« Le cheval rouge » – Eugenio Corti

 « Les brigades italiennes d’infanterie alpine sont les seules formations d’infanterie au monde qui enthousiasment vraiment un militaire. » »

(Général Guderian, chef de l’état-major allemand, à la fin de la guerre) …

….un général non nazi qui fut prisonnier de guerre des Américains de 1945 à 1948,puis libéré sans être inculpé de crimes de guerre.Après la Seconde Guerre mondiale, il fut nommé major-général puis inspecteur des troupes blindées dans l’armée d’Allemagne de l’Ouest.

L’image de l’armée italienne était cependant tout autre notamment en France où l’on plaisantait : « Quand l’officier italien crie : “A la baïonnette !”, tout le monde entend : “A la camionnette !” », pouvait-on entendre lors du dernier conflit mondial.

Et pourtant l’armée française n’avait pas de leçon à donner, l’histoire le prouvera en 1939. Et j’avoue que l’image que j’avais inconsciemment de cette armée italienne était celle née des plaisanteries faites sur son compte…

Et avec « Le Cheval rouge » j’ai du réviser ma copie, réviser l’image que j’en avais.

Les premières feuilles d’appel au front arrivent dans les familles, les examens scolaires ont été annulés. On parle de plus en plus de la Guerre, les jeunes de la classe 21 se préparent dans la ville de Nomana et doivent  se présenter au district militaire . Et le 10 Juin 1940  l’Italie entre en guerre. Tous les hommes doivent se rendre en rang devant la mairie, pour écouter le discours du Duce…

L’Italie fasciste s’est alliée aux Allemands alors que tant d’italiens sont morts en les combattant !

L’amateur d’Histoire est ferré, il sait qu’il va passer des heures de lecture, des heures de découverte aux cotés de ces jeunes appelés. Un voyage qui mènera le lecteur en Russie; face à eux « ….des hommes qui » avaient tous le crâne rasé, des faces terreuses et épouvantées, des uniformes de toile, et ils faisaient terriblement penser – comme aucune autre troupe au monde – à de la viande de boucherie. »

Là, tant d’italiens mourront de froid sur ce front russe, alliés à l’armée nazie contre l’Armée rouge. D’autres mourront de faim et de froid dans les sinistres camps rouges. Un aspect de la Grande Histoire que je découvre.

Les italiens dont on disait, sous nos cieux, qu’ils courent plus vite que les lapins, démontrent tout leur courage et leur combativité. Eugenio Corti n’a rien imaginé…il était sur ce front. Il a mis en scène tous ses copains, ceux qui, comme lui, eurent la chance de revenir et ceux qui y sont restés, morts dans d’atroces souffrances, de faim, de froid, sous les coups ou fusillés.

Et en Italie, les familles attendent « les disparus étaient peut-être cent mille [..]et ils ne pouvaient pas s’être tous volatilisés. Beaucoup, « forcément », devaient être prisonniers, et, une fois la guerre finie, les prisonniers retournent chez eux. Mais pourquoi, demandait la femme, s’il en était ainsi, n’écrivaient-ils pas ? Et puis l’habituelle, la lancinante question : pourquoi ceux qui avaient été faits prisonniers en Afrique écrivaient ?« 

Difficile de résister à cette armée rouge, ceux qui étaient pris savaient qu’ils étaient promis à une mort quasi certaine de faim et de froid. Les pages sont parfois insoutenables. Mais ces combats en Russie ne font pas l’essentiel du livre. Loin de là.

Rares sont les prisonniers qui reviennent de Russie. L’un d’eux pèse 37 kg.

Ceux qui eurent la chance de ne pas être faits prisonniers purent revenir en Italie…combattre l’armée allemande..Les alliances avaient changé. Là, les discussions entre les rares qui reviennent de Russie et les communistes qui n’y ont jamais mis les pieds deviennent impossibles.

Les Italiens doivent dorénavant combattre les Allemands qui occupent l’Italie, libérer leur pays et faire face, en même temps, aux réactions des communistes italiens, purs et durs qui idolâtrent le Petit Père des peuples.

Eugenio Corti était l’un d’eux, aux côtés de rares copains, partis comme lui, l’un de ceux qui s’engageaient pour construire l’Italie d’après la guerre, l’Italie contemporaine.

Ce pavé de plus de 1400 pages est passionnant car Eugenio Corti y rassemble ses souvenirs, ses engagements d’Homme, depuis la fin des années 30 jusqu’aux scooters des années 60-70….les souvenirs d’un homme libre qui a toujours conservé un regard critique et totalement indépendant face aux événements auxquels il fut confronté, et qui nous transmet un regard méconnu sur les combats et engagements de cette armée italienne au cours de la deuxième guerre mondiale.

Les éditions Noir sur Blanc – 2019 – Traduction par Françoise Lantieri – Parution initiale en 1983 – 1 405 pages


Suivre le lien vers la présentation d’Eugenio Corti


Quelques lignes

  • « Comment se faisait-il que les responsables qui, depuis des années, depuis toujours même, exaltaient la guerre n’aient pas consacré à l’armement un soin au moins égal à celui qu’ils avaient consacré aux routes, aux ponts, ou aux établissements scolaires ? Et pourquoi ne faisaient-ils rien pour les produire, au moins maintenant, ces engins nécessaires ? » (P. 147)
  • « La torture par la soif est encore plus terrible que celle par la faim. Les prisonniers commencèrent à lécher le givre qui se formait sur les parois intérieures des wagons, en particulier sur les boulons de fer. Durant les interminables arrêts, ils criaient à qui mieux mieux tous ensemble pendant des heures pour qu’on les autorise à descendre et à ramasser de la neige, mais chaque fois sans résultat. Ils mouraient toujours plus nombreux. Au matin, quand on ouvrait les voitures pour la distribution du pain et des poissons, les cadavres amoncelés près des portières pouvaient être poussés dehors. Mais aucun des vivants n’avait le droit de descendre. » (P. 655)
  • « À la fin avril 1943, vingt pour cent seulement des prisonniers italiens restaient donc en vie, et leur possibilité de survie paraissait faible parce que, bien que les épidémies aient été enrayées (grâce surtout aux efforts des médecins prisonniers), la mortalité restait très élevée en raison de l’alimentation toujours inadéquate » (P. 657)
  • « La patrie, ma patrie, ne peut pas se comporter comme une putain : elle ne peut pas trahir ses alliés pour se mettre du jour au lendemain du côté des ennemis, de ceux qui l’ont pilonnée, bombardée, incendiée. Se livrer à l’ennemi comme une putain et, pour gagner ses bonnes grâces, tirer dans le dos des alliés d’hier, ça non. Pour ma part, il n’en est pas question, ça n’arrivera pas. En tout cas, pas dans mon entourage immédiat. » (P. 789)
  • « Plus personne n’est fasciste maintenant. » (P. 954)
  • « Ainsi, l’un après l’autre, ceux qui étaient restés en vie revenaient de partout, sauf de la Russie. » (P. 1002)
  • « L’imagination fervente de Michele lui projeta son Alma entraînée par les rouges : leur joie bestiale d’avoir entre les mains une jeune fille comme celle-là, eux, les plus grands assassins de l’histoire, les plus grands responsables de déportations, eux qui étaient objectivement plus meurtriers – au mépris de leur humanitarisme de départ – que les nazis eux-mêmes. » (P. 1192)

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