
Quand on est fille de notaire parisien, en 1885….
…il est de bon ton, voire impératif de bien se comporter, de ne parler à table que si Papa vous le permet, impératif de ne pas répondre, de ne pas être ironique…bref, d’être belle, de se taire, de prendre conscience que les seules opinions tolérées des femmes sont celles de leur père ou époux.
Mais Eugènie est beaucoup trop indépendante. Son esprit beaucoup trop libre déplaît fortement à François Cléry son père, engoncé dans son costume, qui vraisemblablement comprime sa bedaine…on ne peut pas être bourgeois aisé sans cette bedaine et cette chaîne en or retenant la montre gousset, signes extérieur de puissance, de richesse. Signes extérieurs imposant le respect.
Eugénie est incorrigible, elle irrite papa, qui n’hésite pas à la considérer comme folle quand il découvrira que sa pauvre fille voit des apparitions de défunts dans sa chambre et parle avec eux.
Trop c’est trop !
Alors en toute hypocrisie, Papa Cléry va proposer une promenade à sa fille…vers cet hôpital psychiatrique, La Pitié-Salpétrière, où un certain Docteur Charcot, met en scène devant un public béat ses miracles. Les bourgeois viennent, comme s’il se rendaient au cirque, se faire peur devant les crises d’épilepsie de certains patients….Crises provoquées par Charcot.
Peinture sordide de cette établissement, des conditions d’accueil et de « soin » des patientes, des salles communes, des chambres d’isolement, du temps qui passe, des jours qui se traînent, comme les veilles et lendemains..Des dizaines de femmes dans une même pièce, attendant le repas.. seulement des femmes…pas toutes folles, loin de là. Il est si facile pour un époux ou un père de faire interner son épouse, sa fille. .
Folie, hystérie, démence, hallucination, sont comme le mot Femme des mots féminins…
Faire parler les morts, des hommes en parlent, certains ont écrit des livres sur ce thème. On trouve sans difficulté dans les libraires « Le livre des esprits. » d’Allan Kardec….qu’Eugénie a découvert avec passion.
Mais eux sont des hommes, ils ne risquent rien!
Le temps est long dans cet hôpital..Heureusement certaines soignantes ne sont pas des brutes. Heureusement, aussi, le Bal des folles approche. Un bal que le Tout Paris bourgeois guette…
Une préparation qui occupe ces femmes désœuvrées.
C’est si amusant d’y participer, d’approcher pour un soir ces folles qui ont choisi leur belle robe, si amusant de faire partie de cette élite parisienne, si amusant d’y être vu.
Un bal des folles, que Jérôme Garcin évoque également dans « Le syndrome de Garcin »
On comprend qu’une jeune auteure, ait pu être indignée par ce bal et par ces conditions réservées aux femmes, ces femmes dont les époux ou pères voulaient se débarrasser, sans tracas, sans formalité. Indignée par les soins, le mot est bien mal adapté, apportés par la psychiatrie.
J’ai apprécié son texte, né de l’histoire, né de turpitudes masculines.
Une honte dénoncée avec force.
Une honte à partager
Éditeur : Albin Michel – 2019 – 251 pages
Présentation de Victoria Mas
Quelques lignes
- « Elle l’a vu étudier, noter, soigner, chercher, découvrir ce qu’aucun n’avait découvert avant lui, penser comme aucun n’avait pensé jusqu’ici. À lui seul, Charcot incarne la médecine dans toute son intégrité, toute sa vérité, toute son utilité. Pourquoi idolâtrer des dieux, lorsque des hommes comme Charcot existent ? » (P. 12)
- « Les esprits les plus fiers ne veulent pas qu’on vienne les ébranler – surtout pas une femme. Ces hommes-là n’estiment les femmes que lorsque leur plastique est à leur goût. » (P. 36)
- « Mais la folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes : les hommes l’exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-mêmes. » (P. 113)
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« Pour ces bourgeois, fascinés par les malades qu’ils ont l’occasion, une fois dans l’année, de côtoyer de près, ce bal vaut toutes les pièces de théâtre, toutes les soirées mondaines auxquelles ils assistent habituellement. Le temps d’un soir, la Salpêtrière fait se rejoindre deux mondes, deux classes, qui, sans ce prétexte, n’auraient jamais de raison, ni d’envie, de s’approcher. » (P. 134-5)
- « Elle se souvient aussi des pique-niques en famille sur les pelouses, de la sensation de l’herbe fraîche sous la paume, du platane d’Orient dont elle caressait l’écorce épaisse, des moineaux qui volaient en sifflant d’une branche à l’autre, de toute une foule d’ombrelles et de crinolines, des enfants qui couraient derrière des petits chiens, des hauts-de-forme noirs et des chapeaux à fleurs, de l’immense paix d’un endroit où le temps était suspendu, où il faisait bon vivre, une époque où elle et son frère pouvaient encore profiter du présent sans craindre l’avenir. » (P. 197)
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Ravie de lire cet avis que je partage. Merci
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