
Un jeune italien prend un bateau pour aller de Venise à Naples.
Le bateau est attaqué et capturé par des galères turques. Les esclaves sont libérés, les turcs coupent nez et oreilles aux chrétiens et les abandonnent sur des radeaux.
Le jeune italien est médecin, sa vie est sauve, mais il est fait prisonnier. Enchaîné aux autres prisonniers il débarque à Istambul.
Comme il est médecin il est placé dans une bonne cellule et parvient à être apprécié au point d’être appelé pour soigner le Pacha. Celui-ci est avec un homme sosie du jeune narrateur, mais plus âgé que lui de 5 à 6 ans.
C’est « le Maître » !
Le Pacha souhaite que le jeune homme, narrateur, aide l‘homme qui a des notions de pyrotechnie, à inventer des feux d’artifice pour le mariage de son fils.
Ils sont tous deux présentés au Sultan, qui est encore un jeune enfant. Tous deux lui expliquent les étoiles, leur éloignement, leurs déplacements.
Premières pages d’un livre inracontable et déconcertant où se mêlent, s’échangent, s’opposent parfois les personnalités des deux personnages. L’auteur joue avec la psychologie de chacun des personnages, joue de leurs rapports, de leur réciprocité, de leurs oppositions.
Histoire troublante et déconcertante….au point d’envisager un temps d’abandonner cette lecture.
Mais comment abandonner un livre alors que la magie opère lentement ? Comment abandonner un livre, un conte qui vous titille et pique votre curiosité ?
La magie opère.
Et progressivement nous prenons conscience que cette fable qui semblait initialement « tirée par les cheveux », est un conte magique, permettant à chacun de se connaître, de comprendre que notre personnalité, que nos connaissances se sont construites au fil du temps grâce à nos rencontres, grâce aux contacts que nous avons eus, grâce aux personnes que nous avons rencontrées et qui ont fait un bout de chemin avec nous.
Sans elles notre personnalité et notre vie auraient été toutes autres.
Sans elles nous serions bien différents.
Ceux qui ont fait un bout de chemin avec nous, également. Ce fut ma lecture.
« ….faire des recherches et des découvertes, « progresser » ensemble.« ….beau programme de vie !
Quel beau conte oriental sur fond de peste, lu pendant ce confinement!
Éditeur : Gallimard Folio – Traduction : Münevver Andaç – 2004 – Parution initiale en 1985 – 258 pages
Lien vers la présentation d’Orhan Pamuk
Quelques lignes
- « Alors que je ne pouvais m’empêcher d’observer, du regard d’un homme qui, le jour même, avait vu la mort de près, la ressemblance troublante entre cet homme et moi, il cessa d’utiliser le mot « enseigner » : nous allions, ensemble, faire des recherches et des découvertes, « progresser » ensemble. » (P. 50)
- « L’homme doit aimer la vie qu’il a choisie au point de finir par l’assumer. » (P. 100)
- « Depuis qu’il s’était mis à se mépriser lui-même, il ne pouvait plus éprouver de mépris pour moi ; je me disais que j’avais enfin retrouvé le sentiment d’égalité entre nous, égalité que j’avais à tort considérée comme allant de soi aux premiers jours de notre vie commune, et j’en étais ravi. » (P. 109)
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« La peste se répandait rapidement, mais je n’arrivais pas à apprendre ce que le Maître appelait le courage. Il est vrai que je ne prenais plus autant de précautions qu’aux premiers jours de l’épidémie.. » (P. 117)
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« À vrai dire, il me manquait terriblement, tout comme il me manque aujourd’hui. Je me demandais si nous nous ressemblions vraiment comme dans mes souvenirs, ou si ce n’était qu’une illusion. » (P. 141)
- « Je ne saurais dire si ces histoires, auxquelles je crois aujourd’hui à force de les avoir répétées, sont des événements que j’ai vraiment vécus dans ma jeunesse ou des fables qui surgissent sous ma plume chaque fois que je m’installe à ma table pour rédiger ce livre. » (P. 196)