
Belles pages sur cette rupture, sur le désarroi de Choutov.
Il trouve une place libre dans un avion et décide de repartir en Russie où il arrive à l’occasion des fêtes du tricentenaire de Leningrad. Un choc pour lui! Choc de cette nouvelle Russie qu’il ne reconnait pas, de ses nouveaux riches, appartements communautaires réhabilités par ces nouveaux riches, le fric qui s’étale qui coule à flots… Un choc de culture.
Rencontre avec un vieil homme inconnu qui lui fait remonter le temps et lui conte le Leningrad des années 40, le siège de la ville, la faim, le froid, son amour perdu, le stalinisme inhumain, la peur, les camps staliniens, le culte obligé, les poèmes, les paroles qui pouvaient coûter la vie à leurs auteurs, les hôpitaux psychiatriques…. Que de chemin parcouru en 60 ans par cette ville Leningrad. Nouveau choc.
Un livre sur la Russie, la Russie qui sous son apparence de changement et d’évolution, reste finalement la Russie ou depuis Dostoïevski et Tolstoï les forts oppressent et écrasent les faibles, où de nouveaux forts apparaissent et écraseront les toujours faibles.
Tout est dit dans ces 280 pages. Un grand plaisir
Quelques extraits
« Tu es comme un obus qui n’a pas explosé et qui garde sa force détonante en lui. Tu es une déflagration qui n’arrive pas à se faire entendre » (P.13)
« Un exilé n’a pour patrie que la littérature de sa patrie » (P.29)
- « J’ai cité Marx : le seul critère de la vérité est le résultat pratique. Et dans l’édition, le résultat c’est le nombre de ventes, n’est ce pas? Si des livres de merde se vendent, c’est qu’on en a besoin. » ( P.97)
- « Autrefois un recueil de poèmes pouvait changer votre vie, mais un poème pouvait aussi coûter la vie a son auteur. Les strophes avaient le poids des longues peines derrière le cercle polaire où tant de poètes avaient disparu… » ( P.99)
« Le secret qu’il cherchait à percer est simple : la Russie vient de se joindre au jeu de rôles planétaire, a ses codes. Et la fête du tricentenaire ne fait qu’exacerber cet élan vers le grand show du monde : les quarante-cinq chefs d’Etats gavés de notre caviar, abreuvés de notre vodka, assommés de notre Tchaikowski. La richesse d’un Bill Gates? Admirez plutôt nos milliardaires à nous, devenus tels en quelques années! » (P.112)
« Il fait juste accepter le carnaval du monde où les russes ont leur place » (P.113)
« Un pays où des millions d’êtres se réveillaient la nuit, tendant l’oreille à chuintement des pneus sur l’asphalte : cette voiture passe-t’elle son chemin? Ou bien s’arrête-t’elle devant la porte » ( P.231)
« Les camps occupaient la vingtième partie de l’immense étendue soviétique, dix fois la superficie de la Grande Bretagne dont les vertes prairies défilent sur l’écran. Disparaître dans ce néant n’était pas un destin rare » (P.258)
« Il imagine une femme au milieu des baraquements entourés de miradors et aussi un homme dans une rangée de prisonniers. Tous deux, ils lèvent les yeux, suivent la lenteur des nuages , sentent la froide caresse des flocons sur leur front. Ils sont séparés par des milliers de kilomètres. Et ils sont très proches l’un de l’autre, à la distance de la buée de leur respiration. » (P.238)
« La folie des patients lui paraissait bien plus raisonnable que la société qui les avait internés » ( P.262)
« La vie de Vorski s’est confondu avec le passé meurtri du pays: guerres, camps, infinie fragilité de tout lien entre deux êtres. Une vie héroïque, une vie sacrifiée. »(P.276)
« Il sait désormais que les seuls mots dignes d’être écrits surgissent quand la parole est impossible » (P.288)