
« Coup de maître, magistral, bouleversant »….le père Noël a sans doute été attiré pas les superlatifs du bandeau.
Pour ma part, je m’en méfie souvent. Par contre le visage de souffrance était, en ce qui me concerne, beaucoup plus attirant, et m’intriguait…Alors je suis entré dans le livre confiant d’un bonheur à venir…
Quatre jeunes étudiants décident de louer ensemble un appartement et de l’aménager à New-York, afin de s’épauler, et de faire des économies…Quoi de plus banal..une banalité des premières pages pour éprouver la résistance du lecteur sans doute. Une banalité qui s’installe…on cherche le coté « bouleversant ».
J’avoue que je me suis demandé, un temps, si j’arriverais au bout de ces plus de 1100 pages (en édition Livre de poche). Je tournais les pages, et je cherchais toujours pourquoi tant de superlatifs. Au point d’envisager même de passer à une autre lecture. Puis, progressivement des petits riens m’on titillé…
L’auteure bouscule les époques, va et revient dans le temps. Très vite, on quitte leur statut d’étudiants, mais l’auteure y reviendra plus tard.
Tous ont réussi leur vie. Le lecteur fait connaissance avec JB, l’artiste, le peintre, avec Malcolm, fils de riche, devenu architecte, avec Willem, acteur. Et enfin avec Jude, étudiant en droit, miné par des crises d’angoisse, se scarifiant en douce, handicapé aussi…On s’attache à lui, on s’interroge quant à son malaise, quant à ses infirmités. Comme ses amis et Andy son médecin, on aimerait comprendre l’origine de cette douleur morale et physique. Il dit de lui : « Je ne pense pas que le bonheur soit fait pour moi…. » On a bien quelques idées, qui nous sont soufflées…mais il nous faut attendre, attendre…
Personnage principal autour duquel tous gravitent, et que chacun aimerait aider et comprendre, Jude nous ouvre les portes de la société américaine, du fric, du succès, de ces avocats retors, du bling-bling à la mode, de ces feuilletons-télé américains, mais aussi des tarés et obsédés qui existent sous toutes les latitudes, et les portes de l’amitié vraie et pure, sans arrière pensée.
On pressent le pire…soyez patients!
Subitement, tout s’éclaire avec violence. Certaines pages sont pénibles, violentes, repoussantes de vice, glauques. Rien ne nous est épargné ! A plusieurs reprises ! Jude est à la fois le gamin et l’adulte qu’on a envie d’aider, mais le peut-on? Le veut-il ? Encore faut-il le comprendre. Il est également celui qui écrasera, sans état d’âme, ses adversaires devant les tribunaux, grâce à sa compétence et à sa roublardise professionnelle.
Roman sur l’amitié masculine et l’homosexualité aussi, sur l’amour. 4 hommes, 4 américains nés dans des milieux différents, blancs ou noirs forment un quatuor dont l’amitié résistera au temps et aux épreuves. Pendant 30 ans nous allons les suivre, les connaître, en s’éloignant rarement de Manhattan et de ses luxueux appartements. Des personnages souvent complexes.
Roman dérangeant, voire repoussant parfois de vice et de violence, dont, effaré, on tourne les pages … trop nombreuses sans doute, notamment celles qui n’apportent rien ou reviennent sur des faits connus, déjà écrits.
Un roman qui aurait, gagné à être un peu moins long, en évitant des redites, sans que la personnalité fouillée des personnages, ou la description de leurs relations en souffrent.
Éditions Buchet Chastel – Livre de poche – Traduction : Emmanuelle Ertel – 2019 – Parution initiale en 2015 – 1123 pages
Présentation de Hanya Yanagihara
Quelques lignes
- « À son âge, seuls les prouesses sexuelles, la réussite professionnelle et l’argent constituaient les aspects véritablement constitutifs de l’identité d’une personne. Et dans ces trois domaines, Malcolm échouait également. » (P. 102)
- « Seul Willem (et Andy, et, dans une certaine mesure, Harold) connaissait les grands traits de son enfance : le monastère, le centre, son séjour chez les Douglass. Avec tous les autres, il essayait de rester évasif le plus longtemps possible, jusqu’au moment où il expliquait que ses parents étaient morts quand il était petit, et qu’il avait grandi dans des familles d’accueil, ce qui en général mettait un terme aux questions. » (P. 292-3)
- « C’était une énigme navrante : comment aider une personne qui ne veut pas qu’on lui porte assistance tout en se rendant compte que ne pas l’aider revient à ne pas être son ami du tout ? » (P. 361)
- « En vieillissant, on prenait conscience que les qualités que l’on estimait chez les personnes avec lesquelles on couchait ou que l’on fréquentait n’étaient pas forcément celles avec lesquelles on voulait vivre, ou être, ou passer ses journées. Si l’on était judicieux, et chanceux, on le comprenait et on l’acceptait. On se rendait compte de ce qui était important pour soi, et on le recherchait, et on apprenait à être réaliste. » (P. 885)
- « Et bien que la vue du sang, évidemment, ne l’effrayât pas, celle du pus, de la pourriture de son corps qui essayait désespérément de se soigner en tentant de tuer des parts de lui-même continuait à le perturber, y compris toutes ces années plus tard. » (P. 911)