
« Je considère que la musique, même si elle est issue d’une autre civilisation, d’un pays avec lequel on est en guerre, fait partie du patrimoine de l’humanité. » (P. 66)
On dit que la musique adoucit les moeurs…ce ne fut pas le cas ce jour-là de 1938, à Tokyo. Quatre musiciens amateurs, trois chinois et un japonais, Yu, professeur d’anglais, étaient réunis au Centre culturel pour répéter.
Qu’importe pour eux que Japon et Chine soient en guerre ! La musique, le Rosamunde de Schubert, les réunissait !
Des soldats surgissent et interrompent la répétition. L’un d’eux piétine le violon de Yu. Le quatuor est embarqué manu militari vers une destination inconnue. Rei, le fils de Yu a pu se cacher dans une armoire d’où il observera la scène. Le lieutenant Kurokami fouille l’appartement et découvre Rei, caché. Il lui confie les restes du violon brisé. La séparation familiale est définitive, Rei ne reverra jamais son père. Le violon sera, à jamais pour le gamin la dernière représentation paternelle. Il fera tout pour le restaurer, le réparer, notamment cette petite pièce essentielle en épicéa : l’âme du violon, une petite pièce qui donne toute la sonorité à l’instrument.
Rei sera adopté par Philippe Maillard un luthier français. il se passionnera pour ces violons, au point d’en faire son métier . Il deviendra l’un de ces artisans méticuleux et passionnés cherchant les meilleures pièces de bois pour redonner vie aux instruments, aux violons, à ce violon paternel….voyage dans le temps, voyage dans la musique, voyages dans ces villes d’artisans comme Mirecourt en Lorraine ou Crémone en Italie…. là ou se trouvent, là où travaillent ces luthiers qui sélectionnent et façonnnent les plus belles pièces de bois, qu’ils assemblent pour donner ou redonner vie à ces violons. Quelques pièces de bois sélectionnées, choisies, travaillées et façonnées avec délicatesse pour créer ou réparer un instrument, pour lui donner une sonorité incomparable…un peu comme Akira Mizubayashi le fera avec son texte, un texte travaillé, musical….un texte remarquable et envoutant !
Hasards de la vie, hasards d’une rencontre de musicien, d’amoureux de l’art de la beauté, et de la musique….Hasard de cette « rencontre improbable du petit Rei devenu luthier avec la petite-fille du lieutenant devenue violoniste »…hasard de cette découverte, de cette rencontre avec cet auteur. Un texte envoutant, un texte lu d’une seule traite ou presque, tant il était difficile de rompre le charme de ce roman, de la délicatesse de cette écriture.
Musique et bruits de bottes…deux sons qui vont mal entre eux, mais que Akira Mizubayashi parvient à associer. Ce roman écrit tout en délicatesse m’a envoûté. D’une part du fait de la poésie des mots, de leur douceur pour évoquer cette musique et cette minutie dans la conception et la réalisation de ces instruments mais aussi pour évoquer et nous faire ressentir toute la cruauté, la bétise de l’humanité en période de guerre. Notamment pour nous faire découvrir la politique expansionniste de l’Empire japonais qui fut stoppée par l’horrible champignon d’Hiroshima et les bombes larguées sur Tokyo.
Je lis depuis bien longtemps…indignations, découvertes, plaisirs, rage et déceptions furent au rendez-vous de ces très nombreuses heures de lectures, de ces centaines d’ouvrages….Mais jamais, une lecture ne m’a provoqué une émotion comparable à cette lecture…Oh pas une émotion durable…celle-ci s’appelle le bonheur de rencontrer un texte lu avec plaisir…
Non ! Je veux parler de cette émotion qui au détour d’une page vous tire les larmes des yeux…une émotion inconnue et incontrolable, si subite, que j’ai omis de noter la page…un livre que je vais relire…j’en suis certain!
Éditeur : NRF-Gallimard – 2019 – 238 pages
Lien vers la présentation d’Akira Mizubayashi
Quelques lignes
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« La mélancolie est un mode de résistance, déclara Yu. Comment rester lucide dans un monde où l’on a perdu la raison et qui se laisse entraîner par le démon de la dépossession individuelle ? » (P. 39)
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« En tout cas, continua Yu avec conviction, je crois que ça a du sens… qu’aujourd’hui, en 1938, dans un coin de Tokyo, un quatuor sino-japonais joue Rosamunde de Schubert…, alors que le pays entier tombé dans ses obsessions bellicistes semble être dévoré par le cancer nationaliste divisant les individus entre un nous et un eux…. » (P.39)
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« Le partage par tous de la langue comme bien commun, ça facilite nécessairement les relations sociales horizontales qui tendent à restreindre la possibilité de la domination des uns sur les autres. » (P. 47)
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« Je considère que la musique, même si elle est issue d’une autre civilisation, d’un pays avec lequel on est en guerre, fait partie du patrimoine de l’humanité. » (P. 66)
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« Il s’était tourné vers la fabrication d’instruments à cordes. C’était la meilleure manière de demeurer dans le jeu des infinies combinaisons des sons musicaux et dans le vaste monde des émotions foisonnantes et profondes qui en émanaient. » (P. 96)
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« Pour que la musique parvienne jusqu’à nous, il faut des compositeurs qui créent la musique. Il faut des interprètes, des instrumentistes, par exemple des violonistes qui la réalisent , mais il faut aussi des gens qui fabriquent leurs instruments, leurs violons et leurs archets. Il faut le concours de ces trois catégories…euh…trois groupes de personnes…Sinon, pas de musique, tu vois. N’est-ce pas merveilleux ? » (P. 137)
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« Yanfen fut bouleversée par la rencontre improbable du petit Rei devenu luthier avec la petite-fille du lieutenant devenu violoniste » (P. 184-5)
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« D’abord, le violon de Nicolas François Villaume qui est devenu la colonne vertébrale de sa vie de luthier et de sa vie tout court; ensuite le livre de Genzaburo Yoshino qui, constamment lui a parlé depuis depuis la place de son père absent. D’où la décision de se consacrer aussi à la ressuscitation de la voie paternelle par la voie de la traduction. » (P. 228)