« 1984 » – Georges Orwell

1984Jeune lecteur dévorant tout ce qui lui passait entre les mains, j’ai lu comme beaucoup 1984…Et près de cinquante ans après j’ai éprouvé le besoin, ce qui est assez rare en ce qui me concerne, de le relire avec le recul de l’adulte dans le dernier quart de sa vie…et j’avoue que mon regard a été tout autre,…un regard s’appuyant sur les actualités, les événements historiques, politiques, culturels, les mutations technologiques qui se sont déroulées au cours de ma vie, Cambodge, Dictateurs africains, Talibans et Daesh, Prague, Varsovie, Cuba, les écrans télé, Internet, nos smartphones, les cameras de surveillance dans nos rues….la liste est longue..Et j’en oublie.A 16 ans je ne pouvais l’imaginer….J’en avais gardé un souvenir, il est bon d’actualiser ce souvenir…on découvre alors avec un regard marqué par les actualités vécues, et un regard d’adulte, toute la pertinence, toute la lucidité, tout le travail de réflexion et d’anticipation réalisé par George Orwell.

En 1984, le monde est composé de trois blocs principaux, tour à tous alliés ou ennemis, Océania, Eurasia, et Estasia. Ce partage du monde s’est mis en place après les guerres nucléaires des années 50. Londres sert de cadre au roman, et de cadre de vie au personnage central Winston, petit fonctionnaire, petit rouage du système.  

Oceania est dirigée par un homme, Big Brother, personne ne l’a jamais vu, on ne sait pas où il vit, on connait seulement seul son portrait, affiché partobIG BROTHERut, son regard perçant surveille tout le monde…il ressemble bizarrement au petit père Staline. Existe-t-il réellement?  Le slogan affiché  partout « Big Brother is watching you ! » – « Big Brother vous regarde »-, est le slogan symbolique du  régime. De nos jours quand on parle de Big Brother, on imagine un ordinateur géant, ce n’est pas le cas dans le livre.

Tout le monde est surveillé, l’État organise la vie et l’emploi du temps de chacun, du lever au coucher, dont celle de Winston cet agent de l’État, la Haine est un moteur de la vie : Chacun doit, chaque jour, écouter à la radio les deux « minutes de la Haine » au cours desquelles sont critiquées les pensées du leader d’opposition  « Emmanuel Godstein »,-…seule référence raciste dans le livre –  qui chercherait à déstabiliser le pays. Heureusement chaque jour ses espions et les saboteurs à ses ordres sont démasqués par la Police de la Pensée.

La vie est organisée autour de trois maximes :  »  La guerre c’est la paix « ,  »  La liberté c’est l’esclavage « ,  »  L’ignorance c’est la force « . Trois beaux thèmes de dissertation de philo.

L’administration d’Oceania est organisée autour de quatre ministères – le « Ministère de la vérité  » : ayant pour charge les divertissements, l’information, l’éducation, les beaux arts – Le « Ministère de la paix  » qui s’occupe de la guerre – le « Ministère de l’Amour  » en charge  du respect de la loi et de l’ordre….et de la torture – le « Ministère de l’Abondance  » gérant les aspects économiques.

La population quant à elle est répartie en trois classes – Les dirigeants appartiennent au « Parti intérieur« , les subalternes au « Parti extérieur » et  « les prolétaires » regroupent les ouvriers et les travailleurs et le reste du peuple…Ces derniers vivent à l’écart dans des taudis. « Comme l’exprimait le slogan du Parti : «Les prolétaires et les animaux sont libres» »

Winston travaille au Ministère de la Vérité et a pour mission de réécrire l’histoire…Dès qu’une personne tombe en disgrâce, elle est « vaporisée  » par le système, son nom est effacé de toutes le références de l’Histoire, les journaux sont réécrits, les photos sont retouchées… Il trafique également les chiffres statistiques, les prévisions doivent en effet coller à la réalité…Grâce à lui le Parti pourra annoncer que les prévisions de fabrication de lacets de chaussures, ont été réalisées à plus de 98%. Tous auront ainsi la confirmation que le Parti et son leader Brig Brother ne se trompent jamais. Des  clins d’œil évidents, pleins d’humour, à l’organisation,  aux manipulations des chiffres du plan soviétique, aux trucages photographiques staliniens, mais pas seulement..

Même le langage est réécrit, l’Ancilangue est remplacée par la Novlangue qui simplifiera tout. Des mots seront abandonnés, verbes adverbes, adjectifs seront remplacés par un seul concept, « mauvais » deviendra « Inbon  » et meilleur deviendra « Plusbon« ….

Winston, appartient au Parti extérieur…il en porte l’uniforme. Il  n’est pas heureux, mais connaîtra quelques temps l’amour avec Julia.

Winston sera cependant arrêté et torturé jusqu’à ce qu’il admette que la seule vérité est celle écrite par le Parti, et non la réalité historique dont il se souvient, ou celle qui se voit

Personne ne peut dire que le régime soviétique et stalinien est seul visé par ce roman d’anticipation ….d’autres sont concernés par ces pendaisons de masse auxquelles toute la population doit assister…Qui n’a pas entendu un homme politique revenir avec force et conviction sur des paroles ou des actes anciens….Réforme de la langue, imposée par un ministère….tiens tiens…..-« Référentiels bondissants » ou « nénufars »- Même nos démocraties ne sont pas épargnées  : Surveillance de chacun par les caméras, géolocalisation (dont Orwell ne parle pas) et cerise sur la gâteau  » Il existait toute une suite de départements spéciaux qui s’occupaient, pour les prolétaires, de littérature, de musique, de théâtre et, en général, de délassements. Là, on produisait des journaux stupides qui ne traitaient presque entièrement que de sport, de crime et d’astrologie, de petits romans à cinq francs, des films juteux de sexualité, des chansons sentimentales composées par des moyens entièrement mécaniques sur un genre de kaléidoscope spécial appelé versificateur » (P. 62)…Ouf…ça se passait en Oceania…

Totalitarisme, pensée unique, dérives et prolifération de la technocratie, information de masse, politique des blocs sont autant de dérives montrées du doigt par Orwell. Il y a 70 ans quand il a été écrit, ou 50 ans quand je l’ai lu ces écrits pouvaient passer pour une certaine forme de politique fiction…

Chaque nouvelle lecture de ce roman écrit en 1948, il y a presque 70 ans délivrera de nouveaux messages mais nous confirme tout le talent, toute la réflexion, toute la capacité d’anticipation de l’auteur

Et aujourd’hui les meilleurs esprits sont vaincus par des ordinateurs…

Quel est l’auteur de 2016 qui sera l’Orwell de 2084? 


Connaitre George Orwell


Quelques extraits

  • ‌ »Rien n’était illégal puisqu’il n’y avait plus de lois » (P. 17)
  • « De toute façon, la Police de la Pensée ne le raterait pas. Il avait perpétré – et aurait perpétré, même s’il n’avait jamais posé la plume sur le papier – le crime fondamental qui contenait tous les autres. Crime par la pensée, disait-on. Le crime par la pensée n’était pas de ceux que l’on peut éternellement dissimuler. On pouvait ruser avec succès pendant un certain temps, même pendant des années, mais tôt ou tard, c’était forcé, ils vous avaient. » (P. 31)
  • « Il était presque normal que des gens de plus de trente ans aient peur de leurs enfants » (P. 38) 
  • « Son esprit s’échappa vers le labyrinthe de le double-pensée. Connaître et ne pas connaître. En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes les deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le parti est gardien de la démocratie. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout appliquer le même processus au processus lui-même. Là tait l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot «double pensée» impliquait l’emploi de la double pensée » (P. 51) 
  • « L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire. Le changement effectué, il n’aurait été possible en aucun cas de prouver qu’il y avait eu falsification. » (P. 58)
  • « Comment pourrait-il y avoir une devise comme «la liberté c’est l’esclavage» alors que le concept même de la liberté aura été aboli. Le climat total de la pensée sera autre. En fait, il n’y a aura pas de pensée telle que nous le comprenons maintenant. Orthodoxie signifie non pensant, qui n’a pas besoin de pensée. L’orthodoxie, c’est l’inconscience » (P. 75)
  • « Le danger le plus grand était celui de parler en dormant » (P. 90)
  • « Le Parti essayait de tuer l’instinct sexuel ou s’il ne pouvait le tuer, de le dénaturer ou de la salir [……] Le Parti ne permettait pas le divorce, mais il encourageait plutôt les séparations lorsqu’il n’y avait pas d’enfant. » (P. 92)
  • « Il y avait tout un État dans l’Etat, fait de voleurs, de bandits, de prostituées, de marchands de drogue, de hors la loi de toute sorte, mais comme cela se passait entre prolétaires, cela n’avait aucune importance. Pour toutes les questions de morale, on leur permettait de suivre leur code ancestral. Le puritanisme sexuel du Parti ne leur était pas imposé. L’inversion sexuelle n’était pas punie, le divorce était autorisé. Entre parenthèses, la dévotion religieuse aurait été autorisée si les prolétaires avaient manifesté par le moindre signe qu’ils la désiraient ou en avaient besoin. Ils étaient au dessus de toute suspicion. Comme l’exprimait le slogan du Parti : «Les prolétaires et les animaux sont libres»  » (P. 100)
  • « Il se pouvait fort bien que littéralement tous les mots des livres d’histoire, même ce que l’on acceptait sans discussion, soient purement fantaisistes […..] Tout se perdait dans le brouillard. Le passé était raturé, la rature oubliée, et le mensonge devenait réalité » (P. 104)
  • « A une certaine époque, c’était un signe de folie que de croire aux révolutions de la terre autour du soleil. Aujourd’hui la folie était de croire que le passé était immuable. Peut-être était-il le seul à avoir cette croyance. S’il était le seul, il était donc fou. Mais la pensée d’être fou ne le troublait pas beaucoup. L’horreur était qu’il se pouvait qu’il se trompât » (P. 110)
  • « La mémoire était défaillante et les documents falsifiés, la prétention du Parti à avoir amélioré les conditions de la vie humaine devait alors être acceptée, car il n’existait pas et ne pourrait jamais exister de modèle à quoi comparer les conditions de vie actuelle. » (P. 127)
  • « L’impulsion sexuelle était dangereuse pour le Parti et le Parti l’avait détournée à son profit. Il avait joué le même jeu avec l’instinct paternel. Le famille ne pouvait être réellement abolie et, en vérité, on encourageait les gens à aimer leurs enfants presque à la manière d’autrefois. D’autre part, on poussait systématiquement les enfants contre leurs parents. On leur apprenait à les espionner et à rapporter leurs écarts. La famille, en fait était devenue une extension de la Police de la Pensée. C’était un stratagème grâce auquel tous, nuit et jour, étaient entourés d’espions qui les connaissaient intimement » (P. 179-80)
  • « Te rends-tu compte que le passé à été aboli jusqu’à hier ? S’il survit quelque part, c’est dans quelques objets auxquels n’est attaché aucun mot, comme ce bloc de verre sur la table. Déjà, nous ne savons littéralement presque rien de la Révolution et des années qui la précédèrent. Tous les documents ont été détruits ou falsifiés, tous les livres récrits, tous les tableaux repeints. Toutes les statues, les rues, les édifices, ont changé de nom, toutes les dates ont été modifiées. Et le processus continue tous les jours, à chaque minute. L’histoire s’est arrêtée. Rien n’existe qu’un présent éternel dans lequel le Parti à toujours raison. Je sais naturellement que le passé est falsifié, mais il me serait impossible de le prouver, alors même que j’ai procédé personnellement à la falsification. La chose faite, aucune preuve ne subsiste. Le seule preuve est à l’intérieur de mon cerveau et je n’ai aucune certitude qu’un autre être humain quelconque partage mes souvenirs. De toute ma vie, il ne m’est arrivé qu’une seule fois de tenir la preuve réelle et concrète. Des années après. » (P. 208)
  • « Ils pouvaient vous espionner jour et nuit, mais si l’on ne perdait pas la tête, on pouvait les déjouer. Malgré toute leur intelligence, ils ne s’étaient jamais rendus maître du secret qui permettrait de découvrir ce que pense un autre homme. Peut-être cela était-il moins vrai quand on se trouvait entre leurs mains. On ne savait pas ce qui se passait au ministère de l’Amour, mais on pouvait le deviner ; tortures, drogues, enregistrement des réactions nerveuses par des appareils sensibles, usure graduelle de la résistance par le manque de sommeil, la solitude et les interrogatoires continuels. Les faits, en tout cas, ne peuvent être dissimulés. Ils étaient découverts par des enquêtes, on vous en arrachait l’aveu par la torture » (P. 223)
  • « Les meilleurs livres sont ceux qui racontent ce que l’on sait déjà » (P. 266)
  • « Toutes les confessions faites ici sont exactes. Nous les rendons exactes et, surtout nous ne permettrons pas aux morts de se lever contre nous. Vous devez cesser d’imaginer que la postérité vous vengera, Winston. La postérité n’entendra jamais parler de vous. Vous serez gazéifié et versé dans la stratosphère. Rien ne restera de vous, pas un nom sur un registre, pas un souvenir dans un cerveau vivant. Vous serez annihilé dans le passé comme dans le futur. Vous n’aurez jamais existé » (P. 337)
  • « Ce qui vous arrive ici vous marquera pour toujours. Comprenez le d’avance. Nous allons vous écraser jusqu’au point où il n’y a pas de retour. Vous ne guérirez jamais de ce qui vous arrivera, dussiez vous vivre un millier d’années. Jamais plus vous ne serez capable de sentiments humains ordinaires. Tout sera mort en vous. Vous ne serez plus jamais capable d’amour, d’amitié, de joie de vivre, de rire, de curiosité, de courage, d’intégrité. Vous serez creux. Nous allons vous presser jusqu’à ce que vous soyez vide puis nous vous emplirons de nous-mêmes » (P. 339)
  • « Le Parti recherche le pouvoir pour le pouvoir, exclusivement pour le pouvoir. Le bien des autres ne l’intéresse pas. Il ne recherche ni la richesse, ni le luxe, ni une longue vie, ni le bonheur. Il ne recherche que le pouvoir. Le pur pouvoir. Ce que signifie pouvoir pur, voie le comprendrez tout de suite. Nous différons de toutes les oligarchies du passé en ce que nous savons ce que nous voulons. Toutes les autres, même celles qui nous ressemblent, étaient des poltronnes et des hypocrites.  Les nazis germains et les communistes russes se rapprochent beaucoup de nous par leur méthode, mais ils n’eurent jamais le courage de reconnaître leurs propres motifs. Ils prétendaient, peut-être même,le croyaient-ils, ne s’être emparés du pouvoir qu’à contrecœur, et seulement pour une durée limitée, et que, passé le point critique, il y aurait tout de suite un paradis où les hommes seraient libres et égaux.  Nous ne sommes pas ainsi. Nous savons que jamais personne ne s’empare du pouvoir avec l’intention d’y renoncer. Le pouvoir n’est pas un moyen, il est une fin. On n’établit pas une dictature pour sauver une révolution. On fait une révolution pour établir une dictature. La persécution à pour objet la persécution. La torture a pour objet la torture. Le pouvoir a pour objet le pouvoir. Commencez-vous maintenant à me comprendre. »  ( P. 348)
  • « Il soumettait à son esprit des propositions : « Le Parti dit que la terre est plate », « Le Parti dit que la glace est plus lourde que l’eau » et s’entraînait à ne pas voir ou ne pas comprendre les arguments qui les contredisaient. Ce n’était pas facile. Il fallait un grand pouvoir de raisonnement et d’improvisation. Les problèmes arithmétiques qui découlaient d’un axiome comme « deux et deux font cinq » étaient hors de la portée de son intelligence. Il fallait aussi une forme d’athlétisme de l’esprit, le pouvoir tantôt de faire l’usage le plus délicat de la logique, tantôt d’être inconscient des erreurs de logique les plus grossières. La stupidité était aussi nécessaire que l’intelligence et aussi difficile à atteindre » (P. 367)

 

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