« Les corps célestes » – Jokha Alharthi

« L’amant ne possède jamais sa bien-aimée, quand bien même il s’unit à elle et y trouve son contentement. La bien-aimée [..] est un être libre comme toi, que nul ne peut posséder. » 

Merci à l’éditeur Stéphane Marsan qui me proposa cette lecture. Une lecture pas toujours facile, mais culturellement enrichissante. N’est-ce pas ce qu’on attend d’une lecture…..ce dépaysement, cette découverte d’une culture méconnue, et aussi d’une forme d’écriture originale?

J’avoue que j’ai cherché avant tout à situer sur une carte où se trouve le territoire d’Oman et à donner une place à cet « à peu près c’est là ».

J’ai eu quelques difficultés à repérer les liens qui unissent tous les personnages, un arbre généalogique m’aurait sans doute aidé, mais de crainte que me mémoire me trahisse, elle le fait parfois, j’ai pris beaucoup de notes. C’était, me semble-t-il, important car la narration n’est pas linéaire, ni chronologique.

L’écriture est faite de petits chapitres de une à 4-5 pages présentant un personnage, une action, qui seront importants pour situer un autre chapitre, un autre personnage, une autre action plusieurs pages après ou ….déjà lues!

La couverture de cette «édition d’épreuves non corrigées» que j’eus en mains, résume à elle seule l’organisation du livre…

Amateurs de puzzle, bonjour !

Oui mais un puzzle sans image permettant de situer la pièce du puzzle par rapport à l’image générale, l’action ou le personnage…il vous appartiendra de relier les chapitres, les actions ou les noms entre eux….

Brouillon, non bien sûr ! mais exigeant cependant de la part du lecteur.

Ce n’est pas un livre qu’on peut lire en ayant la tête ailleurs.

C’est sans doute pour cela qu’il fut récompensé en 2019 par le Man Booker Prize International : pour la forme d’écriture et pour la découverte d’une culture méconnue, (en ce qui me concerne) celle de l’État d’Oman en bordure de l’Océan Indien, la vie d’une famille depuis les années 80 jusqu’à nos jours.

Une famille omanaise de notables, des hommes et femmes et de leurs esclaves affranchis.

Des esclaves – faisant pour certains référence à des proverbes originaux – en provenance d’Afrique qui firent la fortune de certains, esclaves qui permettaient aussi de découvrir les joies du sexe, quand on avait la chance d’être le fils du maître..donnant naissance à des bâtards.

Depuis l’esclavage a été aboli, les esclaves sont devenus des serviteurs, qui se permettent parfois de répondre au maître de maison.

Familles soumises au père et au mari…et à la religion, s’appuyant sur la tradition, mais ouvertes à la modernité.

Certaines femmes décident du nom de leur bébé, un nom sans aucun lien avec la tradition, des filles vont étudier en Angleterre, afin de devenir médecins. Des femmes parviennent à imposer et à épouser celui qu’elles aiment et d’autres doivent faire avec celui que le père a choisi pour elles.

Et finalement, tradition et modernité, soumission et émancipation, luxe et pauvreté sont autant de contradictions et d’oppositions qui font cette société, cette lecture.

Oui c’est une découverte littéraire, pas facile, je le concède, la découverte d’une femme auteure, portant foulard traditionnel et quand même professeur d’université.

Éditeur : Stéphane Marsan – Traduction par Khaled Osman -2021 – 280 pages


Lien vers la présentation de Jokha Alharthi


Quelques lignes

  • « Dans notre tradition omanaise, c’étaient les hommes âgés qui mangeaient en premier, et il était malséant pour les gamins comme moi de manifester leur appétit ou de rester dans leur pattes durant le repas. » (P. 77)
  • « «Tu me parles de ton pays et du pays de tes ancêtres ? Mais quels ancêtres, Zarifa? Tes ancêtres sont des nègres, comme toi, ils viennent d’Afrique, de ces pays où on vous a enlevés avant de vous vendre. » C’est en vain que tu as essayé, Zarifa, de lui expliquer que personne ne t’avait enlevée, que tu étais née esclave parce que ta mère elle-même était déjà esclave avant toi, et ainsi de suite depuis la nuit des temps. Ton esclavage, tu en as hérité en ligne directe de ta mère. Parfaitement, personne ne t’a capturée, et Awafi est ton pays, et les gens qui s’y trouvent sont ton peuple. » (P. 141)
  • « Le mariage était ce certificat qui proclamait son statut de femme à part entière, son permis de passage dans le vaste monde déployé au-delà des limites de la maison. » (P. 178)
  • « Astreins- toi donc à scander le nom de Dieu sept jours durant, en évitant surtout de mentionner tout autre être, à jeûner durant la journée et à veiller le plus que tu peux de la nuit selon l’énergie que tu aura été capable de mobiliser, à t’isoler des gens en ne parlant à personne, et alors t’apparaitront les merveilles de la terre. Réitère cela pendant sept autres jours encore, et t’apparaîtront les merveilles des cieux. Réitère cela pendant sept autres jours encore et t’apparaîtront les merveilles du Royaume suprême. Si tu parviens à persévérer ainsi jusqu’au quarantième jour, Dieu -qu’Il soit élevé – révèlera à tes yeux les miracles et te permettra de maîtriser le monde. » (P. 208)
  • « …une légende ancienne selon laquelle les humains étaient tous d’un genre unique, masculin et féminin à la fois, et qu’ils sont les enfants de la lune. Chaque être avait quatre mains, quatre pieds et deux têtes. Mais les dieux ont eu peur que ces êtres n’exercent un pouvoir trop grand, alors ils les ont tranché en deux, et le nombril qu’on a sur le ventre nous indique le point précis de cette séparation.(P. 221)
  • « … dans mon idée, le mariage n’a rien à voir avec l’amour. L’amour, c’est des rêves, alors que le mariage, c’est du réel : un gagne-pain, des responsabilités, des enfants. » (P. 270)

Une réflexion sur “« Les corps célestes » – Jokha Alharthi

  1. Merci Jean-Pierre pour ce commentaire si juste suite à la lecture du roman de Jokha Alharti, un roman exceptionnel qui montre bien la complexité des rapports entre les êtres dans les sociétés musulmanes traditionnelles, la richesse de leurs cultures ainsi que les tiraillements entre préservation des us et modernité. Le sultanat d’Oman est un pays du Golfe qui parvient encore à faire cohabiter pacifiquement ces deux entités.
    Et tout ceci est merveilleusement décrit dans ce roman, certes difficile, mais tellement riche. De la dentelle.
    Je l’ai lu en 2019 dans une édition anglaise (sandstone press), et l’émotion ressentie est toujours présente. Un atout: l’arbre généalogique en premières pages auquel je me suis souvent référé.

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