
« Désir d’enfant » : une notion fondamentale qui fera l’objet d’une réflexion particulière de Séverine Mathieu.
Alors avec l’aide de la science, des médecins firent tout pour réparer ces erreurs de la vie, ces infertilités dues à Dame Nature ou à des maladies. Ils mirent au point l’AMP : Assistance médicale à la procréation, grâce notamment à l’IAD (insémination artificielle avec donneur) ou la FIV (Fécondation In Vitro)….sigles avec lesquels le lecteur devra se familiariser. Ils permirent à des couples de bénéficier du sperme ou d’ovules de donneurs….La science de ces hommes et femmes, docteurs Folamour, répondant aux désirs d’enfants de ces couples, est sans limite, et source d’espoir pour chacun. Besoin d’enfant et d’Amour avec un grand A.
Cette science est capable techniquement d’aller très loin, si on ne la maîtrise pas, si on ne la borne pas par une éthique, d’essence religieuse, philosophique ou sociétale. Les débats, les oppositions, les craintes, les espoirs sont sans fin et se télescopent. Ces possibilités permises par la science peuvent être sources de perturbation ou de résistances au sein d’un couple…comment être père d’un enfant conçu grâce au sperme d’un autre ? Un père est-il celui qui a fourni le sperme, simple « matériau médical », pendant quelques micro-secondes, ou celui qui donne de l’amour au quotidien, qui fait grandir et s’épanouir un enfant? Quels droits donner à un enfant de connaître celui dont il est issu, grâce à son don de sperme ? Faut-il lever cet anonymat des donneurs, et si oui, quels en sont les risques? Quels statuts donner à ces embryons surnuméraires congelés? Sont-ils simplement un autre matériau médical, sur lequel peuvent être réalisées des études ou déjà des enfants à protéger et donc à ne pas éliminer ?
Pourquoi vouloir à tout prix faire un enfant, alors qu’il y en a tant à adopter ?
Les sujets sont vastes et sources parfois de débats acharnés.
Philosophes, médecins, personnages politiques ou religieux s’affrontent sur ces diverses questions, et doivent trouver « les compromis à l’œuvre en matière de respect des normes institutionnelles religieuses »….Oui, mais quelle religion ? Catholiques, Juifs et Musulmans n’ont pas du tout la même approche, la même philosophie, ni non plus les mêmes interdits.
Le débat religieux est une source de réflexion largement prise en compte dans l’ouvrage. Trop peut-être….mais il ne faut pas sous-estimer le poids des interdits religieux dans certaines décisions politiques, et également dans la vie de nombreux couples !
Les enjeux éthiques et techniques des technologies de la reproduction assistée médicalement sont un sujet vaste et complexe. Que dire des États-Unis, puritains et capitalistes aussi : proposant une clinique dans laquelle des couples peuvent acheter des enfants sur mesure, sexe, couleur…. L’ouvrage, complexe parfois, permet à chacun d’engager ou de développer sa propre réflexion.
Séverine Mathieu s’est appuyée sur une enquête de terrain réalisée en 2009 et 2010 au sein d’un Centre d’étude et de conservation des œufs (CECOS). Elle a observé 138 consultations de personnes rencontrant des troubles de fertilité et réalisé une vingtaine d’entretiens avec des personnes engagées dans une procédure d’AMP. On peut regretter des impressions de redites, de déjà lu.
Merci à Babelio et aux Editions de l’atelier de m’avoir permis cette lecture à la fois technique et philosophique et d’avoir ouvert cette réflexion, grâce à l’opération Masse Critique.
Les éditions de l’atelier – 2013- 146 pages
Présentation de Séverine Mathieu
Quelques lignes
- « Comment, dans une institution laïque, en l’occurrence ici l’hôpital public, la variable religieuse peut, d’une part, être mobilisée par les patients croyants dans le cadre particulier de l’assistance médicale à la procréation et, d’autre part, prise en compte ou non par les soignants ? C’est cette interrogation qui motiva tout d’abord ce travail. » (P. 9)
« C’est Dieu qui fera que je suis enceinte. Donc s’il n’est pas d’accord il ne le fera pas. » (P. 35)
« Les sociologues des religions s’accordent à penser que la religion, affaire privée, se vit aujourd’hui sous le mode d’une individualisation du croire. De fait, l’autorité religieuse ne peut plus empiéter sur la souveraineté individuelle, la sphère privée est séparée de la sphère publique. » (P. 39)
- « Pourquoi défendre la levée de l’anonymat ? Pourquoi au contraire s’accrocher à l’anonymat, alors que la plupart de nos voisins européens l’ont abandonné? A quelle conceptions de la morale familiale et de la filiation cette question renvoie-t-elle? » (P. 94)
- « En ouvrant l’espace des témoignages, l’enquête menée donne à voir tant la multiplicité des barrières morales que se posent les individus que les consensus à l’oeuvre sur un grand nombre de repères. Il apparaît que ces repères ne puisent pas seulement à des réservoirs de sens religieux. Il est une morale séculière qui s’est construite sur des normes d’inspiration chrétienne, mais pas nécessairement » (P. 143)