
Élisabeth Degon a eu le privilège de le rencontrer avant son décès…Elle a manifestement été séduite par cet homme et a éprouvé le besoin de le remettre en lumière vingt ans après son décès.
Son livre, autobiographie de l’auteur, est très documenté et fourmille de détails sur l’homme, ses rencontres, ses engagements, son œuvre.
Né d’un père libanais et d’une mère guinéenne, il a été élevé dans les deux religions catholique et musulmane et lisait aussi bien la Bible que le Coran.« C’est la force de son métissage qui fait de lui un insoumis, un indocile, celui qui ne plie ni aux dogmes, ni aux idées reçues. »
Très bon élève intelligent, il aimait avant tout les maths et en fut enseignant dans de nombreux pays. Mais surtout il vécu son adolescence, et une grande partie de sa vie, sous le régime de Sékou Touré, président de la République de Guinée pendant vingt ans…Et Williams dut s’exiler, dans plusieurs autres pays africains ou en France, du fait de ses engagements…Une belle occasion d’évoquer la Françafrique, et tous les généraux qui dirigeaient d’une main de fer les anciennes colonies françaises.
Il est impossible de résumer sa vie et ce livre en quelques lignes et ce n’est pas mon propos.
L’homme fut enseignant, responsable du cinéma familial , écrivain – il a écrit une grande partie de ses livres à la main sur des cahiers – journaliste dans des journaux satyriques, dans lesquels il écrivait périodiquement sa « Chronique assassine », …Son œuvre est faite de romans, de pièces de théâtre, tous présentés par Elisabeth Degon.
Il participa en mai 1980 à Apostrophe pour évoquer avec Pivot « L’Afrique noire racontée par ses romanciers », aux cotés d’André Brink, de Tierno Monénembo, Jean Cau..
Elisabeth Degon s’appuie sur de nombreux entretiens, sur des rencontres avec ceux qui l’ont connu, dont ses proches, sur des écrits encore disponibles, n’ayant pas été détruits, pour nous parler de cet homme fier, de son humour caustique. Officier des Arts et lettres, il se permit de répondre à un général africain: « entre officiers…. », de reprocher à l’ambassadeur de France de l’accueillir avec un cigare à la bouche…L’homme fuyait les convenances….y compris vestimentaires.
Il recevait encore des prix littéraires plusieurs années après sa mort…Il est décédé à 53 ans.
Il était un rebelle, ses écrits en attestent, il faut parfois savoir les lire entre les lignes….
C’est bien dommage qu’on ne puisse plus les trouver. J’ai quand même eu la chance de trouver, d’occasion, son premier livre « Saint Monsieur Baly ». J’en parlerai dans quelques jours.
Je suis certain que tout lecteur de « Williams Sassine : Itinéraires d’un indigné guinéen » aura envie d’un savoir un peu plus, de lire cet auteur… et sera déçu de ne pas toujours trouver facilement ses ouvrages dans le commerce ou dans sa médiathèque préférée….celle ou je m’approvisionne ne le connait pas…Vous aurez plus de chances si vous habitez Limoges, où il fut souvent invité….On peut cependant regretter
Espérons que ce livre, mettant en lumière cet écrivain comblera cette lacune et poussera des éditeurs à rééditer certains de ses titres.
Merci à Babelio, de m’avoir permis de découvrir Williams Sassine et Elisabeth Degon qui nous offre un travail remarquable, mais manquant parfois de limpidité en allant un peu trop dans le détail, avec des impressions de redites, de déjà lu…
Parlant des rencontres avec d’autres écrivains, Williams Sassine disait : « …C’est ça la littérature, c’est la rencontre. » …Et je viens de faire une belle rencontre avec cet auteur
Qui est Elisabeth Degon
Quelques extraits
»On dispose de peu d’éléments sur sa vie, Williams était franchement discret, ceux qui l’ont approché peuvent l’être également, tous s’accordent sur son humour, sa vive intelligence et sa gentillesse. Certains témoignages s’arrêtent là. » (P. 9)
« Williams est issu d’une « Généalogie biologique hybride ». Un père libanais chrétien maronite, une mère africaine musulmane, deux cultures fondamentalement différentes. Ils ne parlent pas la même langue, son père parle l’arabe et le français mais pas la langue du pays où il vit, sa mère le pular, sa langue d’origine et le malinké, la langue de la Haute-Guinée. Aucun n’a fait l’effort d’apprendre la langue de l’autre, leur vocabulaire commun se réduit à une cinquantaine de mots qui leur permettent d’échanger. Williams dira plus tard que parlant arabe et malinké, il faisait parfois l’interprète : « ils s’aimaient à leur façon, quelques mots échangés, c’est tout ». Williams comprend alors qu' »avec deux ou trois mots, on peut approcher l’autre, en disant simplement je t’aime, ça suffit et ça remplace tous les discours ». »(P. 17)
« Africain sans la couleur qu’attendent ses interlocuteurs son apparence ne correspond pas à son identité profonde et à son milieu de vie, son âme est africaine. Il n’évoquera pas le métissage dans sa littérature et se saisira plutôt du stigmate de l’albinos pour exprimer la différence et la marginalité, non qu’il s’assimile à cette condition, mais sa couleur de peau le rend sensible au regard porté à la différence »(P. 23)
« Williams vit dans un monde à part. C’est un artiste, avec une sensibilité à fleur de peau. Il dit et il répète sa solidarité avec les faibles et les humiliés de la vie, il se scandalise des dysfonctionnements, des abus, de pouvoir, des détournements. Lui, l’éduqué, le cultivé, l’écrivain de renom, choque ses amis d’autrefois, ses mais du lycée Donka, ceux qui maintenant dirigent le pays et endossent les habits d’usage dans les divers ministères, l’université, la vie politique ; on l’aime bien mais il bouscule la bienséance et met à mal la gouvernance qui n’est pas si « bonne » que ça. Il s’installe dans le rôle de Don Quichotte qui agite les questions fondamentales de la vie. » (P. 113)
« Avec une intelligence et un humour hors du commun, il ne peut fonctionner normalement. Ça l’embêtait. Il n’était pas un homme ordinaire et pouvait difficilement s’intégrer dans une structure classique, il avait conscience de ses capacités et ne voulait pas les galvauder, mais surtout, les gens avaient besoin des idées, du mode de fonctionnement de Sassine, mais pas de la personne qui les dérangeait » (P. 118) « Lire Sassine n’est pas une évidence, il faut accepter d’entrer dans un monde tourmenté, d’ouvrir les yeux sur des réalités bouleversantes et inconfortables. Son monde n’est pas un monde paisible ni agréable, ni rassurant. Il parle de la souffrance, de la violence, quelquefois de la douceur de la vie. Il faut également accepter de le suivre dans les digressions répétées qui auraient gagné à être rabotées et polies. Sassine reste d’une grande actualité littéraire, politique, humaine pour éclairer la compréhension de ce continent africain. » (P. 201)Propos de Williams SASSINE
- « Ma vie a été faite de malentendus et d’accidents. » (P. 17)
- « Je me suis découvert une mère qui n’a pas d’origine, qui n’a jamais connu son père ni sa mère » (P. 21)
« J’étais tellement petit, tellement moche, le canard boiteux, que je restais au lycée tout le temps d’octobre à juillet, je ne sortais qu’en juillet. » (P. 29)
- « Mon exil à d’abord été scolaire. J’ai cherché à fuir. J’ai réussi à fuir, je ne vais pas vous raconter tous les itinéraires. J’ai pu m’arranger à partir à Dakar….bateau en clando jusqu’à Bordeaux, j’ai volé le train jusqu’à Paris et je suis remonté. » (P. 47)
« Je vis dans un pays plus raciste que l’Afrique du Sud. On vend des êtres humains jusqu’à présent, des Noirs…. » (P. 89)
« Chez nous on n’a pas le droit à la parole, on ne peut pas dire grand-chose, ni passer à la radio, ni a la télé, c’est confisqué ; on a une grande chance, car nos dirigeants ne lisent pas et même s’ils lisent, ils ne comprennent pas, sinon, il y a longtemps que ceux qui restent en Afrique ne pourraient plus écrire. » (P. 97)