le frappent, le tordent, le soudent, et un monde de femmes, les mains dans l’eau, chargées des lessives, frappant et tordant le linge dans l’eau bouillante…ou écorchant les grenouilles. 
Un gamin qui n’a pour seul horizon que ces deux mondes, le feu et l’eau, son quartier de Besançon, celui du dépôt des locomotives à charbon, dont les fumées encrassent le linge fraîchement étendu. Des jeux simples, un arc faisait rêver un môme et faisait son bonheur. Un bonheur apparent toutefois. Des femmes et des hommes qui ne parlent pas, ne se parlent pas, absorbés dans leurs tâches, et dont on perçoit très vite un mal-être…Chacun de leur coté, jusqu’à la folie.

Adulte ce gamin deviendra un peintre.
Un cadre de vie qui, semble-t-il, ressemble à celui de Guy Boley, dont le papa était forgeron. Une vie de famille simple. Mais je ne souhaite pas décrire cette vie de famille, ses mystères, ses drames, ces non-dits, dévoiler ce livre. A chacun de le découvrir.
Un premier livre de cet auteur qui m’a personnellement beaucoup touché.
J’ai retrouvé, tout d’abord une partie de ma vie de gamin du même âge que l’auteur, cette vie simple dans la rue, sans danger, sans bagnole, sans télé, faite de jeux que nous inventions, cette vie dans une famille comparable, mon père maître du bois quant à lui, une vie qui se modifie le jour où le monde des marchands impose d’arrêter toute activité, le jour où le client préféra acheter plutôt que de faire faire, acheter un prix plutôt que de la qualité, le jour où le père quitte le bleu pour la cravate, et adopte à contre cœur cette modernité : les Trente Glorieuses au cours desquelles tout cet équilibre s’est cassé. « La complainte du progrès, on connait la chanson ; on n’en écrira pas tous les couplets. Le confort de la laideur a pris la place de l’inconfort du beau. On sacré l’inutile, on glorifie le gadget, qu’importe que adieu soit mort ou juste à l’agonie : on a des pinces à sucre, des bigoudis chauffants. » 
Puis, c’est un livre écrit par un peintre, fasciné par les couleurs du feu, les lumières et les ombres de la forge, les formes données au fer  par l’artisan, fasciné par les bruits, le noir de la suie, le noir des mères qui ont perdu un gamin, le noir du deuil. Un peintre qui par petites touches compose ce tableau, une trentaine de petites touches, de petits chapitres, afin que nous disposions de tous les éléments, afin que nous puissions connaître toute l’histoire de la vie de ce gamin, de ses parents, tous les membres de la famille, son frère disparu, sa sœur absente, comprendre ce drame familial, comprendre ces silences, ces dénis, cet amour, cette violence. Pas de tristesse pourtant, mais un certain fatalisme. Il a besoin de sa peinture pour s’apaiser.
C’est enfin, et surtout, le livre d’un écorché-vif, d’un saltimbanque et d’un amoureux des mots, d’un jongleur, qui nous ensorcelle et crie sa hargne  avec ses phases, sa poésie, sa magie, sa violence.
Premier livre de cet auteur, sans doute en partie autobiographique. 

Une fois refermé, j’ai eu envie de m’y replonger. C’est rare!


Qui est Guy Boley


Quelques lignes 
  • « Je l’aimais bien, ce monde féminin de linge et de lingerie, ce monde clos de buée, ces grosses cuves à eau où l’on bouillait, brassait, touillait les draps, ces baquets de lavage où se mêlaient cendre et suif, ces maelströms de lin, de couleur ou d’écru, ces cotons qui cloquaient, ces bulles de savon, l’odeur des lessives, la torsion des mains, la sueur des femmes, ce,linge que l’on battait comme on fesse un vaurien, que l’on secouait dans de grands claquements, et la beauté sans nom de leurs drapés flamands quand on les laissait choir. Certes, je gênais un peu quand l’eau, trop chaude, débordait du baquet, devenait une menace : «Ne reste pas toujours dans nos pattes, sacrebleu, on va finir par t’ébouillanter» » (P. 48)
  • « Papa s’adapte à ce nouvel âge de faire- il devient un peu moins forgeron, beaucoup plus commerçant :il se met à poser des portes de garage et des volets roulants qu’il achète à des grossistes comme on achète des pommes blettes  pour donner aux cochons ; il se met à fabriquer à la chaîne dès barrières en faux fer forgé ; des kilomètres et kilomètres de barrières puisqu’il faut bien protéger les pavillons et leurs signes extérieurs de richesse : thuyas et nains de jardin. Bientôt il n’aura même plus le cœur de faire semblant ; bientôt il aura honte de lui, de ce qu’il est devenu, ne travaillera plus de ses mains, se contentera de vendre des choses sur catalogue, n’importe quelles choses, sur n’importe quel catalogue.[….] Le capitalisme est né, a écrit en substance Karl Marx, quand on a enlevé à l’ouvrier son outil de travail. Peut-être Marx a-t-il écrit : quand on lui vole son outil, et non enlevé. Il faudrait vérifier.[….] Ce sont pourtant des années que l’o nomma Glorieuse : le roi nommé crédit distribue à la volée de pleines poignées de billets permettant d’acheter des meubles en aggloméré, des tables en formica, de la vaisselle transparente en pyrex, des oreilles de Mickey et des Général de Gaulle en forme de tire-bouchon. Et ça consomme plein pot, dehors comme dedans, du sous-sol jusqu’au grenier, sans oublier les réfrigérateurs qui dégueulent déjà leurs mets cellophanés sans saveur, sans odeur, sans effort à fournir pour les servir à table. les banques font fonction de bibliothèques et l’on signe au bas d’un carnet de chèques pas moins fier que Balzac signant une de ses œuvres » » (P. 89)
  • « Les rois de la fête furent bien entendu les curés et les prêtres : la mort est leur fonds de commerce et ce n’est pas tous les jours que l’on peut décemment parler d’éternité aux oreilles de quelqu’un qui n’a plus pour exister qu’un néant sous ses pieds. »(P. 93)

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