« La guerre des Divas » – Xavier Lafitte

« La mort a deux visages, elle est double. Il y a celle qu’on donne et celle qu’on reçoit. J’ai été généreux. » (P. 13)

Victor, le narrateur âgé de 17 ans 1/2, s’est engagé pour 300 jours aux côtés des phalangistes, contre les Palestiniens…nous sommes à Beyrouth, Beyrouth des années 70. Les plus anciens s’en souviennent, ces rues jonchées de gravats tombés des façades éventrées, ces cratères dans les rues, cette ville dans laquelle, jour et nuit les balles et obus fauchaient jeunes et vieux, chrétiens et musulmans…Attentats, enlèvements, exécutions sommaires…cette mort ne triait pas et frappait au hasard…des idéalistes comme Victor, ou des têtes brulées, contraintes de s’éloigner du monde civilisé pour des raisons qui leur appartiennent,   combattaient aux cotés de Chrétiens ou des palestiniens… selon leurs sympathies ou leur religion…..une guerre de religion, une guerre tribale au XXème siècle à quelques heures d’avion de Paris ! 

Victor était berger en Espagne…il lui reste 50 jours à faire pour être libéré de son engagement…Impossible de penser à prendre la fuite. Il sait ce qu’il risque…la balle ira plus vite que lui. 

Il raconte sa guerre, cette guerre urbaine, à nos portes presque, une guerre pour laquelle il sera payé, au terme de son engagement.  Il ne hait pas ses ennemis, il tue sans haine, pour exécuter la mission pour laquelle il est paye.  il n’a pas honte de ce travail de cette mission .

Il fait le boulot, un point c’est tout!

Son quotidien est simple, il doit protéger un tunnel qui mène vers la zone tenue par les Palestiniens, tunnel sombre emprunté tantôt par les Palestiniens qui partent attaquer le quartier chrétien, tantôt par les Chrétiens qui partent flinguer leurs ennemis…

Tunnel, sombre, dans lequel ils guettent les minuscules bruits qui indiquent la présence ennemie. Tunnel qui en fait, est un égout. 

Alors entre deux attaques, ils boivent pour tuer la peur, et souvent on carbure au whisky, du coté chrétien, bien sûr, whisky qui donne assurance ou inconscience…les ennemis se connaissent et organisent même des trafics :  les Palestiniens n’ont pas d’eau,, mais de l’électricité.  Victor et ses amis ont de l’eau mais pas d’électricité…Alors entre gens « civilisés » on organise des échanges entre deux séances de tir des snippers! 

Description bigrement troublante, de ces combats, de ces tirs, de cette peur, de cette atmosphère, de ces destructions, de ces attentats…Les plus anciens d’entre nous, retrouveront les images des journaux télévisés quotidiens. Descriptions bigrement troublante et précise, très précise de ces combats, de cette attente, de ces sites éventrés de cette peur, de ces relations entre soldats, de cette camaraderie, de ces actes de courage, des enlèvements pour financer les armes et aussi de cette chasse aux déserteurs, de ces blessures, de ces exécutions sommaires et aussi de cette fascinations pour les armes…si bien décrite!

Certes le plaisir, comme la peur, sont au rendez-vous de nombreuses pages, rien ne nous est épargné en matière de violence. Heureusement, il y a ces moments de calme, de camaraderie, et de rare présence féminine !

Tous les lecteurs n’apprécieront peut-être pas.

Oeuvre de fiction littéraire, diablement documentée et précise…ou souvenirs autobiographiques? Je m’interroge…..j’ai ma petite idée.

En tout cas, j’ai été séduit, et perturbé. Diablement perturbé!  

Je le suis toujours…mais heureux de cette découverte !

Éditeur : L’Harmattan – Parution en 2021 – 434 pages


Vers la présentation de Xavier Lafitte


Quelques lignes

  • « Seuls les inconscients pouvaient sortir et nous n’étions pas encore assez fous et plus assez saouls pour nous offrir l’ivresse de l’inconscience.’ (P. 18)
  • « Je pensais souvent aux soldats de 14, ceux qui étaient rentrés. Pour eux, pas de psy, pas de solution pour évacuer tout ça. Ils rentraient au village et reprenaient leur vie où ils l’avaient laissée en partant. Pas le choix. Comme tous les soldats du monde, ils étaient partis confiants et revenus brisés, trout secs de l’intérieur. Ils avaient creusé des trous pour s’abriter, creusé des tranchées, creusé des abris, creusé des tombes. Ils avaient creusé pour enterrer leurs rêves, enterrer leurs espoirs, enterrer leurs illusions et leurs cauchemars étaient restés dehors, en surface, sous un soleil radieux qui jamais ne brillerait pour eux. Ils avaient creusé pour enterrer leurs frères d’armes, enterrer la mort d’un autre devinant confusément que c’est sa propre vie qu’on jette à jamais au fond de ce trou. Mais ça on le sait plus tard. » (P. 12)
  • « …le baptême du feu, c’était croiser les corps déchirés, les plaintes et les pleurs, en prenant un air faussement blasé, qui ne dupait personne, parce qu’on avait  les lèvres serrées pour ne pas vomir, le teint tout blanc, le cœur affolé, les yeux exorbités, le souffle court. » (P. 22)
  • « Parfois, un vague journaleux, un scribouillard, parle d’un « accrochage », comme d’un non évènement, comme si ce n’était qu’un petit rien, une broutille. Mais quand on est pris dans ce rien, alors il est tout. C’est l’histoire des souvenirs. Il faut des gouttes pour faire un océan. On raconte les océans, c’est héroïque, grandiose, mais personne ne raconte jamais les gouttes? » (P. 96)
  • « On découvrait très vite les complexités, les contrariétés de ce Liban magnifique. Ici rien n’était jamais simple et les grands écarts acrobatiques de la logique n’étonnaient personne, mais Dieu merci, il n’y avait plus rien de clair et plus rien de simple. Juste un chaos incommensurable qui permettait tout jusqu’à un pire que personne ne mesurait encore. Tout était fou, tout était possible, et très vite on ne s’étonnait plus de rien. » (P. 104)
  • « Je ne pouvais pas supprimer la peur, mais je découvrais que je pouvais la maîtriser, ou plus exactement, la contenir, la gérer. Je pouvais la reléguer dans une partie sombre de mon cerveau, et si j’arrivais à l’y maintenir, je pouvais me mentir suffisamment à moi-même et faire semblant de croire que tout était sous contrôle. C’était en fait une affaire de digues. La peur ne devais pas se déverser en moi, il fallait que je la contienne entre des digues assez solides pour qu’elle passe et file, et ne s’arrête jamais, emportée par son propre courant. Si elle débordait il y avait danger. » (P. 224)
  • « C’était un peu comme si j’avais perdu une famille qui n’en était pas vraiment une malgré tout, un peu comme si on m’avait repris cette famille pour me rappeler que je n’en avais jamais eu.. Elle n’était q’illusions.  J’étais bien obligé d’admettre que je n’avais pas de sentiment de réelle affection pour ces garçons et qu’ils étaient malgré tout, ce que j’avais de plus proche dans la vie. » (P. 362)
  • « Nous nous battions pour une cause qui n’était qu’apparence, une coquille vide, un écran de fumée. En réalité des chefs de guerre, des clans, des familles, peu nombreux et toujours les mêmes se partageaient le gateau savoureux de ce pays où tout était trafics et profits, mais pas pour tous. » (P. 387)

2 réflexions sur “« La guerre des Divas » – Xavier Lafitte

  1. Grâce à vos commentaires et extraits, je viens de lire ce livre. Dévorer serait plus juste, un régal… Une écriture forte mais sans « chichis », des personnages intenses, une histoire terrible mais passionnante. Mais ce livre est aussi une surprise. Il est plein d’humour, avec des situations parfois cocasses. Il est plein de tendresse. La musique ( comme le titre l’indique) est présente, les odeurs et les parfums. Rien n’est jamais vulgaire et les femmes y sont évoquées avec délicatesse. L’une d’entre elle traverse ce roman au point qu’on aurait voulu la connaitre. La guerre est présente bien sûr, elle est un personnage à elle seule. Mais ça n’est pas celle que l’on pourrait imaginer. On la vit à travers le narrateur avec ses yeux, ses actes, sont esprit, à hauteur d’homme. Autant de vérités humbles m’ont secouées et ce livre est tellement dense que je le relirai après une « première digestion ». Je suis certain d’y trouver encore des surprises et des émotions.
    Merci M Vialle pour la pertinence de vos commentaires et de vos choix de propositions de lectures. Continuez…

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