
Marielle Gallet son épouse est quant à elle avocate et a été député européen
Elle l’a connu fort, entreprenant, dorénavant la maladie l’a rendu faible et dépendant, il s’emmêle les pieds dans les tapis et chute, le jour, la nuit, et reste incapable de se relever seul. Physiquement présent, mais souvent absent, perdant le sens des réalités, s’habillant à 3 heures du matin pour se rendre dans un congrès à l’autre bout de la France…un congrès imaginaire pour lequel il téléphone et réveille Marielle son épouse afin qu’elle l’accompagne à la gare…. Alors elle entreprend « d’écrire sur moi, sur Max, enfin sur nous, sur notre désarroi », d’écrire pour résister à la maladie d’un homme qui n’est plus celui qui l’a séduite.
Tout lecteur connaît le journaliste, l’écrivain bourreau de travail Max Gallo, l’historien, l’académicien, le biographe des plus grands, de Gaulle, Jaurès, Jules Vallès, Hugo… Marielle Gallet nous permet de découvrir un peu plus l’homme qu’elle admire, le fils d’immigré italien, le père de famille qui connut le drame du suicide de sa fille Mathilde. Même après son mariage avec Marielle Gallet, il a été le mari indépendant…chacun vivant dans son propre appartement. Elle nous présente également l’homme politique, ses engagements successifs auprès de Mitterrand, Chevènement, Sarkozy…et justifie ces évolutions : il est passionné par la France.
Cette femme, cette épouse a été séduite par l’homme un peu macho, lorsqu’il chanta pour elle Bella Ciao, d’où le titre du livre. Elle est en plein désarroi face aux atteintes physiques, et aux atteintes du cerveau de cet érudit « J’en ai conclu que la destruction des neurones dopaminergiques n’altérait pas l’intelligence, mais peut-être l’organisation des informations et surement la mémoire immédiate et à court terme, alors que sa mémoire sémantique me paraissait intacte. » Des atteintes qui entravent son potentiel, freinent son « énergie d’acier » et lui donnent parfois des envies fugaces de suicide, des envies de quitter cette vie qu’il « traîne comme le fardeau de ses jambes ».
Il faut être forte pour vivre à la fois la présence physique de l’homme et une forme d’absence, surtout quand demain sera pire qu’aujourd’hui. Quand on apprend le diagnostic on sait que l’évolution est inéluctable, et que la maladie peut durer des années, et enlever irrémédiablement chaque jour une part d’autonomie. Elle évite toutefois de nous parler des atteintes au moral des malades, atteintes touchant à leur pudeur.
Un livre d’amour et de pudeur, pas du tout larmoyant bien qu’il évoque la fin de vie, la déchéance due à la maladie et qui m’a ému. J’ai passé de nombreuses heures avec Max Gallo, avec ses ouvrages, des heures de dépaysement avec ses romans et des heures de découvertes grâce à ses biographies ou à la série sur la deuxième Guerre Mondiale…
J’ai connu pour ma part des amis atteints par cette maladie…ils sont partis, « le moral essentiel dans ce genre d’affection » leur a peut-être manqué.
Souhaitons que Max Gallo et les siens gardent le moral le plus longtemps possible
Qui est Marielle Gallet
Quelques lignes
»Est-ce ainsi que l’âge et la maladie vous brisent pour vous convaincre de partir sans regret. » (P. 12)
« Aujourd’hui, l’accès à sa machine à écrire est devenu un obstacle. Il refuse qu’on retire les tapis ou qu’on bouge quoi que ce soit. Il arrive qu’il glisse, qu’il tombe. Avec la raideur des jambes que provoque la maladie, il ne peut plus se relever seul. » (P. 16)
« Je continue à penser que notre rencontre tenait de la magie. » (P. 34)
« Non seulement le macho civilisé ne m’a jamais mise en danger, non seulement je ne me suis jamais sentie inférieure à lui, mais au contraire, il me rassurait parce qu’il était lui-même rassuré que je le conforte dans sa virilité. Les hommes sont si fragiles. » (P. 36)« J’en ai conclu que la destruction des neurones dopaminergiques n’altérait pas l’intelligence, mais peut-être l’organisation des informations et surement la mémoire immédiate et à court terme, alors que sa mémoire sémantique me paraissait intacte. » (P. 37)
« D’un égocentrisme masculin un peu supérieur à la normale, Max est passé à un nombrilisme pathologique. Il m’arrive d’en rire quand il me coupe au milieu d’une phrase pour parler de lui. De toute façon sa maladie peut bien être notre principal sujet de conversation puisqu’elle est devenue notre destin. » (P. 54)
« La complexité de sa psychologie m’oblige à énoncer que Max est à la fois modeste et conscient de sa supériorité, deux traits de caractère comme l’huile et l’eau, immiscibles. » (P. 67)
« Je suis ravie de constater qu’en dépit des avancées dans la recherche sur le cerveau, le rêve a conservé sa part de mystère. La technologie permet de voir les régions cérébrales qui s’activent dans le mécanisme onirique, mais elle est encore à déterminer le processus de pensée qui le déclenche. Les chercheurs avancent des hypothèses divergentes. » (P.77) « Oui, il s’ennuie. la maladie a tellement rétréci sa vie. Son corps s’est racorni, son écriture, ses mouvements, ses pas sont tout petits. La compagnie de ses personnages, leurs destins transcendants lui manquent. Il n’a plus assez d’énergie pour labourer l’histoire de France, trier le bon grain de l’ivraie, récolter la moisson et nourrir ses lecteurs. Max n’aime as l’homme qu’il est devenu, il préfère ne pas le voir. Si je veux lui faire du bien, mieux vaut que je lui parle de celui qu’il a été, de celui qu’il a sculpté à force de volonté, de celui qui fait l’admiration de ceux qui l’approchent. » (P. 99)
« Il y a toujours une part d’incommunicabilité dans les échanges avec l’autre, mais quand la maladie ou les effets médicamenteux s’en mêlent, c’est comme si on avançait dans une forêt en plein brouillard. » (P. 118)
« Je songe à l’expression « Fin de vie » que l’on emploie aujourd’hui au lieu de parler de la mort, de même qu’on dit malvoyant au lieu d’aveugle, en sacrifiant au culte de la litote, comme si éviter de prononcer le mot idoine pouvait protéger de ce qu’il exprime C’est une manie de langage qui en dit long sur l’état de notre civilisation et qui m’exaspère. » (P. 131)
« Dans le doute, continuons à avancer, ne serait-ce que pour le cas où nous n’aurions rien d’autre à nous mettre sous la dent que cette chienne de vie. » (P. 136)