
« Pour établir leur culpabilité, comme pour le reste, les nègres n’ont nul besoin de posséder une identité. Qu’importe le nom pour une vérité établie. » (P. 17)
Janice et Emily, deux gamines, sont découvertes prostrées, les bras et jambes griffées. Les robes des deux petites garces sont déchirées…elles accusent Sidney un gamin noir, un gamin de leur âge d’avoir voulu les violer.
« De même que les deux jeunes filles étaient élevées dans la terreur du nègre, Sidney avait également grandi dès son plus jeune âge dans la peur du Blanc. »
La chasse au « nègre » commence, première pages violentes d’un livre…
Tout part d’un mensonge de deux gamines…un mensonge qui place le lecteur face à une vérité dérangeante, celle de la chasse aux Noirs, aux nègres disait-on…chasse suivie du lynchage.
Tant pis, on ne trouve pas le gamin, alors sa famille va payer ce crime, le payer cher, très cher. Les quelques gouttes de sang sur les robes des deux gamines vont être vengées par la violence de tous contre la famille.
Tant pis si cette « justice » expéditive, la « loi de Lynch » prônée par Charles Lynch, fait payer des innocents, exposés longtemps au public afin de donner une leçon à tous…
Premières page d’une violence extrême, dérangeante. Dérangeantes à plus d’un titre. Voilà comment il fallait, alors, traiter ces Noirs, ces « nègres » qui font peur.
Sidney doit fuir, partir au loin, se faire oublier. récit d’une longue cavale, récits d’une jouissance collective quand l’un de ces Noirs est puni, sans jugement, la noirceur de sa peau étant à elle seule une preuve de culpabilité. « Cela devait être mené tambour battant, à une allure des plus expéditives, selon l’esprit de la « loi de Lynch » »
D’autres, ailleurs, ont été punis parce qu’ils avaient eu le malheur de regarder un Blanc, de ne pas baisser les yeux, « la soumission était la contenance la plus sûre pour éviter des ennuis »…
Tous n’étaient pas Noirs de peau ! certains étaient des Blancs, Blancs en apparence, des faux blancs, blancs de peau, mais « nègres » au dedans…ils sont en effet des « octoroon », noirs pour un huitième de leur sang et sont également chassés et punis…!
Mais un flic blanc, adjoint du shérif, favorisera la fuite du gamin. Pourquoi donc cet officier de police a -t-il permis à Sidney de ne pas être sauvagement lynché?
Cette fuite nous fera traverser la conscience d’un peuple, ses états-d’âme et la géographie d’une nation.
Une fuite au cours de laquelle il rencontrera d’autres Blancs prêts à l’aider, tous ne sont pas des salauds.
Folie d’un peuple, folie des ces hommes racistes, folie d’une nation qui depuis a toujours voulu donner des leçons au monde, des leçons de droit et de droiture morale….et plaisir d’une lecture qui m’a fait voyager, dans cet inconscient collectif, mais aussi dans l’honneur de quelques uns.. et l’horreur de bien d’autres.
Bref, une lecture dérangeante, mais quel bonheur d’être dérangé par ce voyage, de voyager dans les états d’âme de certains, dans leur inconscient, quel bonheur de découvrir cet auteur qui publie son premier titre.
Roman? Non car notre actualité nous rappelle parfois que le passé peut ressurgir à tout moment dans la tête détraquée de quelques-uns…
Merci à Babelio, aux Éditions Plon et à Estelle qui m’ont transmis cet ouvrage dans le cadre de l’opération Masse critique. Merci de m’avoir offert ce plaisir.
N’oublions pas que pour trop de personnes encore « Le sang noir ne s’efface pas. » (P. 106)
Éditions Plon – 2021 – 265 pages
Lien vers la présentation d’Arnaud Rozan
Quelques lignes
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« La bonne attitude était de se rendre absent au monde, de ne jamais le regarder dans les yeux, d’être aussi insignifiant qu’une mule attachée à un piquet. » (P. 21)
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« Certaines contrées sont maudites par le sort. Le sang s’y verse à doses régulières, comme une rivière sort périodiquement de son lit et se transforme en coulée de boue. La fureur des hommes revenait faire trembler cette terre où avaient déjà succombé des milliers de soldats dans un fracas de sabots. » (P. 49)
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« C’était le cours des choses. Un lynchage de plus qui avait rameuté une sacrée foule, mais qui s’était déroulé dans une relative discrétion, comme des centaines à travers le pays dont personne n’avait connaissance ; son travail s’en trouvait facilité. » (P. 64)
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« Un homme demeura sur place pour surveiller les tombes, au moins jusqu’au soir, afin de dissuader ceux qui ne manqueraient pas de revenir pour exhumer des membres de ces nègres. Ils valaient leur pesant d’or aux enchères, les prix grimpaient toujours dans les jours qui suivaient un lynchage. Et plus encore s’ils étaient prélevés sur des enfants. » (P. 81)
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« Le fer rouge n’étant plus dans les usages, la règle de l’unique goutte de sang visait les faux Blancs dont l’ascendance noire pouvait être prouvée pour un seizième. Quand était établie la preuve qu’un sang-mêlé abâtardi coulait dans les veines de celui qui se prétendait blanc, une pluie de restrictions s’abattait sur sa tête, en vertu de règles que la plupart des États du Sud modulaient à loisir, selon les lois Jim Crow dont l’esprit était de parer l’arbitraire de juridisme. À commencer par la liberté d’aller et venir. À chacun sa terre, son air… Aux fontaines, vous ne buviez plus de la même eau, interdite aux gens de couleur. » (P.95)
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« Tous ces Blancs autour de nous, continua Lewis, un jour, on danse et on trinque avec eux. Un autre, nous sommes à feu et à sang. Et demain, que se passera-t-il ? » (P. 188)
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« Les Blancs avaient réclamé tout son sang pour une unique goutte d’eau » (P. 189)