
– D’abord une autobiographie romancée peut être : la narratrice écoute sa mère née dans une famille pauvre de l’Espagne. Celle-ci a 16 ans en 1936 quand débute de la guerre civile. Elle a perdu toute sa mémoire sauf celle des événements de 1936. Alors elle raconte, en français mêlé d’espagnol, ce qui rend son témoignage vivant et touchant, sa vie dans son village, les oppositions entre les propriétaires terriens et le peuple, son mariage… Elle a appris le français quand elle s’est réfugié en France…la Retirada….
– La narratrice, sa fille, traduit quand il le faut les dires de sa mère et les complète par des éléments historiques : la position de l’église et de l’épiscopat, les conditions du déclenchement de cette guerre, le rôle des communistes et de Staline, les oppositions farouches entre les factions anti-franquistes, les exactions de part et d’autre, les hommes réveillés la nuit et fusillés d’une balle dans la tête à cause d’une simple dénonciation, le soutien des allemands, Guernica….L’auteure s’appuie sur des documents, des extraits de discours….
– Le roman de la famille est celui de la lutte entre le frère de sa mère, Josep anarchiste et le fils, Diego – devenu communiste – du propriétaire terrien… ces deux là n’ont depuis l’école, jamais pu s’entendre, le charme des volontaires étrangers, les coups de foudre pour des hommes qu’on ne reverra peut-être jamais, les magasins de la ville remplis de lingerie, les réunions de familles dans lesquelles toutes les sensibilités, franquistes, socialistes, anarchistes, communistes étaient présentes….
– D’autres que Lydie Salvayre ont écrit sur la guerre d’Espagne, Bernanos soutenant dans un premier temps les nationaux a écrit « Les Cimetières sous la lune » en dénonçant les crimes dont ils étaient responsables et a finalement pris fait et cause pour les opposants à Franco, ce qui ne fut pas le cas de Claudel soutenant l’Eglise : « Claudel approuva la lettre collective de l’épiscopat espagnol avec une passion égale à celle qu’il mettait à détester les Juifs ». Lydie Salvayre leur donne la parole, leurs témoignages confirment l’horreur de cette guerre civile – Pablo Neruda, Ilya Ehrenbourg sont eux-aussi montrés du doigt, citations à l’appui : ils ont aveuglément soutenu Staline et ses crimes et « l’épuration des éléments trotskistes et anarcho-syndicalistes »
– En croisant roman, autobiographie, rappels historiques, rappels littéraires, Lydie Salvayre que j’ai découverte avec ce roman, m’a donné envie d’une part de lire d’autres ouvrages, de mieux connaitre cette époque et les auteurs qui d’un coté ou de l’autre ont soutenu ces combattants des deux bords, notamment « ces jeunes Don Quichotte, qui partent au combat chaussés de pauvres espadrilles et vêtus de pauvres vareuses en coton, ne connaissent rien des usages de la guerre, de sa démence aveugle, de sa répugnante, de son atroce sauvagerie »
A conseiller.
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Extraits
- « Posséder un objet, une maison, un bijou, une montre bracelet, des meubles en acajou, c’est s’en faire l’esclave, c’est vouloir à tout prix les garder, c’est ajouter de nouvelles servitudes à celles auxquelles on ne peut se soustraire » (P. 26)
- « L’épuration entreprise par les nationaux avec la bénédiction immonde du clergé est aveugle et systématique et relève de la Terreur » (P. 50)
- « Il me semble que je commence à savoir ce que le mot national porte en lui de malheur. Il me semble que je commence à savoir que, chaque fois qu’il faut brandi par le passé et quelle que fut la cause défendue (Rassemblement National, Ligue de la Nation Française, Révolution Nationale, Rassemblement National Populaire, Parti National Fasciste) il escorta inéluctablement un enchaînement de violences, en France comme ailleurs. L’Histoire sur ce point abonde en leçons déplorables » (P. 94)
- « Ces jeunes Don Quichotte, qui partent au combat chaussés de pauvres espadrilles et vêtus de pauvres vareuses en coton, ne connaissent rien des usages de la guerre, de sa démence aveugle, de sa répugnante, de son atroce sauvagerie » (P. 130)
- « Staline plus savant que tous les hommes ensemble » (Pable Neruda) (P. 241)
- « Claudel approuva la lettre collective de l’épiscopat espagnol avec une passion égale à celle qu’il mettait à détester les Juifs et à soutenir que le mal français venait bien davantage des ouvriers protestataires que de Hitler ou de Mussolini. Certains se laissèrent abuser par cet argument. Pas Bernanos. « A en croire les bien-pensants, écrivit -il, l’ouvrier français comblé, crèverait de bien-être », et de rappeler les conditions de vie épouvantables de ces derniers. Bernanos avait compris qu’en aboyant contre les ouvriers français, Claudel et quelques autres ne faisaient que couvrir le bruit produit par les deux tyrans avec leur bottes et leurs élucubrations. Et il repoussa dans une hésitation toute complicité dans l’entreprise infecte de rendre les ouvriers français seuls responsables de la faillite d’un régime » (P. 248)