« Nous autres » – Ievgueni Zamiatine

Nous autresMagnifique pour les uns, déception pour les autres…Un livre culte, demie déception en ce qui me concerne
Première dystopie écrite il y a presque 100 ans, publiée en 1924. 
D-503, le narrateur mathématicien est le concepteur de l’Intégral, vaisseau spatial qui doit décoller dans 120 jours pour aller porter la civilisation partout dans l’univers, la civilisation de leur monde dirigé par le Bienfaiteur. Une civilisation dans laquelle hommes et femmes sont vêtus « d’unifs bleus », dans laquelle ils sont connus par des numéros…une civilisation dans laquelle tous se réveillent, mangent en mastiquant 15 fois chaque bouchée et dorment aux mêmes heures .

Ils n’ont que deux heures personnelles par jour au cours desquelles ils peuvent faire ce qu’ils souhaitent, obtenir un ticket rose pour faire l’amour avec qui leur demande : « N’importe quel numéro a le droit d’utiliser n’importe quel autre numéro à des fins sexuelles » et tirer pour cela les rideaux de leurs cages de verre. Bref le monde parfait dans lequel ils peuvent aimer et pourront connaître le bonheur parfait à partir du moment où leur imagination sera détruite……Un monde entouré par des murs électrifiés infranchissables, dans lequel toute liberté individuelle est bannie. 

D-503 est un mathématicien « génial » puisqu’il est le premier qui a découvert la racine de -1…. ceux qui ont transpiré à grosses gouttes sur quelques problèmes de maths pour passer des concours apprécieront. Un D-503 qui voit des maths partout, dans la musique qu’il écoute, dans le monde qui l’entoure….des délires mathématiques presque psychédéliques  souvent répétés, qui deviennent lassants et « hermétiques » pour le lecteur et qui n’apportent rien à la narration.  Il écrit son journal « Nous autres » qu’il cache, et souvent s’adresse au lecteur par l’intermédiaire de ce journal, et rencontrera I-330 une femme réfractaire au régime, une femme libérée qui fume, boit et qui, comme les nombres sont infinies, pense qu’il ne peut y avoir de dernière révolution…J’ai apprécié l’image
Zamiatine a donné naissance avec « Nous autres » au courant littéraire qui vit naître « Le meilleur des mondes », « 1984 », « 2084 : La fin du monde », « Un bonheur insoutenable » etc…et j’avoue que plusieurs m’ont plus « emballé » que « Nous autres ».. A chacun ses goûts.
Une intrigue et une issue qui laissent perplexe, un livre dans lequel on trouve souvent le temps long, mais dans lequel l’auteur a eu le mérite d’être le premier à décrire et  dénoncer avec prémonition ces mondes totalitaires, uniformisés : URSS de Staline, Chine de Mao, Corée du Nord de Kim-Jong-il et de Kim-Jong-un….
C’est pour cela que Staline l’interdira et arrêtera Zamiatine, c’est pour cela que j’apprécie l’homme, l’auteur, ses pensées intemporelles sur le droit, la liberté, le bonheur, l’intelligence… développées dans « Nous autres »
Un livre à connaître, puisqu’il fait partie des classiques contemporains, mais son coté « Science-fiction » ne m’a pas complètement séduit et passionné. D’autres l’apprécieront et le porteront aux nues…..

Cette différence d’appréciation prouvera que nous ne sommes pas encore dans ce monde parfait décrit par Zamiatine 


Connaitre Ievgueni Zamiatine


 
Quelques extraits pour découvrir
  • « La construction de l’Intégral sera achevée dans 120 jours. Une grande date historique est proche : celle où le premier Intégral prendra son vol dans les espaces infinis. Il y a mille ans que nos héroïques ancêtres ont réduit toute la sphère terrestre au pouvoir de l’Etat Unique, un exploit plus glorieux encore nous attend : l’intégration des immensités de l’univers par l’Intégral, formidable appareil électrique en verre et crachant le feu. Il nous appartient de soumettre au joug bienfaisant de la raison tous les êtres inconnus, habitants d’autres planètes, qui se trouvent peut-être encore à l’état sauvage de la liberté. S’ils ne comprennent pas que nous leur apportons le bonheur mathématique et exact, notre devoir est de les forcer à être heureux. Mais avant toutes autres armes, nous emploierons celle du Verbe. Au nom du Bienfaiteur, ce qui suit est annoncé aux numéros de l’Etat Unique : Tous ceux qui s’en sentent capables sont tenus de composer des traités, des poèmes, des proclamations, des manifestes, des odes, etc… pour célébrer les beautés et la grandeur de l’Etat Unique. Ce sera la première charge que transportera l’Intégral. Vive l’Etat Unique. Vive les numéros. Vive le Bienfaiteur ! » (P. 15)
  • « Vous voyez, même les idées se ressemblent. Et ceci, c’est parce que personne n’est « un » mais « un parmi »,  » un de  » ; nous sommes tellement semblables. » (P. 21)
  • « La vitesse de la langue doit être toujours en retard d’un peu moins d’une seconde sur le vitesse de la pensée et ne doit, en aucun cas la devancer. » (P. 22)
  • « Je serai franc : nous n’avons pas encore résolu le problème du bonheur d’une façon tout à fait précise » (P. 26)
  • « Arrivé à la maison, je courus au guichet, montrai au gardien mon ticket rose et reçus en échange la permission d’utiliser les rideaux. Nous n’avons ce droit qu’aux jours sexuels. D’habitude, dans nos murs transparents et comme tissés de l’air étincelant, nous vivons toujours ouvertement, lavés de lumière, car nous n’avons rien à cacher et ce mode de vie allège la tâche pénible du Bienfaiteur. »(P. 32)
  • « Chacun est soigneusement examiné dans les laboratoires du Bureau Sexuel. On détermine avec précision le nombre des hormones de votre sang et on établit pour vous un tableau de jours sexuels   Vous faites ensuite une demande, dans laquelle vous déclarez vouloir utiliser tel numéro, ou tels numéros. On vous délivre un petit carnet rose à souches et c’est tout. » (P. 34)
  • « C’est extraordinaire à quel point les instincts criminels sont vivaces chez l’homme. La liberté et le crime sont aussi intimement liés que, si vous voulez, le mouvement d’un avion et sa vitesse. Si la vitesse de l’avion est nulle, il reste immobile, et si la liberté de l’homme est nulle, il ne commet pas de crime. C’est clair. Le seul moyen de délivrer l’homme du crime, c’est de le délivrer de la liberté. » (P. 46)
  • « L’homme n’a cessé d’être un animal que le jour où il a construit le premier mur. Nous n’avons cessé d’être des sauvages que lorsque nous avons édifié le Mur Vert, lorsque nous avons isolé, à l’aide de nos machines, notre monde parfait, du monde déraisonnable et informe des arbres, des oiseaux, des animaux » (P. 102)
  • « Les plus sages des anciens savaient déjà que la force est la source du droit et que celui-ci n’est qu’une fonction de la force. Supposons deux plateaux de balance ; sur l’un se trouve un gramme et sur l’autre une tonne, je suis sur l’un, et les autres, c’est à dire «Nous», l’Etat Unique sont sur l’autre. N’est-il pas évident qu’il revient au même d’admettre que je puis avoir certains «droits» sur l’Etat Unique que de croire que le gramme peut contrebalancer la tonne ?   De là une distinction naturelle : la tonne est le droit, le gramme le devoir. La seule façon de passer de la nullité à la grandeur, c’est d’oublier que l’on est un gramme et de se sentir la millionième partie d’une tonne… » (P. 122)
  • « L’Homo Sapiens ne devient homme, au sens plein du mot, que lorsqu’il n’y a plus de point d’interrogation dans sa grammaire, mais uniquement des points d’exclamation, des virgules et des points. » (P. 125)
  • « Si l’on avait entretenu la bêtise humaine pendant des siècles, de la même façon que l’intelligence, il est possible qu’elle serait devenue une qualité très précieuse. » (P. 139)
  • « Qu’est-ce que le bonheur ? Tous les désirs sont douloureux et il ne peut y avoir de bonheur que lorsque ceux-ci sont supprimés jusqu’au dernier. Quelle erreur avons-nous commise en mettant le signe plus devant le bonheur. C’est le signe moins qui se trouve devant le bonheur absolu, le divin signe moins. » (P. 186)
  • Tous les matins, avec une exactitude de machines, à la même heure et à la même minute, nous, des millions, nous nous levons comme un seul numéro. À la même heure à la même minute, nous, des millions à la fois, nous commençons notre travail et le finissons avec le même ensemble. Fondus en un seul corps aux millions de mains, nous portons la cuiller à la bouche à la seconde fixée par les Tables; tous, au même instant, nous allons nous promener, nous nous rendons à l’auditorium, à la salle des exercices de Taylor, nous nous abandonnons au sommeil

2 réflexions sur “« Nous autres » – Ievgueni Zamiatine

  1. On voit l’influence de Zamiatine sur Huxley, Orwell et Bradbury. Son style est différent et c’est vrai que l’aspect SF est beaucoup moins travaillé mais cela ne l’empêche pas de nous transmettre son message. Je suis d’accord avec vous, ce livre mérite d’être lu.

  2. Y en a-t-il qui ont remarquer que la race extra-terrestre Borg de la série Startrek est en fait la suite de Nous autres après le décollage de l’intégral, la colonisation réussie et aboutie de l’espace du peuple Taylorien.

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