"Vaincre à Rome" – Sylvain Coher

« Lire comme on court ; d’une seule traite en ménageant son souffle. »…

Pari presque gagné par l’auteur….Le temps d’un marathon, c’est un peu moins que le temps qu’il faut pour lire ce livre, à condition de ne pas être distrait par ce qui se passe autour, à condition de rentrer dans sa bulle, de tourner les pages…un peu comme « le berger, le soldat et l’athlète » Abebe Bikila le fit, en multipliant les foulées, ce 10 septembre 1960 à Rome.

C’était le dernier jour de ces jeux olympiques…l’un des derniers marathons qu’on ne pouvait suivre qu’à la radio…La télé était encore peu très peu présente dans les foyers.

Abebe Bikila se battait pour son pays, pour la gloire de l’Ethiopie, pour son roi Haïlé Sélassié, dont il était un fil de berger, un soldat, un caporal. 

Autour de lui, ce jour là, tout le gratin de la course, des anciens vainqueurs de marathon qu’il craignait, des grands noms de la course, dont un certain  Rhadi…Le marocain à battre.

Courir, courir….Abebe court chaque jour sur les hauts plateaux éthiopiens, sous le soleil, sous la chaleur et le froid hivernal aussi. Pendant des années il a couru « vingt bornes pour rejoindre l’école et dix autres encore pour aller puiser l’eau »sans chaussures …sans chaussures parce que ses parents n’avaient pas les moyens de lui en offrir. Sylvain Coher, place le lecteur dans la tête d’Abebe et nous permet de suivre cette course mythique, cette course qui se gagne avec les jambes, mais surtout au mental, grâce à la rage de vaincre…Car pour Abebe, ce n’est pas une course comme les autres marathons dans lesquels il fut engagé. Non c’est la guerre !…

Son empereur lui a donné cette mission : « Vaincre à Rome, ce serait comme vaincre mille fois, c’est ce qu’a déclaré l’empereur Haïlé Sélassié juste avant le départ. »….Gagner sous le ciel italien serait une revanche prise par l’Ethiopie contre Mussolini qui avait vaincu Addis-Abeba…ce serait aussi conforter tous les mouvements africains qui combattent pour la décolonisation…Abebere présente l’Afrique noire « l’Afrique entière court avec le Roi des rois »

Pour le jeune caporal de 55 kg, gagner serait aussi adresser une réponse humiliante à tous ces spectateurs qui poussent des cris de singe sur son passage…en se moquant de sa couleur. 

Alors le conseil donné par son entraîneur suédois est simple : gagner en se ménageant, ne pas s’essouffler en allant trop vite, surveiller ses adversaires et plus particulièrement ce marocain Radhi…

Mais où est Radhi ? Abebe ne le voit pas devant lui …derrière lui, alors?… mais comment se fait-il qu’il ne soit pas à ses côtés? est-il blessé?…La victoire est dans les jambes, et aussi dans la tête, dans la connaissance de l’ennemi, dans la maîtrise de la course.

Abebe s’interroge et se ménage…ne pas engager trop vite ses forces, ne pas s’épuiser…grignoter place après place, laisser ses adversaires derrière soi, les sonner pas son aisance!

Tactique, embuscade, combat contre des plus forts, contre des mieux armés, contre des favoris. Un combat dans l’honneur, en ce qui le concerne. Ce n’est pas le cas de tous.

Une course tactique préparée avec « papa »…c’est comme ça qu’il appelle Niskanen son entraîneur, major suédois qui s’occupe des cadets à l’école militaire d’Addis-Abeba et secrétaire général de la Croix-Rouge éthiopienne.

En 2 h 15 min 16 s, il remportera cette course… qu’il courut pieds nus sur le goudron, pieds nus protégés par une couche épaisse de corne acquise dans le temps, sur les plateaux éthiopiens.

Il gagna pieds nus en perdant seulement 350 grammes !

Avec honneur et fierté « Parce qu’un bon coureur sera plus utile à son pays qu’un bon tirailleur. »

C’était il y a soixante ans. Aujourd’hui la télé nous fait vivre les jeux modernes, les caméras sont partout…A cette époque c’était la radio, ses crachotis, les commentateurs devaient meubler le temps avec les informations partielles qui leur arrivaient.

Sylvain Coher est parvenu, sans me lasser, à se mettre à la place et dans la tête d’un vainqueur de marathon, à la place de ces spectateurs sidérés par l’exploit, à la place de ces auditeurs.

Je ne m’en souviens pas! 

Éditeur : Actes-Sud – 2019 -166 pages


Présentation de Sylvain Coher


Quelques lignes

  • « C’est dans ce cloître juste avant le départ que j’ai décidé de retirer mes chaussures. Malgré la méfiance de Niskanen qui ne me le conseillait pas. Tu es sûr de toi ? m’a demandé papa. J’ai simplement décidé de retirer mes chaussures parce que j’étais presque certain de mieux courir pieds nus. » (P. 16)
  • « Nul besoin de réfléchir pour réussir à courir ; courir est en soi et ne s’apprend pas davantage que marcher. C’est juste plus rapide ou plus impérieux. » (P. 17)
  • « Nous, coureurs éthiopiens, il paraîtrait que nous suons moins que les autres. Selon les spécialistes c’est ce qui ferait notre particularité et notre compatibilité à la course d’endurance. Et puis quoi ? On nous compare aux chameaux des déserts car ce que nous ne perdons pas en sueur nous le gagnons en évitant la déshydratation. » (P. 32)
  • « Le berger, le soldat et l’athlète ont chacun les pieds sur terre et le chemin sur lequel nous allons est ce qui nous lie et ce qui nous rassemble.. » (P. 45)
  • « L’ennemi le plus audacieux hésite à se frotter à un homme qui préfère l’anéantissement à la retraite honteuse…. » (P. 75) 
  • « En vérité je viens de voler sept minutes et quarante-sept petites secondes au record d’Emil Zátopek à Helsinki ; mais ça en valait la peine. » (P. 159)

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