« La septième fonction du langage » – Laurent Binet

La septième fonction du langageDécouverte de Laurent Binet, que je souhaitais lire depuis bien longtemps, découverte d’un lecteur comblé…découverte d’un livre aux multiples facettes 
Sur fond de pastiche de roman policier, Laurent Binet a écrit un livre érudit, déjanté et jubilatoire, divertissant, intelligent et drôle….qui a laissé parfois le lecteur que je suis face à son ignorance crasse…
Le 29 février 1980 Roland Barthes est renversé par une voiture alors qu’il sortait d’un déjeuner avec François Mitterrand, pas encore candidat à la Présidence de la République…
Point de départ d’une enquête policière menée par un policier réac, associé à la demande de Giscard d’Estaing, Président de la République, à un professeur de sémantique…de gauche…Pourquoi Giscard, en fin de  mandat s’intéresse t-il tant à cet accident? L’alliance improbable de deux caractères, de deux hommes que tout oppose et qui auraient du, à cette époque,  se rencontrer de chaque côté d’une matraque. Une enquête avec ses courses-poursuite, ses morts, ses rebondissements, ses scènes de sexe, etc.
Dès les premières pages le lecteur sait qu’il a entre les mains un livre qui ne peut laisser indifférent, mais il sera loin d’imaginer où Laurent Binet l’emmenera
Un livre instructif et érudit…Ayant une formation scientifique je ne soupçonnais pas l’existence de six fonctions du langage, j’ignorais tout de ces fonctions….Et j’avoue que par moment j’ai été un peu comme Bayard, le flic du roman…je n’ai pas compris grand chose « Le commissaire Bayard comprend qu’il ne comprend rien, ou pas grand chose à toutes ces conneries. Il lui faudrait quelqu’un qui l’affranchisse, un spécialiste, un traducteur, un transmetteur, un formateur. Un prof quoi. »…et je ne pense pas être le seul…Laurent Binet Agrégé de lettres modernes, m’a affranchi et donne à ses lecteurs un cours sur les six fonctions du langage, et en imagine une septième, cause probable de la mort de Roland Barthes… 
Et notre flic associé au prof vont tous deux mener leur enquête,  parcourir le Paris des années 80…, Walkman, premiers décès du Sida, Parapluies bulgares, Événements en Pologne, Brigades rouges attentat à la gare de Bologne, Arrivée de la Fuego, nouvelle voiture de Renault, voyages en avion au cours desquels on pouvait fumer, sauf pendant les décollages et atterrissages…Ah oui! je m’en souviens…comme le temps passe….retour vers mes 30 ans !!
Un parcours initiatique pour les moins de quarante ans. Ils vont s’envoler vers l’Italie, les États-Unis, toujours à la recherche d’un mystérieux document présentant cette nouvelle fonction évoquée par Roman Jakobson dans son ouvrage « Essais de linguistique générale ».  Ce document qui aurait été dérobé à Roland Barthes permettrait à celui qui maîtriserait cette septième fonction de prendre l’ascendant sur tout interlocuteur… et de devenir maitre du monde….on comprend pourquoi la recherche de ce document intéresse tant de monde, bulgares, russes américains français, japonais….
Un voyage également dans le monde de la littérature des années 80 dans lequel on croise, souvent avec dérision et dans des situations cocasses Solers, Jean-Edern Hallier, Sartre, Sollers, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Althusser, Derrida et le jeune BHL qui a déjà sa chemise blanche, sauf une fois….pour être non reconnu, des personnalités littéraires souvent homo accompagnés de leurs amis.
Le monde de la politique n’est pas non plus épargné et Laurent Binet égratigne avec bonheur, Giscard, Lecanuet, Poniatowski, Dornano mais aussi Mitterrand, le jeune Fabius déjà dégarni,  Lang, Badinter, Attali, Serge Moati…..Laurent Binet les met en scène et décrit le repas entre Mitterrand et Barthes, précédant son accident, repas subtil, et intelligent…un bonheur
Laurent Binet voue certainement une grande admiration à Umberto Eco, personnage souvent présent, côtoyant Monica Vitti et Antonioni…membres d’un club secret le Logos Club également actif aux Etats-Unis, club de débats dans lesquels les perdants peuvent perdre égalemnt un doigt…ou autre chose…Solers en est encore tout surpris…..La dérision est toujours présente, sourires assurés
Laurent Binet a écrit un roman qui m’a souvent rappelé « Le nom de la Rose », de ce même Umberto Eco par ses rebondissements, ses mystères, sa trame narrative, son coté policier…
Je ne vous raconterai pas la fin, je vous laisse ce plaisir jubilatoire…..une belle analyse de Laurent Binet….Souvenir…Souvenir
Je vais poursuivre cette découverte

Plus sur Laurent Binet


Extraits
  • « Avec Barthes, on pouvait passer beaucoup de temps à parler de steak-frites, de la dernière Citroën, de James Bond, c’est une approche plus ludique de l’analyse, et c’est d’ailleurs un peu la définition de la sémiologie : c’est une discipline qui applique les procédés de la critique littéraire à des objets non littéraires » (P. 44)
  • « Est-ce que Barthes avait des ennemis? Oui beaucoup répond Sollers. Tout le monde sait qu’il est notre ami et que nous avons beaucoup d’ennemis. Qui? Les staliniens ! Les fascistes ! Alain Badiou ! Gilles Deleuze ! Pierre Bourdieu ! Cornelius Castoriadis ! Pierre Vidal Naquet ! » (P.  73) 
  • « Commissaire, le jour de son accident, M. Barthes etait en possession d’un document qui lui a été dérobé. Je souhaite que vous retrouviez ce document. Il s’agit d’une affaire de sécurité nationale….C’est un docile qui met en cause la sécurité nationale. Utilisé à mauvais escient, il pourrait causer des dégâts incalculables et mettre en danger les fondements mêmes de la démocratie. Je ne peux malheureusement pas vous en dire davantage » (P. 86)
  • « Ce que je peux vous dire c’est que le désespoir est mobilisateur et que quand il est mobilisateur il est dangereux » (Débat Balavoine Mitterrand le 19 mars 1980) (P. 95)
  • « Je prétend qu’un sujet, je dis bien un sujet pour ne pas prendre parti à l’avance sur, euh, le sexe de ce sujet n’est-ce pas – mais un sujet amoureux, euh, eh bien aura beaucoup de mal à vaincre l’espèce de tabou de la sentimentalité, alors que le tabou de la sexualité aujourd’hui se transgresse très facilement » (P. 104)
  • « Roland Barthes est un homme qui a passé sa vie à traquer les signes ! Les signes par lesquels une société, une collectivité s’exprime. Exprime des sentiments diffus, confus même si elle n’en a pas conscience! En ce sens c’etait un très grand journaliste. D’ailleurs il était le maître d’une science qui s’appelle la sémiologie, c’est à dire la science des signes » (P. 106)
  • « En politique comme ailleurs, personne n’a jamais trop intérêt à ce qu’on remue le passé » (P. 119)
  • « Un bon mensonge doit être noyé dans un océan de vérité. Avouer à 90% permet d’aune part de crédibiliser les 10% qu’on cherche à dissimuler et d’autre part cela réduit les risque de se couper. On gagne du temps et on évite de s’embrouiller. Quand on ment, il faut mentir sur un point et un seul, et être parfaitement honnête sur tout le reste. » (P. 158)
  • « Il faut une belle intelligence pour convaincre les autres que gouverner consiste à n’être responsable de rien » (P. 209)
  • « Le sémiologue quand il se promène dans les rues flaire la signification, là où les autres voient des événements » (P. 227)
  • « Machiavel explique au Prince que ce n’est pas par la force mais par la crainte qu’on gouverne et ce n’est pas la même chose : la crainte est le produit du discours sur la force. Celui qui maîtrise le discours par sa capacité à susciter la crainte et l’amour est virtuellement le maître du monde » (P. 234)
  • « Un homme mérite le nom d’intellectuel quand il se fait la voix des sans-voix »(P. 249)
  • « Imaginons une fonction du langage qui permette, de façon plus extensive, de convaincre n’importe qui de faire n’importe quoi dans n’importe quelle situation…..Celui qui aurait la connaissance et la maîtrise d’une telle fonction serait virtuellement le maître du monde. Sa puissance n’aurait aucune limite. Il pourrait se faire élire à toutes les élections, soulever les foules, provoquer des révolutions, séduire toutes les femmes, vendre toutes sortes de produits imaginables, bâtir des empires, escroquer la terre entière, obtenir tout ce qu’il veut en n’importe quelle circonstance » (P. 265) 
  • « Mieux vaut laisser dormir les lois lorsqu’elles sont, à tort ou à raison, refusés par les mœurs »(P. 279)
  • « La conversation est en somme une partie de tennis qu’on joue avec une balle en pâte à modeler qui prend une forme nouvelle chaque fois qu’elle franchit le filet » (P. 330)
  • « Le mythe d’Adam et Eve en un sens est le performatif originel : à partir du moment où on décrète que la femme vient après l’homme, qu’elle est créée à partir d’un bout d’homme et que c’est elle qui fait les bêtises en croquant la pomme, que c’est elle, la salope, et qu’elle a bien mérité d’enfanter dans la douleur, évidemment c’est foutu pour elle. Manquerait plus qu’elle refuse de s’occuper des gosses » (P. 335)
  • « Un roman n’est pas un rêve, on peut mourir dans un roman. Ceci dit, normalement on ne tue pas le personnage principal, sauf éventuellement à la fin de l’histoire. Mais si jamais c’était à la fin de l’histoire, comment le saurait-il ? Comment savoir à quelle page de sa vie on est ? Comment savoir quand notre dernière page est arrivée ? » (P. 401)
  • « Le baroque est ce courant esthétique qui pense le monde comme un théâtre et la vie comme un rêve, une illusion, un miroir de couleurs vives et de lignes brisées. Le baroque préfère les courbes aux angles droits. Le baroque aime l’asymétrique, le trompe-l’œil, l’extravagance. » (P. 417)

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