« Vivre et mentir à Téhéran » – Ramita Navai

Vivre et mentir à TéhéranVali Asr, c’est l’avenue de 18 km de long qui traverse Téhéran du nord au sud…une avenue emblématique de l’Iran, un peu comme nos Champs Elysées, une avenue qui sert de fil conducteur à ces huit portraits d’iraniens ou d’iraniennes. Huit portraits courageux pour tracer un autre portrait, celui de l’Iran moderne, de son rigorisme, de sa violence, de son luxe et de sa crasse.
Huit hommes et femmes, dont certains en totale opposition avec les images de l’Iran des religieux que les médias, nos médias occidentaux nous présentent. Aucun de ces personnages ne peut nous laisser indifférent, tous traduisent la violence, l’hypocrisie et le mensonge dans lesquels les iraniens sont contraints de vivre. Tous nous révoltent car tous sont des uppercuts. 

Et surtout tous confirment l’extraordinaire courage de cette journaliste. Dans les notes de fin d’ouvrage elle précise : « Durant l’été 2004, j’étais correspondante du Times à Téhéran quand l’idée de ce livre m’a traversé l’esprit pour la première fois. Je venais d’être privée de ma carte de presse par l’Ershad, le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique, ce qui arrivait régulièrement à tous les journalistes. On ne nous donnait jamais d’explications précises, mais ce jour-là, un fonctionnaire plus amical que les autres me dit de but en blanc : « Mademoiselle Navai, vous avez couvert une affaire de droits de l’homme importante et vous avez écrit que certaines personnes se moquaient des mollahs. Vous savez qu’ils n’aiment pas qu’on soulève la question des droits de l’homme. Quant aux plaisanteries à leur propos… » Le fonctionnaire se mit à rire. Il me conseilla de me tenir à carreau et de laisser passer quelques mois qui me « serviraient de leçon ». »
Ces hommes et femmes, personnages principaux ou non de ce livre sont des anonymes, des hommes et femmes de la rue : un terroriste repenti, une femme divorcée, mais aussi une actrice porno, des bassidjis violents, des jeunes filles vues avec un ado de leur âge, des jeunes voulant changer de sexe…L’histoire de chacun et chacune d’eux sert de fil conducteur pour nous permettre de rencontrer d’autres personnages secondaires, courageux ou hypocrites, forts ou menteurs, pour nous permettre de voyager dans le temps, depuis le Shah qui voulut ce boulevard, jusqu’à l’époque actuelle où les Mollahs firent abattre des arbres afin mieux voir ce qui s’y tramait à leur ombre. 
Ces huit petites histoires, toutes vécues, permettent d’aborder des faits de société ou de vie tels que les disparitions d’opposants dans les prisons, les sinistres grues auxquelles sont pendus les condamnés à mort, la prostitution, le trafic de drogue, la consommation d’alcool, les interdits sexuels, la masturbation, l’homosexualité, la virginité des femmes, la violence armée de groupes réprimant ouvertement ceux et celles vivant dans l’immoralité ou cette violence plus insidieuse : celle des religieux et de leurs interdits.  
Et j’en passe !
Et surtout deux maîtres-mots, deux notions sans lesquelles tout iranien, toute iranienne ne peut vivre : l’hypocrisie et le mensonge. Hypocrisie et mensonge des religieux, des juges et de la justice, du régime et ses lois. Les tchadors cachent bien des turpitudes. Et les robes des mollahs aussi. Mensonge imposé pour vivre et résister.
Comment vivre dans ce Téhéran moderne dans lequel « C’est pas illégal d’être gay, ce qui l’est, c’est de baiser gay. » ? Il est inconcevable qu’une jeune fille ne soit pas vierge lorsqu’elle se marie. Alors des chirurgiens, comme Cousu-main, ont pignon sur rue et reconstruisent des hymens, d’autres plus inventifs ont mis sur le marché des artifices permettant de tacher de rouge le drap nuptial…
On sourit parfois, rarement toutefois. Là-bas, certains risquent des coups de fouets ou l’emprisonnement voire leur vie. 
Mentir devient le seul moyen de vivre. Rigueur religieuse et porno cohabitent.  La prostitution aussi….Ou comment aller voir les prostituées légalement, en se mariant pour une heure devant un religieux….
Le lecteur est le plus souvent fortement secoué, indigné par ces violences physiques mais aussi et surtout par ces violences morales, par ces interdits que l’Iran connut à toutes les époques, ces interdits que chacun tente de contourner, par ces prisons iraniennes. Ces interdits pour lesquels les religieux qui les ont promulgués et qui punissent afin qu’ils soient respectés, passent outre en ce qui les concerne. Et ceci depuis bien des années, depuis qu’ils ont pris le pouvoir.
Reporters sans Frontières, qui  s’appuie semble-t-il sur un « registre officiel » de la justice iranienne mentionnait il y a quelques semaines qu’au moins 860 journalistes et journalistes-citoyens ont été « arrêtés, détenus ou exécutés » par le régime iranien entre 1979 et 2009.
« Vivre et mentir à Téhéran » est un témoignage fascinant et courageux de Ramita Navai qui devrait être lu par le plus grand nombre. « Ce sont les histoires vraies de la ville des mensonges. » (P. 15)
Merci Francis de m’avoir fait découvrir ce livre.
Éditions 10/18 – 2017 – Traduction : Cécile Dutheil de la Rochère -Parution initiale : 2014 – 379 pages

Présentation de Ramita Navai


Quelques lignes

  • « Si les coups de fouet et l’emprisonnement sont devenus rares aujourd’hui, les femmes arrêtées pour tenue indécente sont humiliées, harcelées, et leur nom est consigné et marqué d’une croix noire dans un registre ; en outre, la victime et ses parents sont passibles d’une amende et de plusieurs heures de cours de morale. » (P. 123)
  • « À Téhéran, il n’y a pas un recoin où l’on n’achète et ne vend pas d’alcool. Les produits les plus demandés sont la vodka et le whisky. La plupart viennent d’Erbil, en Irak, où une bouteille de Smirnoff vaut six dollars ; en Iran, Asdollah la revendait pour trente. Il avait d’ailleurs été intercepté à plusieurs reprises, mais chaque fois, il évitait le fouet et la prison en payant. » (P. 182) 
  • « La loi sur la sodomie entre personnes de même sexe, qui vient d’être amendée, reflète l’attitude tordue du gouvernement vis-à-vis de l’homosexualité : si le rapport est consenti et que l’homme jouant le rôle actif est un musulman célibataire, il a droit à cent coups de fouet, tandis que celui qui est passif est condamné à la peine de mort (sauf si c’est un kafir, un mécréant, qui couche avec un musulman, auquel cas tous deux seront exécutés). Il vaut donc mieux enculer qu’être enculé. » (P. 349)

 

 

Une réflexion sur “« Vivre et mentir à Téhéran » – Ramita Navai

  1. Je suis content que tu aies apprécié .
    C’est assez percutant et derangeant
    Cette journaliste mérite le respect car ce n’est pas évident de tenir de tels propos en Iran .
    Paradoxalement , tu le sais , j’adore l’Iran et le peuple iranien .
    Ne pas confondre avec les dirigeants

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