« Underground railroad » – Colson Whitehead

30 DOLLARS DE RÉCOMPENSE seront offerts à toute personne qui me livrera, ou confinera dans n’importe quelle geôle de l’État où je pourrai la récupérer, une JEUNE NÉGRESSE avenante, couleur café au lait, âgée de 18 ans, qui s’est enfuie voilà neuf mois. C’est une fille vive et rusée, qui tentera sans nul doute de passer pour une affranchie, marquée au coude d’une cicatrice bien visible occasionnée par une brûlure. J’ai été avisé qu’elle rôde dans la ville d’Edenton et ses environs. BENJ. P. WELLS Murfreesboro, 5 janvier 1812

Plusieurs chapitres nous proposent en incipit une de ces claques, une de ces annonces de recherche nègres en fuite… et nous bousculent en quelques mots, en quelques  lignes.

Ce n’était pas du roman, mais une sinistre réalité.

Des Noirs tentaient le tout pour le tout, et ne cherchaient qu’à retrouver un peu de dignité en tentant de quitter ce Sud raciste et violent pour rejoindre le Nord.

Et face à eux, leurs maîtres blancs payaient des chasseurs d’esclaves, afin que leur propriété, leur nègre reviennent au plus vite dans sa petite case sur la propriété.

Cora est la propriété de Randall.

Elle travaille tous les jours de la semaine, sauf le dimanche après-midi dans la propriété de son maître. Elle loge dans une petite cabane et dispose d’un petit jardin qui lui permet d’améliorer l’ordinaire….tout serait simple si certains, d’autres esclaves ne lorgnaient pas sur sa cabane et son jardin… la jalousie, les disputes et bagarres, les vols entre esclaves font également partie de leurs pauvres vies.

Le fouet ne résout pas tout, loin de là. 

Alors pour punir et donner des exemples, les maîtres coupent un pied…au moins celui-là ne cherchera plus à partir ou une main…il ne volera plus. Toutes ces mutilations horribles, et révoltantes faites pour l’exemple ne font pas baisser sa détermination. Loin de là.

Cora connaît les risques, mais c’est plus fort qu’elle, elle veut fuir, fuir vers le Nord, vers la liberté…..fuir les viols et turpitudes des maitres, les bagarres et jalousies entre esclaves…

Ce Nord si loin et si dangereux à atteindre, il y a tant de chasseurs de nègres sur la route, tant d’annonces sinistres attirant ces chasseurs d’esclaves en fuite, violents et sans états d’âme. Caesar, un autre esclave récemment arrivé lui propose la fuite.

Pas facile de voyager dans ce sud raciste.

Heureusement quelques Blancs abolitionnistes, oui ça existe ! risquent leur vie et celles des leurs pour aider des esclaves à rejoindre le Nord, pour les accompagner dans leur fuite. Mais comment les identifier, comment les reconnaître et éviter les pièges, éviter la méchanceté et le vice que la couleur blanche représente, reconnaître la bonté de certains?

Colson Whitehead imagine un train souterrain prenant en charge ces esclaves.

Belle image, belle allégorie de l’image de couverture pour décrire ce réseau de passeurs et plus généralement tous ces réseaux de passeurs qui ont permis dans le monde à de nombreux opposants, de fuir des régimes totalitaires, violents.

Ce racisme n’est pas encore mort, les États-Unis en souffrent encore, régulièrement l’actualité nous le confirme. Heureusement tous ne partagent pas cette violence. C’est sans doute cette fiction, cette image des réseaux, ces personnes qui prennent des risques pour en aider d’autres qui furent récompensés par le Prix Pulitzer de la fiction et le National Book Award.

Une prise conscience, catharsis d’états d’âme encore présents

« Si les nègres étaient censés jouir de leur liberté, ils ne seraient pas enchaînés. Si le Peau-Rouge était censé conserver sa terre, elle serait encore à lui. Et si le Blanc n’avait pas été destiné à s’emparer de ce nouveau monde, il ne le posséderait pas. » (P. 108)

Éditeur : Albin Michel – 2017 – Traduction par Serge Chauvin – Première parution en 2016 – 397 pages


Suivre le lien vers la présentation de Colson Whitehead


Quelques lignes

  • « La terre – et les nègres pour s’en occuper – offrait un placement plus sûr que tout ce que pouvait offrir une banque. Terrance, plus dynamique, concoctait mille plans pour augmenter le nombre de ballots envoyés à La Nouvelle-Orléans. Il en extirpait jusqu’au dernier dollar. Et quand le sang noir devenait de l’argent, cet homme d’affaires avisé savait trouver la veine. » (P. 37)
  • « Affiches et avis furent diffusés à des centaines de kilomètres à la ronde. Des Noirs libres qui complétaient leurs revenus en traquant les fugitifs passèrent les bois au peigne fin et soutirèrent des informations aux complices présumés. Les patrouilles ainsi que les milices de petits Blancs harcelèrent et brutalisèrent. Les quartiers de toutes les plantations environnantes furent fouillés de fond en comble, et un nombre non négligeable d’esclaves battus par principe. » (P. 59)
     
  • « Cora ne savait pas ce que voulait dire « optimiste ». Ce soir-là, elle demanda aux autres filles si elles connaissaient ce mot. Jamais personne ne l’avait entendu. Elle décréta que ça voulait dire « persévérant ». » (P. 144)
  • « En Caroline du Nord, la race noire n’existait pas, sinon au bout d’une corde. » (P. 204)
  • « Les nouvelles lois raciales interdisaient aux hommes et femmes de couleur de poser le pied en Caroline du Nord. Les affranchis qui refusèrent de quitter leur terre furent chassés ou massacrés. Les vétérans des guerres indiennes gagnèrent des sommes rondelettes pour leur expertise mercenaire. Quand les soldats eurent fini leur travail, les anciens patrouilleurs revêtirent le manteau des cavaliers de la nuit et traquèrent les éléments isolés : des esclaves qui tentaient d’échapper à l’ordre nouveau, des affranchis dépossédés qui n’avaient pas les moyens de gagner le Nord, des Noirs malchanceux égarés sur le territoire pour toutes sortes de raisons. » (P. 216)
  • « Le registre de l’esclavage n’était qu’une longue succession de listes. D’abord les noms recueillis sur la côte africaine, sur des dizaines de milliers de manifestes et de livres de bord. Toute cette cargaison humaine. Les noms des morts importaient autant que ceux des vivants, car chaque perte, par maladie ou suicide – ou autres motifs malheureux qualifiés ainsi pour simplifier la comptabilité –, devait être justifiée auprès des armateurs. À la vente aux enchères, on recensait les âmes pour chacun des achats, et dans les plantations les régisseurs conservaient les noms des cueilleurs en colonnes serrées d’écriture cursive. Chaque nom était un investissement, un capital vivant, le profit fait chair. » (P. 281)
  • « « Le maître répétait souvent que la seule chose qui soit plus dangereuse qu’un nègre avec un fusil, leur dit-il, c’était un nègre avec un livre. Alors ici ça doit être un vrai arsenal de poudre noire ! » » (P. 356-7)

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