
« L’utopie n’est valable que si elle peut déjà être vécue au présent. » ...(P. 345)
Peter Holtz,personnage principal de ce roman vit en RDA, à la grande époque de ce pays et de ses illusions, prêchées par le pouvoir politique. Peter a longtemps entendu et pris à la lettre ces dirigeants qui lui laissaient entendre, ainsi qu’à ses concitoyens en la supériorité de leur projet de société.
Il est né en 1962, et n’a connu que ce régime, ce régime qu’il voit progressivement évoluer et changer avec l’ouverture des frontières.
Il a toujours cru tout ce qu’on lui racontait…un peu comme d’autres allemands des générations précédentes qui ont aveuglément suivi le moustachu. Alors il rêve d’une Allemagne non corrompue par le fric qui a été si souvent montré du doigt pas les dirigeants de l’Est et leurs discours.
Il a même tendance à faire en permanence son autocritique, chaque fois que par nature, il ne respecte pas les paroles officielles, allant même jusqu’à évoquer la chance des allemands de l’Ouest de vivre sous le régime de l’Est, une fois tombé le Mur, ce « rempart antifasciste ».
Mais progressivement ce vernis s’écaille par petites touches.
Et Peter, comme bien des autres après avoir entendu ces discours officiels tentera sa chance à l’Ouest et vite tombera sous le charme de l’argent qu’on peut gagner avec la liberté.
Le roman, parfois un peu ennuyeux, comme cette vie morne et grise de l’Est, dépeint avec justesse, cette rapide évolution, Justesse et dérision..pour décrire à la fois ces 13 ans d’attente pour avoir l’une de ces Trabans, mais aussi le cynisme des dirigeants de l’Allemagne de l’Est, de l’argent de l’Ouest , cynisme de cette mentalité des entreprises de l’Ouest, venues là pour s’enrichir, en avançant le maintien de l’emploi…
…..cynisme qui deviendra vite la religion de Peter, et humour d’Ingo Shulze, pour démontrer toute l’absurdité des situations et des hommes…
Éditions Fayard – Littérature étrangère – 2019 – Traduction par Alain Lance & Renate Lance-Otterbein – 506 pages
Lien vers la présentation de Ingo Schulze
Quelques lignes
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« Si tu peux voyager dans notre République et manger à ta faim et si tout le monde est gentil avec toi, c’est que le communisme a triomphé. Je ne connaitrai pas cela de mon vivant, mais toi peut-être » (P. 23)
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…tous les partis reçoivent de l’argent des mêmes trusts, et que les lois qu’ils votent sont dictées par ceux qui les arrosent. » (P. 46)
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« …je ne comprends pas comment des jeunes peuvent devenir chrétiens. Notre éducation devrait quand même les empêcher de rechuter dans la superstition. » (P. 61)
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« Certes, nous vivons tous dans le socialisme, personne ne semble le comprendre, personne ne pige quelle chance nous avons. » (P. 100)
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« Ma mère dit, sous Hitler au moins on savait pourquoi on vous enfermait, ou bien on était communiste ou juif ou quelqu’un qui résistait. Mais, sous Staline, c’était n’importe qui et à n’importe quel moment, y compris ceux qui étaient pour, et surtout eux! » (P. 142)
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« Lorsque les objectifs du Plan n’étaient pas atteints on modifiait le Plan, lorsque les élections ne correspondaient pas aux attentes, on modifiait les bulletins, et quand on malmenait quelqu’un en détention préventive ou en prison, on lui faisait signer un papier où il était écrit que tout cela n’avait pas eu lieu. » (P. 203-4)
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« La seule chose qui intéresse vraiment les gens de l’Ouest dans nos usines, c’est le terrain et le bâti. » (P. 240)
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« Dans ce pays, rien ne serait arrivé si les gens n’avaient pas tout simplement voulu mieux vivre et n’en avaient pas démordu, au lieu de continuer à chercher consolation dans l’attente d’une saint-glinglin communiste. » (P. 328)
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« Investisseur, investisseur, investisseur, le syndicat n’a que ce mot à la bouche. Avec tous ceux qui sont venus de l’extérieur, nous n’avons fait que de mauvaises expériences ! Chez nous, ils se sont servis, ont pris ce qu’ils voulaient, un libre service sans caisse. ils n’avaient qu’à dire : on va préserver les emplois et aussitôt la boîte leur appartenait. Ils ont démonté notre meilleure machine. Fini, maintenant. « Autogestion », c’est comma ça qu’on l’appelle ! on ne veut pas prendre le risque. » (P. 443)
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« Le socialisme demeure la seule solution, même s’il est discrédité par sa pratique qui satisfait certaines exigences, mais ignore et calomnie délibérément l’exigence que représente l’être humain. » (P. 485)