
La vie de cet homme ferait un excellent scénario de film.
Alors le vieil homme va lui transmettre vingt-six enregistrements chronologiques, plus ou moins longs, depuis sa petite enfance jusqu’à nos jours…Un concept original pour ce roman. Vingt-six enregistrements depuis la création dans les années 20 à 30 de ce petit groupe de 4 copains de l’école primaire, inséparables, quatre amis qui vivront ensemble leur enfance et leur adolescence dans les ruelles de ce quartier, sur la plage entre les barques échouées. Certes ce n’était pas l’opulence. Mais la solidarité entre les familles régnait, et surtout cet amour pour la liberté qui poussera plus tard le père, docker sur les quais du port, à s’engager dans l’armée républicaine afin de se battre contre le fascisme. Sa mère quant à elle était française, originaire de Sète.
Nos quatre gamins connurent ensemble les premiers émois sexuels, les premiers amours … puis le petit groupe qui se réduisit à trois le jour où, poussés par le chômage de ses parents l’une des quatre les quitta pour aller vers l’Amérique du Sud chercher le bonheur….Ensemble, ils découvriront la sexualité, puis connurent les premières relations avec les prostituées, et aussi les premières expériences homosexuelles…
Puis vint la guerre d’Espagne dans le camp des républicains. Elle bouscula ce bonheur, imposa l’exil de certains en France, causa la mort du père du narrateur et par suite de bombardements le nombre des amis du groupe se réduisit à deux, les deux garçons, …
Une vie d’amour de la liberté…L’amour de la liberté et l’amour de l’indépendance qui définissent si bien la Barceloneta, ses hommes et femmes, qui combattirent aux cotés des républicains, cette ville tournée vers la République, méprisée et finalement punie, bombardée, brimée et en partie détruite par les fascistes.
Dénonçant les horreurs du franquisme, Germinal le récitant trouvera, un temps, la paix dans l’exil en France, la paix mais le manque aussi, celui de Ami Aimé resté en Espagne….!
Sur fond de drames mais aussi de petits bonheurs, chacun des enregistrements du vieil homme, est à lui seul un petit roman, parfois philosophique, dans lequel Lluis Llach confirme tout l’amour qu’il porte à cette langue catalane, à cette province, à ses hommes et femmes, à l’Humanité, et aux droits de l’homme pour lesquels il combattit.
Ses mots graves ou doux, tendres nous révoltent, nous attendrissent, nous charment.
Je connaissais le chanteur, dont j’avais apprécié l’un de ses derniers concerts. J’ai découvert l’auteur….
Dommage qu’il n’y ait pas, à ma connaissance, d’autre ouvrage de cet auteur disponible en langue française.
Qui est Lluis Llach
Quelques lignes pour apprécier
« J’imagine qu’un enfant ne vit pas seulement dans l’espace que délimite son corps, mais aussi dans celui qu’il parvient à envahir grâce aux jeux de ses rêves. » (P. 16)
« On me baptisa Germinal. C’était un prénom qu’à l’époque on donnait aux enfants des ouvriers athées impies, révolutionnaires, anarchistes, communistes, syndicalistes et généralement gens de mauvaise vie. Finalement, aux enfants des modestes travailleurs, plutôt agnostiques, qui voulaient changer le monde pour vaincre leur misère et préféraient le prénom d’un diablotin à n’importe quel autre trop bien vu par une Église qu’ils sentaient très loin d’eux, ou plutôt trop proche des prétendus gens bien . » (P. 19)
« Sur la façade des écoles de la république laïque française, où elle allait deux fois par jour, on pouvait voir, sculptée dans la pierre l’inscription suivante : « Soyez propres, parlez français. » C’était une façon de la complexer définitivement a cause de son identité occitane. » (P. 55)
« Ces connards pensaient que chaque liberté obtenue avait été volée au patrimoine que le pouvoir absolu leur avait conféré pendant tant de siècles, et pas seulement dans le domaine des biens et des droits. » (P. 58)
« La vraie culture est l’ensemble de toutes les connaissances acquises par l’humanité au cours des siècles : les découvertes les inventions, les philosophies l’art, l’histoire….Tout ce que l’être humain a appris ou inventé, même les grandes erreurs comme les guerres. » (P. 87)
« Un fusil qui cessait de tirer pouvait peut-être signifier que le mari de l’une ou de l’autre venait de tomber sous les balles ennemies. » (P. 118)
« Ces yeux furent pour nous la première annonce des nombreuses exactions commises pendant la guerre civiles. Des injustices, des assassinats, une ribambelle de cruautés qui se déchaînèrent et qui firent remonter en surface la part la plus abjecte de l’être humain. Les pires choses imaginables se produisirent alors. Des folies collectives et des bassesses individuelles d’une férocité déchirante. On tua au nom de la révolution, de la religion, de l’ordre nouveau des fascistes de droite, du surprenant totalitarisme de gauche. On tua au nom de tout, de n’importe quoi et de rien du tout. Je vais vous dire une chose : ce fut une insulte à toutes les valeurs et à tous les droits de l’homme. Oui. Il y eut de l’infamie des deux cotés. Aussi bien dans mon camp que dans l’autre. Je vous assure que oui. N’allez pas croire que j’ai perdu la mémoire et que je n’ai pas honte. Vous vous tromperiez cruellement à votre tour. » (P. 144)
« Si au lieu de regarder le ciel, tu regardes la Terre, en voyant ce qu’on voit, si Dieu existait vraiment, il faudrait s’en débarrasser tout de suite. Moi je ne crois qu’en l’humanité, et en voyant ce que je vois, je ne suis pas certain de lui conserver longtemps ma foi. » (P. 178)
« La peur que procure à l’être humain cette ignorance à propos de lui-même et des choses qui l’entourent, le pousse à se réfugier dans la croyance d’un dieu et finit par faire de son analphabétisme une religion. C’est pour cette raison que l’Eglise craint à ce point les découvertes scientifiques et la connaissance en général. Et pas seulement à cause de leurs démonstrations. L’Eglise n’a que faire que la Terre doit ronde ou plate, ce qui l’emmerde c’est que cet espace d’ignorance se réduise, parce que chaque fois que cela se produit, son dieu ou son pouvoir, ce qui est plus ou moins pareil, se réduit lui aussi. » (P. 179)
« C’était égal qu’une balle t’éclate la tête ou qu’elle passe à côté, tout cela était devenu sans importance. La pire des blessures, la plus profonde en tout cas, était la conscience de tout ce qui se passait. » (P. 210)