
« Une énorme tache rouge bordée de jaune occupe tout l’écran . Il a détecté une gigantesque masse de poissons. Le banc qu’Alain vient de trouver mesure cinq kilomètres de long, trois cents mètres de haut et plus de cinq cents de large. A l’échelle de la terre, c’est un monstre haut comme la tour Eiffel, large comme le Champ-de-Mars et qui irait de la place du Trocadéro à la Porte de Versailles. » (P. 170)
Je vous propose d’embarquer sur l’un de ces bâteaux, de ces chalutiers géants qui écument le fond des mers afin de ramener ces poissons, ces merlans bleus qui seront transformés en surimi. Bancs de poissons repérés grâce aux instruments modernes…Sonar et autres.
Je suis certain que vous regarderez ces protéïnes marines d’un autre oeil après lecture de ce titre….en tout cas mon regard a changé.
Il fut convenu avec l’armateur que Frédéric Brunnquell embarquerait un 3 janvier sur le Joseph Roty II, un chalutier de 90 m de long construit en 1974 sur lequel 55 hommes travaillent jour et nuit pendant 2 mois en mer. Il souhaitait réaliser un film documentaire….j’aimerais bien le visionner uniquement pour visionner ces tempêtes, ces vagues géantes, pour entendre ces vagues de plusieurs dizaines de mêtres de haut déferlant sur le pont…mais le texte en dit beaucoup et rend compte de ces gigantismes, celui des vagues, du bruit permanent et des centaines de tonnes de poissons capturés par ces chaluts immenses capables de ramener plus de 200 tonnes en un seul passage…ne parlons pas de ces poissons morts, non pris par le chalut qui serviront de casse-croute aux oiseaux…..immense gaspillage.
Bref une lecture qui ne peut que nous interroger, nous consommateurs, qui achetons souvent les yeux fermés ces batonnets de chair de poissons.
Poissons qui une fois pêchés par centaines de tonnes se retrouvent broyés et mis en bouillie stockée en sacs de plusieurs kilos qui seront conservés jusqu’à l’arrivée dans ces immenses salles de congélation pouvant recevoir plusieurs centaines de tonnes…Gigantisme des filets de capture, des process de fabrication…..tout ça pour nous proposer dans nos assiettes ces batonnets au goût unique et pour abandonner en mer des centaines de tonnes – pour un bateau – de poissons morts…Songeons un instant au nombre de ces bateaux qui écument les mers…et abandonnent des poissons perdus qui régaleront les oiseaux de mer…
Mais ce titre aborde aussi une autre thématique, c’est celle de la solidarité de ces marins, de leur vie rude dans ces dortoirs exposés, pendant tous ces mois de pêche, au bruit incessant des moteurs, au tangage et au roulis, aux odeurs de gasoil…et j’en passe.
Dépaysement et découverte d’un monde ignoré sont garantis au lecteur, sans oublier, et c’est sans doute le plus significatif, cette solidarité entre marins…marins qui ne sont rémunérés qu’au prorata du poisson débarqué!
Souvenons-nous : « La pêche est une industrie dont le rendement se calcule sur une production faussement chiffrée à la livraison dans les ports et non sur le pont du navire, en bêtes brutes, à la sortie de l’eau. » (P. 175)
Editeur : Bernard Grasset – Collection Pocket – 2022 – 202 pages
Lien vers la présentation de Frédéric Brunnquell
Quelques lignes
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Ces marins vivent chaque année neuf mois sur l’océan, ils n’ont jamais vu les arbres en fleurs des printemps à terre, ils sont absents pour la naissance de leurs enfanfs, mais ils racontent la condition humaine, je goût es hommes pour l’ailleurs, le besoin de fierté, celui des rêves inaboutis, et l’obsession de la conquête qui se paie de tant de douleurs. » (P. 10)
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« Je les comprends ces marins qui ont perdu la terre. Ils ont congédié la souffrance du déracinement pour choisir le large et à force d’embarquements, d’années passées en mer, les liens avec les leurs se sont distendus jusqu’à se dissoudre. Comment entretenir des relations amicales quand on ne viit pas ailleurs, mais nulle part? » (P. 55)
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« Des engagés volontaires, des chasseurs, des mercenaires partis jouer pendant des mois leur vie dans l’espoir de tripler leur propre valeur marchande. » (P. 63)
- « L’équipe de Joaquim a déroulé le chalut pour que le monstre ouvre entièrement sa gigantesque gueule de cent vingt mètres de large, sur quatre-vingt-dix mètres de haut. le merlan, lui, ne mesure, de la queue à la machoire qu’à peine trente centimètres. Nous ne visons pas un poisson mais un banc de poissons, des centaines de milliers d’individus. » (P. 140)
- « Cette nourriture sans âme, purement fonctionnelle, apporte à l’humanité sa part de protéines journalières.. Le lien entre notre existence sur les flots et ces batonnets est impossible à établir.Le surimi orange, maqiuillé au safran, aromatisé au goût de crabe, est un produit industriel intraçable. La chair du petit poisson , mixée fraîche puis déshydratée, colore nos assiettes, mais le merlan bleu reste indétectable. Micromesistius poutassou n’existera jamais dans l’imaginaire des consommateurs. C’est une matière première sans origine qui nourrit le corps des humains sans aucune référence à la nature. [….] Alors apprenez, consommateurs de surimis que derrière vos bâtonnets se tient au milieu de l’océan un bal tragique, où des oiseaux, des marins, des mécaniciens et un capitaine jouent leur survie face aux forces liquides d’une planète restée sauvage. » (P. 155)
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« Les poissons indésirables, que les pêcheurs appellent avec dédain les «faux poissons», rejetés à l’eau à l’insu des régulateurs, sont la face cachée de la pêche et cette situation est restée sans solution réaliste depuis toujours. Il y a plus de soixante dix ans, Anita Conti le dénonçait déjà. Elle regrettait dans ses livres qu’aucune nation du monde ne s’occupe des tonnes de faux poissons, ni des tonnes de déchets. De tous les poissons considérés comme inutiles, et balancés aux dalots. (P. 175)


Le sujet m’intéresse. Je viens de le réserver. Merci pour la découverte.
Je le rends demain. Bonne journée à vous deux. une belle découverte d’un auteur