
Le haut de la colline. Les gros bonnets ont tendance à se tenir à l’écart, dans le cœur du labyrinthe de la favela. C’est pour cela qu’au ras du sol, il faut des Rafa et des Franginho. La hiérarchie, réalise Rafa, va littéralement vers le haut. »(P. 60)
Difficile de repousser à plus tard une telle lecture…quand on vous tend ce pavé.
Difficile oui, car d’une part, il est écrit par un auteur qui m’est inconnu et que je vais donc découvrir, un auteur qui évoque un pays, l’un des plus grands sans aucun doute de notre petite boule…Et malgré tout, un pays peu évoqué dans notre littérature…..juste un vague souvenir, ce ce qui me concerne, de « Rouge Brésil » de Jean-Christophe Ruffin, lu il ya bien longtemps, alors que je ne tenais pas de fiche de lecture. Donc peu de mémoire.
Situons le contexte historiques : Bolsonaro est en tête du premier tour et va, selon toute vraisemblance devenir le futur Président, succédant ainsi à Lula da Silva et Dilma Rousseff.
Ce livre m’est tombé par hasard entre les mais… »Dites-nous ce que vous en pensez… » me dit l’animatrice du groupe lecture, au cours duquel nous échangeons nos coups de cœur…ou nos déceptions.
Cadeau qui plaira ou cadeau empoisonné ?
Bien sincèrement, je ne l’aurais sans doute pas lu, si cette proposition ne n’avait pas été faite….la liste des personnages du roman insérée en tout début fait 5 pages…! « je vais m’y perdre…! » fut ma toute première réaction…et je m’y suis en partie perdu, parfois…Non pas en ce qui concerne les principaux personnages, mais ces personnages secondaires arrivant à l’improviste, faisant un petit tour et reparaissant plus tard, bien plus tard, voire jamais plus après leur « coucou, c’est moi! ». C’est troublant…
Difficile de se souvenir de plus de 100 noms….., de la personnalité de chacun, des relations qui les unissent aux autres….en tout cas en ce qui me concerne !
Alors il faut mettre une marque dans les premières pages où sont présentées les « Dramatis personae »…5 pages de noms ! Tout faire pour y venir et y revenir rapidement. Sans aucune hésitation, mais c’est parfois lassant, de couper la lecture en s’interrogeant « qui c’est lui? »
Le trouble…et l’intérêt malgré tout se poursuivent dans la note de l’auteur qui nous rappelle que ce titre « achève une tétralogie de São Paulo (Paradise City, Gringa, Playboy)« , livres que je n’ai pas lus et pour lesquels je n’ai trouvé aucune information, livres qui, comme le précise l’auteur « conversent entre eux : il y a des répétitions et des échos »..
Cette impression de commencer par la fin, est assez désagréable et dérangeante. Ne vais-je pas rater quelque chose.? je ne suis pas un grand amateur de puzzle sans image à reconstituer
Bref…. »dans quoi suis-je parti..? N’est-ce pas un cadeau en partie empoisonné que j’ai entre les mains? »
D’autant plus que l’auteur me prévient : « Un certain nombre d’articles, de documents et de transcriptions sont inclus dans le texte, certains réels et d’autres non »….comment une poule pourrait y retrouver ses petits ?
Cerise sur le gateau : Dans sa note de début d’ouvrage l’auteur rappelle cette phrase d’Hillary Mantel extrait de Revolution « Au lecteur qui voudrait savoir comment distinguer les faits de la fiction, je fournirai cette indication approximative : ce qui paraît particulièrement invraisemblable a toute chance d’être vrai. »
L’impression de me lancer dans un 1000 mètres en brasse coulée ! Tant pis, je nage !
Le cadre : São Paulo « culturellement riche, débordante de pognon, minée par une corruption endémique, marquée par une disparité entre les riches et les pauvres qui alimente le désespoir et et une criminalité qui n’accorde aucune valeur à la vie » Le cadre est posé…
Alors je vais croiser les patrons de la pègre, qui se planquent dans les favelas, ordonnent les exécutions, les morts sur ordre parmi lesquels les flics…Il leur en faut du courage !
Ah ! J’oubliais L’Eglise !
Oui, j’ai eu et lu un roman noir volumineux, dense et dérangeant. L’auteur nous transporte dans ce pays, qui n’est pas le plus petit du monde…mais sans doute du fait de sa taille et sa situation géographique un grand pays d’avenir. Découverte des particularités urbaine des lois brésiliennes, bien éloignées des nôtres parfois.
Un pays certes déchiré par la politique,
Je pars au sein d’une enquête pour meurtre, enquête menée par un petit flic, Mario Leme, inspecteur de police.
Un flic qui doit enquêter sur la mort d’un homosexuel. Mort après que ses assassins lui aient gravé au couteau, sur le torse, le V pour victoire et une croix gammée…;
Le genre d’homme et de citoyen que Bolsonaro rejette et vomit! Comme ses supporters qui se sentent, ce soir, pousser des ailes pour chasser ces homos.
Mais ce soir du 7 octobre 2018, est la date du premier tour des élections présidentielles. Jair Bolsonaro est en tête. Ce soir-là, à São Paulo comme partout ailleurs au Brésil, les partisans du leader populiste sont galvanisés par ses propos haineux. Ils n’ont pas attaqué un banal petit homo. Non il s’agit de Paddy Lockwood, directeur de la British School.
Début de Brazilian Psycho. Puis retour quinze ans en arrière, en 2003. Alors que Lula vient d’être investi en qualité de président du Brésil pour la première fois.
Un homme bien différent, qui incarne l’espoir d’un renouveau, l’espoir d’une plus grande égalité. Bref tout le contraire de Bolsonaro.
Que s’est-il passé entre ces deux dates ? Joe Thomas raconte le Brésil celui qu’il a connu pendant 10 ans à Sao Paulo, plus grande ville brésilienne mais aussi ses différences, le luxe côtoyant les favelas, ses inégalités, ses crimes
Un personnage important dans le roman, Mario Leme, ce flic féru de justice recherche la vérité, alors que d’autres sont beaucoup plus rapides à tirer des conclusions…..et avec leurs armes. Surtout avec leurs armes. Une enquête dangereuse comme toutes……c’est si banal de tuer un flic !
Bref un titre dérangeant, exigeant, pas toujours facile…un voyage dans la violence, bien loin des images de carnaval qu’on nous vend. Une image sans aucun doute qui est celle de le vérité, d’une vérité qui contredit les belles images destinées aux touristes, une image du fric qui côtoie la pauvreté, des malversations et des trafics en tout genre, notamment sur les matériaux de construction…image de ces villas et appartements luxueux, de ce contre-pouvoir des patrons de la pègre, de l’Eglise..
Mais pas seulement.
Bref, l’image de ce Brésil n’est pas celle du Carnaval de Rio….un Brésil qui n’est pas celui des cartes postales…Une image repoussoir presque, mais oh combien nécessaire, éprouvante et noire !
Un très gros travail ! Une lecture pas toujours limpide, exigeante.
Á chacun de se faire son idée!
Editions du Seuil – 2023 – Traduction Jacques Collin – 581 pages
Lien vers la présentation de Joe Thomas
Quelques lignes
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« En gros, les parents doivent extirper l’homosexualité de leurs rejetons efféminés à coups de ceinturons » (P. 31)
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« Il est plus important que la ville fonctionne – que les ordures soient ramassées, le métro en service, les rues entretenues – que de s’inquiéter des dessous de table et des malversations de la mairie » (P. 40)
- « Le haut de la colline. Les gros bonnets ont tendance à se tenir à l’écart, dans le cœur du labyrinthe de la favela. C’est pour cela qu’au ras du sol, il faut des Rafa et des Franginho. La hiérarchie, réalise Rafa, va littéralement vers le haut. »(P. 60)
- « Nous vivons dans nos voitures et dans des centres commerciaux, en niant les réalités urbaines que masquent nos vitres fumées, se dit-elle; en fuyant les routines banales et ordinaires que nous confions à d’autres, afin de nous consacrer aux plaisirs sensoriels que nous cherchons dans un monde artificiel -lumières tamisées, air conditionné – et dans une consommation éperdue. » (P. 118)
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« …la famille peut être propriétaire du taudis, des briques, du mortier, du bois et du plastique, mais le plus souvent, l’État demeure propriétaire du terrain sur lequel a été techniquement, illégalement bâti. » (P. 178)
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« Les grands manitous du gang ont donné leur accord depuis la prison, d’où la plupart d’entre eux continuent de diriger l’organisation. [….] Ils sont fuyants comme pas deux, ce sont de grands criminels, endurcis et violents, et il ne seront jamais tes amis. » (P. 178)
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« Elle n’est pas certaine de pouvoir répondre immédiatement : le terrain est propriété de l’État, mais le site appartient aux gars qui dirigent la favela. C’est un problème épineux, sauf que ça ne l’est pas, en fait. Cela reste néanmoins un casse-tête, juridiquement parlant. Les subtilités juridiques vont loin. La structure habituelle de la propriété foncière dans une favela est que le terrain est propriété de l’Etat, mais que tout bâti sur ce terrain est propriété de celui qui l’a construit. Donc on peut vendre le terrain, mais il est juridiquement impossible d’abattre le bâti. » (P. 287)
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« «Changer son assignation sexuelle est légal au Brésil, selon une décision du tribunal suprême fédéral rendue le 17 octobre 2009. La chirurgie de réassignation sexuelle est couverte par une clause constitutionnelle garantissant à tous les soins médicaux en tant que droit fondamental. Du point de vue biomédical, la transsexualité peut être décrite comme un trouble de l’identité sexuelle par lequel des personnes ont besoin de changer leur désignation sexuelle, sauf à subir de graves conséquences dans leur existence, et qui peuvent inclure d’intenses souffrances, des mutilations et des suicides.» Et des crimes de haine » (P. 291)
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« Beaucoup reconnaissent que Lula gouvernait comme on dirige une mafia […] La prolifération des partis politiques, à l’époque, signifiait que faire voter quoi que ce soit par le Parlement revenait à trouver un équilibre précaire dans une coalition de centre gauche fragmentée, composée de personnalités de tendances des plus variées. Le moyen le plus simple de cimenter cette coalition : le pognon. Un versement mensuel pour garantir la loyauté. […] Un détail quant aux scandales de corruption: personne en cherche vraiment à savoir d’où provenait l’argent. » (P. 352-3)
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« Comment maximise-t-on les bénéfices quand les coûts sont fixes? On construit des bâtiments inadéquats en lisière des villes, là où les terrains ne coûtent rien, falou? On glisse une petite enveloppe aux élus municipaux et ils approuvent sans difficulté. Et bingo. Le ministère finance des routes qui ne vont nulle part, qui se dirigent vers des déserts, pour que les entreprises du BTP puissent construire plus loin. et toutes la pattes sont graissées d’un bout à l’autre de la chaîne. C’est juste une bulle, en fait et ça ne peut pas durer. Il en sortira un peu de bien, c’est t, mais ça ne l’empêchera pas d’éclater. Mieux vaut en profiter maintenant, à mon avis? » (P. 431)
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« Les entreprises de BTP revendent les matériaux qui leur sont fournis par l’État aux plus offrants, puis achètent ce qu’il y a de moins cher pour les constructions sociales. Les matériaux de qualité sont utilisés pour des résidences de lux1e ou des centres commerciaux, ailleurs. C’est pour cela que les immeubles s’effondrent. » (P. 439)
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« Le système judiciaire est trop lourd, trop complexe, trop bureaucratique et trop tatillon, alors il est beaucoup plus simple de les éliminer, pour reprendre les termes de Bolsonaro. » (P. 523)

