« La grande migration – De l’Espagne à l’Amérique – 1492-1700 » – Alain Hugon

La Grande Migration-De-lEspagne-a-lAmerique-14_7402Migration, Émigration….Vous prononcez ces mots et immédiatement, vous obtenez en retour de vives réactions, soit favorables, soit fortement hostiles…Alors comment résister quand on vous propose la lecture de cet ouvrage historique sur ce thème? 
Christophe Colomb baptisa   « la Española  » l’île qu’il venait d’atteindre en 1492 après plusieurs mois de mer.
Le monde venait de changer, de s’agrandir, de susciter des intérêts. Alors quelles furent les réactions des espagnols, de la royauté espagnole dont le territoire venait de s’agrandir subitement? 

Alain Hugon, universitaire spécialiste de l’Espagne signe une étude fouillée et minutieuse, historiquement et sociologiquement passionnante.
« ….ex-pliquer, c’est d’abord déplier la lettre pour la lire » nous dit-il dans les dernières pages. Alors, point par point, en s’appuyant sur de très nombreux écrits de l’époque, sur de très nombreuses lettres ou décisions judiciaires du royaume, il nous décrit les conditions de cette migration espagnole, de cette conquête. Une migration fondée sur l’argent, bien éloignée des conditions des migrations voulues par le régime français qui expédiait ses bagnards et repris de justice au delà des mers.
Et d’abord nous surprend. Non, ne partait pas qui voulait : il fallait, comme c’est encore le cas aujourd’hui pour ces migrants qui cherchent à gagner nos côtes avoir de l’argent afin de payer les passeurs, officiellement reconnus par le pouvoir qu’étaient les armateurs de bateaux et surtout, obtenir l’autorisation du pouvoir pour embarquer…non pas celui des indiens. Le pouvoir qui prit même des décisions fortes afin de sélectionner et de freiner cette émigration !
Le royaume fut très sélectif et très regardant quant au départ de ses sujets. Certes aller chercher de l’or était important, mais évangéliser le fût tout autant….un émigrant sur huit fut un ecclésiastique. « Une fois encore, l’aspect religieux est indispensable pour comprendre les dynamiques migratoires espagnoles : indissociable de l’emprise politique et culturelle, il se trouve au cœur des dispositifs monarchiques pour la conquête américaine. » 
On partait bien souvent, non pas pour peupler, mais pour y faire fortune, trouver de l’or afin de revenir, riche, le plus rapidement possible. 
Alain Hugon explore l’importante documentation que laissa, pendant plusieurs siècles, cette migration officielle : textes royaux, journaux tenus par les expatriés, mais aussi correspondances familiales, ou décisions judiciaires. Son étude s’appuie sur ces diverses et nombreuses sources documentaires dont il nous livre régulièrement des extraits. 
Il aborde notamment, mais pas exclusivement, la politique familiale d’émigration, l’arrivée d’esclaves, le rôle et la politique de l’Eglise, l’émigration clandestine, la place et le rôle de ces « oncles d’Amérique », ces membres de la famille devenus riches, qui mourraient là-bas, qui y laissaient des biens dont on devait hériter, et ceux aussi, qui devenus riches pensaient au bonheur futur de leur âme en dotant richement l’Eglise et le clergé espagnols, qui peut construire de nombreux couvents que nous pouvons encore visiter quand nous voyageons en Espagne. 
Le pouvoir était sous l’emprise de l’Eglise, de l’Inquisition, et refusait l’émigration de vagabonds, de gitans, de Juifs, d’hérétiques protestants, de musulmans et d’étrangers…« ….les souverains choisirent de ne pas peupler à tout prix, mais bien de sélectionner, autant que faire se pouvait, leurs sujets candidats au départ. »
Il y a tant à dire sur cet ouvrage érudit. Trop fouillé peut-être. Un peu long. Mais passionnant pour celui qui s’intéresse à notre monde, à son histoire. 
Non romancée !
Merci à Babelio, et à l’opération Masse critique et aux éditions Vendemiaire qui me le firent découvrir.
Éditions Vendemiaire – 2019 – 376 pages

Présentation d’Alain Hugon


Quelques extraits retenus

  • « Lors de la première vague de migration à l’échelle mondiale, le contrôle pourtant d’abord sur l’émigration. […..] Tenter de rendre intelligible ce contrôle des départs hors du pays d’origine, et non pas celui des entrées de population, constitue un des buts de cette étude.(P. 7)
  • « Une partie de l’économie péninsulaire semble se trouver sous perfusion, l’argent d’Amérique venait réanimer cette économie, sinon moribonde, du moins atone et en difficulté, tandis qu’il servait dans le même temps à entretenir les relations entre les parents et amis séparés par l’Amérique. » (P. 62)
  • « Entre la volonté individuelle d’émigrer pour changer de cadre de vie et la réalisation de ce projet se dresse donc une foule de démarches administratives, de sommes à réunir et de certificats à solliciter, voire de papiers à renouveler…, ce qui transforme fréquemment l’espoir d’arriver au Nouveau Monde en un horizon limite par des attentes infinies qui font passer de l’espoir au désespoir. » (P. 111)
  • « La crainte permanente de pénétration d’idées hétérodoxes se conjugue avec la volonté farouche d’intimité l’entrée d’étrangers sur le sol américain. Dans les deux cas, l’inquisition agit pour éliminer ce qui était perçu comme des corps étrangers. » (P. 297)
  • « L’importance accordée à l’écrit et à l’abondance des lettres échangées étonnent l’historien du XXIe siècle qui garde à l’esprit l’image d’une société d’Ancien Régime marquée par un analphabétisme quasi général des populations. » (P. 313)

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