« Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants » – Mathias Énard

Un petit bijou de 150 pages  : chapitres très courts, une à 3 pages, échanges de correspondances….
Un mois de la vie de Michel-Ange appelé à Constantinople par le sultan pour dessiner un pont qui devra relier la ville à un de ses faubourgs. Un mois où l’auteur va nous faire découvrir avec les yeux de Michel-Ange la vie à Constantinople, ses monuments, un partie de son histoire, et surtout cet artiste qui va aimer, et être aimé , qui va passer des nuits blanches pour penser ce projet, jeter des esquisses, rencontrer ce sultan opposant du pape qui lui a également commandé des œuvres.

On en apprendra un peu plus sur sa rivalité avec son aîné Léonard de Vinci, sur les guerres entre le monde chrétien et le monde musulman entre le pape et le sultan….

150 pages envoûtantes de raffinement et de finesse faciles à lire  : une vraie découverte et la fin du livre romancé, l’auteur nous dit : « Tel fait est décrit dans tel ouvrage, le dessin du projet de ce pont se trouve dans les archives ottomanes, les lettres sont conservées là…. »

Un amoureux des mots 

Un livre romancé, mais en partie seulement


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Extraits
  • L’architecture est l’art de l’équilibre; tout comme le corps est régi par des lois précises, longueur des bras, des jambes, position des muscles, un édifice obéit à des règles qui en garantissent l’harmonie. L’ordonnancement est la clé d’une façade, la beauté d’un temple provient de l’ordre, de l’articulation des éléments entre eux. Un pont, ce sera la cadence des arches, leur courbe, l’élégance des piles des ailes, du tablier. Des niches, des gorges, des ornements pour les transitions, certes, mais déjà dans le rapport entre voûtes et piliers, tout sera dit (P.56)
  • 19 mai: Bougies, lampe, deux petites pièces; brouet (Herbes, épices, pain, huile) autant; poissons en friture, deux pigeons, un ducat et demi; service, une petite pièce; couverture de laine un ducat. Eau fraîche et claire
  • 20 mai: Poivre en grains, bâtons de cannelle, mascarade, camphre, piments séchés, pistils de safran, herbe du turc, aigremoine, cinnamome, cumin, amandes d’eucalyptus, euphorbe,et mandragore d’Orient, le tout quatre bonnes onces pour deux aspres seulement, il y aurait fortune à faire avec ce commerce
  • 22 Mai: Cipolin, ophite, sérancolin, serpentin, cannelle, dauphin, porphyre, brocantin, obsidien, cinatique. Que de noms, de couleurs, de matières alors que le plus beau, le seul qui vaille est blanc, blanc, sans veines, rainures ni colorations. le marbre lui manque (P.68)
  • Michel-Ange n’était pas très beau, le front trop haut, le nez tordu, brisé lors d’une rixe de jeunesse, les sourcils trop épais, les oreilles un peu décollés. Il avait sa propre face en horreur, dit-on. On ajoute que s’il recherchait la perfection du trait, dans les visages, c’est que lui-même en était totalement dépourvu. Seule la vieillesse et la célébrité lui donneront, patine sur un objet au départ fort laid, une aura sans pareille. C’est peut-être dans cette frustration qu’on pourrait trouver l’énergie de son art; dans la violence de l’époque, dans l’humiliation des artistes, la révolte contre la nature; dans l’appât du gain, la soif inextinguible d’argent et de gloire qui est le plus puissant des moteurs. Michel-Ange cherche l’amour. Michel-Ange a peur de l’amour comme il a peur de l’enfer (P.79)
  • « Enfermé dans ton monde tu ne vois que des ombres, des formes incomplètes, des territoires à conquérir. Chaque jour te pousse vers le suivant sans que tu saches l’habiter vraiment. « 
  • « Combien faudra-t-il d’œuvres d’art pour mettre la beauté dans le monde? »
  • « Souvent on souhaite la répétition des choses; on désire revivre un moment échappé, revenir sur un geste manqué ou une parole non prononcée; on s’efforce de retrouver les sons restés dans la gorge, la caresse que l’on n’a pas osé donner, le serrement de poitrine disparu à jamais. »

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