« Le serment des barbares » – Boualem Sansal

Le serment des barbares

Le roman d’un écorché vif

Un vieux flic algérois à quelques mois de la retraite enquête sur un double assassinat à Alger. Un homme riche a été sauvagement exécuté de plusieurs balles tirées dans les jambes, de 2 balles dans la tête et de 2 coups de poignard au cœur. Un vieil homme, ancien ouvrier agricole, ayant émigré en France et revenu au pays,  a été égorgé dans sa masure pendant son sommeil.
Il n’y a pas de lien apparent entre ces 2 affaires
Sur fonds de roman policier Boualem Sansal dresse un réquisitoire contre l’Algérie, son histoire. La corruption de l’Etat, des élites, l’islamisme partout présent, la détresse des algériens, les relations troubles entre les dirigeants et les assassins islamistes….. 

Chaque chapitre, chaque point de son enquête permet d’aborder un aspect de cette décadence : le secteur du bâtiment, les hôpitaux, (« L’hôpital de Rouiba n’est pas seulement une usine en faillite, un lupanar clandestin, un marché noir. C’est un merdier pour les vivants qui s’y aventurent et le plus malencontreux des enfers pour qui y trépasse. La santé n’a pas sa place dans cet enfer. ») mais aussi  la police, la place donnée aux femmes… toute la société est malade, gangrénée par l’islamisme : « Ils ont toujours un verset pour justifier la dictature » 

Le dégoût de l’auteur s’exprime au travers de mots et de phrases, précises, trop précises parfois jusqu’à la nausée. 
Il creuse, creuse dans la boue, la fange, sans trouver la fin
Un énorme travail d’écriture qui très vite fait passer le coté policier du livre au second plan, ce coté policier est un prétexte pour dénoncer les turpitudes, la noirceur de l’Algérie. Tout est noir et corrompu, rien ne trouve grâce aux yeux de l’auteur.

On ressent l’amour de l’auteur pour son pays, son désespoir devant sa situation actuelle née d’un long passé, celui de la colonisation, de la politique de la France lors de la décolonisation, de la terreur engendrée par  l’islamisme et l’Islam qui gangrènent  l’Algérie.

Mais parfois cette longueur dans les descriptions, cette noirceur devient lassante, On a l’impression que rien ne pouvait arrêter sa rage, sa hargne

J’avais aimé Boualem Sansal dans « Le Village de l’Allemand » et je me faisais une joie de le retrouver; Je n’ai pas retrouvé tout ce plaisir ….sans doute du fait de la noirceur toujours présente, de descriptions trop longues et parfois un peu obscures.

Mais je ne regrette pas la découverte de cet autre aspect de cet auteur censuré dans son pays l’Algérie ….on comprend pourquoi. 


Connaître Boualem SANSAL


Extraits

  • « Tout est douteux à Rouiba, son opulence autant que sa prétention d’être le poumon économique de la capitale. L’agriculture est un vice qui n’a plus de troupes. L’industrie bricole dans le vacarme et la gabegie. Les rapports d’experts le proclament ; mais qui les lit ? Le commerce est mort de mort violente, les mercantis lui ont ôté jusqu’à la patente. À ceux qui s’en inquiètent, des nostalgiques de la mamelle socialiste ou des sans-le-sou, les bazaris jurent que c’est l’économie de marché et que ça a du bon. Leurs complices du gouvernement, qui ont fini de chanter la dictature du prolétariat, apportent de l’eau à leur moulin en discourant jusqu’à se ruiner le gosier. Et si le Coran, le règlement et la pommade sont de la conversation, ce n’est pour ces camelotiers ruisselant de bagou qu’artifices pour emmancher le pigeon et boire son jus. Soyons justes, on ne saurait être commerçant florissant et se tenir éloigné de l’infamie ; l’environnement est mafieux, le mal contagieux ; un saint troquerait son auréole pour un étal […] Les rapports avaient prévu la dérive ; mais qui les a lus ? » (P. 21)
  • « La tournure d’esprit du musulman overdosé est de se croire indispensable et de plus, comptable agréé par le Créateur de ce qui vit et périt ici bas. C’est une vie énigmatique, et dangereuse pour le passant qui ne fait que passer dans la vie. A ces gens il manque un boulon et c’est dans les ossements qu’ils le cherchent. Ils regardent la vie comme un dû à la mort et en Dieu ils voient un liquidateur de comptes » (P. 24)
  • « Ils ont toujours un verset pour justifier la dictature » (P. 40)
  • « On n’arrête pas le progrès quand il vient détruire »(P. 50)
  • « Quelqu’un réagira sous ses ongles et parla d’un retard de sept années. C’était perfide. On chercha à savoir par rapport à quoi. On expliqua en rafale que le programme avait commencé avec une certaine avance sur le retard initial alors que les conditions de démarrage étaient loin d’être réunies. On ajouta que dans la dixième résolution de la huitième session du comité central issu du quatrième congrés, tout avait été dit sur le bien et le mal. Bon, on admit que c’était une performance. L’impertinent détracteur (C’était le concierge) fut le premier a railler cette vérité historique…  On ballade longuement les invités de marque en jetant sous leurs pieds les plus fins mensonges »(P. 53)
  • « Ceux qui étaient d’accord pour ne rien gagner si les autres perdaient jusqu’à la dignité rejoignaient d’eux-mêmes ceux qui acceptaient  de perdre l’âme si les autres ne gagnaient rien qui vaille de s’accrocher à la vie » (P. 58)
  • Au sujet de l’hôpital : « ce n’était pas tant son côté usine en faillite dédiée à la casse; ni cette pauvre populace funambulesque, abasourdie, râpée, fourbue mais accrocheuse, qùi divague et laisse accroire que d’immenses malheurs se sont abattus sur la planète; ni les dégaines repoussantes qu’affiche son personnel pour à la fois se défendre des attaques massives du peuple, affirmer son rang, dire ses déboires et au bout du compte attirer l’attention sur les crimes de l’administration. Il ne pouvait souffrir la corruption qùi y sévit et se ramifie en d’inextricables réseaux. Comment accepter de voir se marchander ce qui ne peut se vendre : l’humanité… » (P. 63)
  • « L’imposture est à l’héroïsme ce que la fausse monnaie est à la bonne. Je me demande quelquefois où et quand j’ai fait le maquis tant il y a de gens qui l’ont fait à mes côtés » (P. 141)
  • « L’Algérie est morte sous le mensonge; le dire ainsi n’est que vérité pour les malheureux, les menteurs vivent royalement de sa dépouille »(P. 240)
  • « Quand on a accepté le mensonge pour vérité, ne sommes nous pas déjà morts » (P. 311)
  • « Larbî était choqué par la condition faite à la femme. Les islamistes jurent de lutter jusqu’à la mort pour la libérer de la modernité et parlent et de la rattacher à la plus vieille coutume qui soit. Les modernistes clament avec une solennité vieux jeu de lui restituer une fois le calme revenu en la demeure, des droits qu’elle n’a jamais eus. »(P. 347)

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