"L'homme de manufacture" – Malgorzata Sikorska-Miszczuk

Êtes vous heureux?

Rassasié?

Ici, en Europe Centrale et Orientale, nous sommes toujours 

Affamés

Ce  titre qui m’a été transmis dans le cadre d’une opération Masse critique de Babelio m’a à la fois étonné et passionné.

Étonné en premier lieu parce que je pensais recevoir un roman ou au moins un livre retraçant l’histoire d’Israël Poznański, propriétaire à la fin du XIXe siècle d’une usine de textile dans la ville polonaise de Łódź, et me transportant au cœur de cette période…..je n’avais pas remarqué dans la proposition qu’il s’agissait d’une pièce de théâtre ou d’un livret d’opéra…

Qu’importe, le texte n’en est que plus précis !D’autant plus que ce texte concis se lit assez vite et peut être relu afin d’en apprécier la force des dialogues, les pages de droite sont en français, celles de gauche, en polonais.

Cette ville de Łódź était un grand centre industriel, l’usine d’Israël Poznański travaillait le coton. Elle attirait ainsi une population rurale à la recherche d’emplois. Plusieurs communautés s’y côtoyaient, depuis les Polonais en passant par les Juifs nombreux dans cette Pologne.

Cet opéra, pièce de théâtre, est articulé autour de deux actes.

Dans le premier, en 1900, Israël Poznański, ancien propriétaire de l’usine hanté par l’arrêt de son entreprise divague sur son lit de mort. Il ne sait plus s’il est riche ou non. Il a l’impression de se trouver sur un bateau. Le Médecin est là. Les événements et grèves de 1892 lui reviennent en mémoire. 

Le deuxième acte, beaucoup plus proche de nous se déroule dans les années 90. L’usine a fermé ses portes, le chômage sévit, les Polonais ont toujours faim. 

Une nouvelle race d’homme est arrivée : les promoteurs et développeurs…L’usine qui a arrêté toute activité a été démembrée. Les ouvriers se souviennent de leur dernier jour de travail, ils n’ont pas de quoi payer leur loyer, l’Union Soviétique s’est effondrée. Ils vivaient bien avant. Ils crèvent d’angoisse aujourd’hui. Alors pourquoi pas transformer l’usine en centre culturel ou en cinéma, y créer des boutiques…?

En une soixantaine de pages, de conversations ou de monologues, la vie de la Pologne s’étire, sont évoqués le racisme contre les Juifs, les riches propriétaires, le travail éreintant, les socialistes venant prêcher la Révolution, les faillites, les tentatives de renaissance, la main-mise soviétique, la reconversion des bâtiments..

Les temps on changé, les maîtres aussi…Les grands patrons faisant vivre une ville ne sont plus là. La pauvreté, quant à elle, est toujours là en l’absence de vision économique forte pour les lendemains…

Un texte qui pourrait s’appliquer à de nombreuses villes de notre vieux continent…dans lesquelles centres commerciaux et multiplexes donnent une deuxième vie aux bâtiments qui autrefois accueillaient des usines

Un texte dérangeant également où l’on voit que certains de nos plus grands auteurs n’ont pas été tendres avec les Juifs…

Éditeur : Presses universitaires du midi – Traduction : Kinga Joucaviel – 2019 – 65 pages en français et 65 en polonais


Présentation de Malgorzata Sikorska-Miszczuk


Quelques lignes

« Et si on les déportait tous au Pôle nord
Là-bas, la neige n’arrête pas de tomber
Ils pourraient y vivre en toute liberté
Paysages magnifiques, aurores boréales
Animaux exotiques
Le silence régnerait alors sur le monde
Plus de bruit des chaussures traînées sur la neige. » (P. 27) 
 
« Les hébreux ont presque toujours été ou errants
Ou brigands, ou esclaves, ou séditieux :
Ils sont encore vagabonds
Aujourd’hui sur la terre (…)
Un peuple ignorant et barbare, 
Qui joint depuis longtemps la plus sordide
Avarice
A la plus détestable superstition
Et à la plus invincible haine pour tous
Les peuples
Qui les tolèrent
Et qui les enrichissent
Vous êtes des animaux circulants. » (P. 47) (Voltaire : Dictionnaire philosophique, article « Juifs » sections I et IV (Oeuvres complètes, ed. Garnier, Tome 19 pp.518, 521, 541)
 
« Êtes vous heureux?
Rassasié?
Ici, en Europe Centrale et Orientale, nous sommes toujours 
Affamés
Il est difficile de vivre ainsi
La faim pèse sur chaque décision qu’on prend et
Nous contraint à faire des provisions pour l’hiver
A nous méfier des voleurs
A propos de l’hiver
Vous n’avez pas idée de l’hiver que nous avons 
En Pologne : Ce n’est pas qu’il neige trop souvent
Mais il fait nuit très tôt
Le ciel est gris et bas
Le soleil s’envole dans les pays chauds
De plus,, nos dirigeants commençant pas « gé »
Gomulka et Gierek 
Ont fait bâtir des maisons aux plafonds très bas
Donc, écrasés par le ciel d’hiver
Nous rentrions chez nous et supportions 
Ce poids qui nous écrasait
Le poids du plafond au dessus de nous
C’est accablant –
Avoir un logement, c’était pourtant une chance
Maintenant, c’est différent
Nous avons des promoteurs, des développeurs
Ce que je viens de décrire appartient au passé amer
Ce qui importe maintenant, c’est l’usine….(P. 83)
 
 

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