
«Il faudra « le » faire seuls.»
Un « le » chargé de sous-entendus et qui en dit long, une question que nombre d’entre nous se sont posés face au destin, ou à la maladie qui font d’un être cher un « légume » incapable de réagir, incapable d’exprimer sa volonté…
« Mais qu’aurait-il voulu? »… »Aurait-il aimé se voir dans cet état? » « N’aurait-elle pas voulu en finir? »…
Autant de questions que se posent la famille d’Elsa leur mère, dans un état « pauci-relationnel » depuis son accident de la route. Son état a régressé de « conscience minimale » au « stade végétatif »
Elle est sortie du coma, mais reste incapable de faire le moindre geste, de réagir aux stimuli, incapable de réagir également aux souvenirs d’enfance, à sa langue maternelle, le norvégien, incapable surtout de s’exprimer, et d’exprimer une volonté.
Drame familial car elle ne peut être placée en centre de rééducation :« il n’y a pas suffisamment d’espoir de récupération»
« Autant qu’elle meure» penseront nombre de ceux qui l’ont connue.
Alors Manon, la narratrice va s’occuper de cette maman légume, et va délaisser ses proches afin de s’installer à ses côtés dans la maison familiale, découvrir des pans de son passé, des morceaux de vie, des engagements religieux de cette maman, dont ni elle, ni ses frères et sœurs n’avaient jamais entendu parler.
Alors se posent les questions morales, éthiques et légales qui effleurent tous les esprits …faut-il arrêter tout ça, est-ce humain de laisser vivre une personne qui avait déclaré de son vivant : « Si ça arrive, vous me faites passer »
…Vaste question de l’euthanasie…soulagement de souffrances ou assassinat ?
Questions qui peuvent percuter chacun de nous à tout moment, créer des tensions et des débats familiaux parfois tendus entre frères et sœurs, surtout quand chacun vit avec le sentiment d’avoir reçu moins de tendresse que ses autres frères et sœurs, de la part de cette mère devenue incapable d’exprimer son amour…..une tendresse fraternelle qu’ils ont de le peine à exprimer, chacun s’enfermant dans des ressentiments, dans des non-dits.
Une écriture qui ne manquera pas de réveiller des passés douloureux, chez certains, comme ce fut le cas en ce qui me concerne, des passés de fin de vie de parents, au regard mort, sans lueur, à la voix atone et incohérente, des enveloppes charnelles sans âme et sans lucidité….mais aussi ces débats familiaux tournant parfois à des violences verbales….pénibles
Oui, cette lecture fut difficile, car elle réveilla ces passés personnels pénibles, qu’elle évoque si bien, et surtout m’interpella…Si le destin accidentel de cette maman devient le mien, si mon esprit s’évade du fait de mon âge, j’aimerais également que tout s’arrête, mais les miens auront-ils légalement et moralement le droit de respecter mon choix ?
Pas certain!
C’est bien dommage !
Éditions Flammarion – 2017 – 190 pages
Lien vers la présentation de Charlotte Pons
Quelques lignes
- « Ce qu’il reste d’une famille une fois les enfants devenus adultes ne tient pas à grand-chose et notre fratrie particulièrement n’attend qu’un prétexte pour exploser. » (P. 19)
- « ….maman va-t-elle mourir naturellement ou faudra-t-il l’aider… » (P. 81)
- « Personne ne m’avait prévenue qu’une fois adulte, il ne me resterait plus qu’un champ restreint où je ne ferais que me débattre, un mince goulet d’oxygène entre boulot, loyer ou prêt, couple et enfant. Et voilà que se profile aussi la mort de ma mère ? Une mort que, peut-être, il me faudra décider de précipiter ? Non, vraiment, je préférerais me tirer. » (P. 103)
- « Et aujourd’hui, on me demande de ramener ma mère à la maison, alors qu’elle a autant de présence qu’une dépouille ? Tout cela parce que son cœur bat encore. » (P. 110)
Quel sujet délicat et pourtant si important ! Comme d’habitude je reste incapable de lire un tel écrit et pourtant cette chronique est si juste entre la volonté de la personne et ce que les personnes testamentaires pourront en faire …Les extraits sont importants aussi … Merci bcp pour ce partage