
« Or je m’étais juré de faire mentir le lieu commun selon lequel tout paquebot en croisière est un réservoir d’ennui » (P. 346)
Jacques-Marie Bauer, le narrateur, est un passionné de livres rares, anciens et donc chers. Il achète et vend des livres .. »des anciennetés rares » dans sa boutique sur les quais de Paris….
Nous sommes en 1932, il prend le bateau Georges Philippar, dans un but bien précis, d’une part aller chercher un livre rare et ancien, et d’autre part pour rendre service à un ami et « faire cracher le morceau » à Albert Londres…ce journaliste et écrivain que connaît bien Pierre Assouline qui lui a consacré un livre « Albert Londres : vie et mort d’un grand reporter « …un livre dans la longue liste des livres que je dois lire. .
Le Georges Philippar est un bateau neuf et ce voyage inaugural de Marseille vers Yokohama fera 18000 km…il est neuf mais rencontre toutefois quelques soucis techniques d’alimentation électrique : les ampoules sautent et certains câbles électriques chauffent….et j’en passe.
C’est sans compter avec les rats qui se délectent des fils électriques.
Jacques-Marie Bauer loge dans une belle cabine, sur le pont, loin de bien d’autres passagers hébergés dans des cabines sous le pont sans lumière naturelle. On ne mélange pas les torchons et les serviettes sur un paquebot de luxe, neuf de surcroit. Un beau bateau aux cabines de bois rares.
Là, Jacques-Marie Bauer y côtoie d’autres personnages de haut rang et pas gênées dans leurs fins de mois, qui comme lui, passent leur ennui sur les transats ou dans la piscine….une piscine qui héberge parfois des rencontres coquines, entre gens biens. Une piscine réservée uniquement aux voyageurs du pont.
Leurs conversations portent souvent sur des sujets sibyllins, sujets de l’époque mais abordent également la situation internationale, troublée par un caporal allemand….une préoccupation mineure pour certains qui ne perçoivent pas le danger, préoccupante pour les autres. Tous ne craignent pas ce caporal allemand,.. loin de là.
Les conversations deviennent alors passionnées et divisent les passagers.
Pierre Assouline nous transporte d’un sujet à l’autre, d’une personnalité à l’autre.., personnalités connues ou inconnues du lecteur ce qui permet à celui-ci de s’enrichir de ces conversations. Il a été diablement aidé par de nombreux autres auteurs, par de nombreux textes, références toutes citées en fin d’ouvrage. Références qu’il remercie.., mais que le lecteur que je suis a oublié. agacé par l’impression que Pierre Assouline voulait nous montrer qu’il avait travaillé son sujet…je n’en doutais pas.
Puis Albert Londres embarque à Shanghai, sur le chemin du retour. Il est connu, tous aimeraient l’avoir à leur table. Il n’arrivera pas en France. Je ne connaissais pas la suite. Le Georges Philippar sera ravagé par le feu..il fait partie de ces bateaux qui comme le Titanic, bien plus connu n’arrivera pas à destination et ne finira pas son premier voyage. Ravagé par le feu, il coulera. Des bateaux, dont un pétrolier se dérouteront pour sauver les passagers…
Le corps d’Albert Londres ne sera jamais retrouvé
Le monde quant à lui allait doit vers une autre catastrophe, mais ne prenait pas garde aux nombreux signaux d’alerte, évoquées dans les conversations sur le pont…deux naufrages prévisibles
Éditeur : Gallimard – 2022 – 396 pages
Lien vers la présentation de Pierre Assouline
Quelques lignes
- « En fait, à bord d’un paquebot de luxe, on est en permanence cerné par le beau, à l’intérieur comme à l’extérieur, mais à condition de ne pas gratter. Pour que le Georges Philippar eût vraiment de la classe selon mon goût, il eût fallu lui ôter son clinquant de nouveau riche, sa nouveauté impeccable afin de lui donner des siècles, comme disent les antiquaires du Faubourg qui roulent des statuettes africaines ou asiatiques dans la poussière avant de les exposer ; le navire manquait singulièrement de patine, et pour cause : il venait à peine de quitter les fonts baptismaux. » (P. 67)
- « C’est qui, Dieu? […] Une sorte de père Noël pour les grandes personnes. » P. 99)
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« -Des régimes politiques où les citoyens n’auront plus le droit d’avoir des droits, voilà ce qui se profile en Europe à moins que l’on y mette un frein-En empêchant lesdits citoyens de les élire démocratiquement? » (P. 120)
- « Après avoir rapidement cherché un cendrier sur la table, en vain, son mari se contenta d’écraser sa cigarette dans ce qui restait de la motte de beurre. Cette fois, je n’y tins plus et me retirai. J’ignore si son âme pourrira emprisonnée dans le cachot du temps ou si elle parcourra triomphalement les profondeurs du ciel et de la terre ; je veux juste le rayer de ma vue et ne plus avoir à l’entendre. » (P. 153)
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« « On le sait bien : des pauvres et des riches, les plus sordides ce sont les pauvres car ils ne pensent qu’à l’argent, ils ne parlent que d’argent, toujours ce mot à la bouche : argent ! Argent ! Argent ! » » (P. 149)
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« Une fois passé le mitan de sa vie, on croit que l’on a fait le tour de l’humanité dans tous ses registres, on s’imagine en posséder l’universelle palette jusqu’à ce que surgisse un échantillon inconnu, prototype d’un genre nouveau qui nous prend au débotté, échauffe notre curiosité, et finalement nous rassure sur l’infinie créativité de l’esprit humain. On n’épuise jamais le sort et on ne touche jamais le fond. » (P. 154)
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« Ce qu’il y a de bien avec la littérature, c’est que le plus souvent, elle reste dans l’intemporel, de sorte que les journaux qui ne parlent que d’écrivains et de livres se démodent beaucoup moins que ceux qui sont liés à l’actualité.. » (P. 226)
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« Il est déjà assez extravagant d’avoir à supporter que des prêtres s’expriment au nom de Dieu. . » (P. 238)
- « …un journaliste n’est pas un enfant de chœur ; son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de rose, il ne doit pas se soucier de plaire ou de déplaire, mais de juger la chose jugée, quitte à porter le fer dans la plaie. » (P. 345)
Cher ami ,ce navire qui prend feu c’est l’Europe qui va s’embraser. Après les années de vie et ‘folles’ …Tu connais cet auteur ,c’est que la belle vie qu’elle quelle soit va finir . La mort de l’ancien monde ,va finir … Ce bateau est comme le radeau de la méduse.
Ce navire a effectivement existé et coulé au retour de son voyage inaugural… un peu comme le Titanic, bien plus connu. Tu en trouveras confirmation sur Internet, photos à l’appui. De nombreuses malfaçons électriques ont causé un incendie, et par chance des pétroliers et autres bateaux ont pu sauver la quasi totalité des passagers…Hasard, l’Europe allait comme ce bateau couler et bruler, parce que personne, ni en Europe, ni sur le bateau ne prenait la mesure des dangers et des alarmes…Jusque là tout va bien ! Jusque là tout va bien ! Jusque là tout va bien……A bientôt