
Gustave Meyer, personnage principal du livre, est un grand maître d’échecs, qui grâce à sa mémoire phénoménale garde en tête toutes les parties qu’il a jouées, mais aussi d’autres parties jouées par des personnages célèbres..Il ne vit et ne pense que par les échecs.
Son épouse, médecin anime un blog critique dans lequel elle met en évidences les dérives de la médecine. Elle est victime d’un accident inexpliqué, et Gustave Meyer devient aux yeux de la police le suspect idéal. Il est recherché par une femme, capitaine de police et aidé par une autre, sa fille. Il décide d’abandonner sa carte bleue, après avoir vidé une partie de son compte et son téléphone portable afin de ne pas être localisé et de changer son identité et son apparence…d’entrer en clandestinité. C’est le début d’un longue cavale qui lui fera traverser l’Europe.
Il est épileptique et a du subir une intervention chirurgicale au cours de laquelle, des électrodes, permettant de réguler ses problèmes neurologiques, ont été implantées sur son cerveau…Il découvrira que le chirurgien, son ami, a également fait de lui un être surnaturel, un monstre, ce golem doué d’une mémoire phénoménale..
La Mémoire, est alors le deuxième personnage de ce livre, mémoire humaine, mémoire informatique, prétextes dont se sert Pierre Assouline pour nous donner à réfléchir d’une part à son importance, d’autre part aux manipulations de tout type que certains envisagent pour créer des surhommes, une élite de golems à l’horizon 2045-2060. Le cerveau de l’homme le rend capable d’aimer l’art, de s’envoler face au tableau d’un peintre, capable de le faire voyager par la pensée, un cerveau confronté à la machine. Grâce à l’électronique, à des électrodes implantées sur le cerveau, sur les rétines, la science pourra à l’avenir créer des sur-hommes ayant à leur dispositions toutes la mémoire du monde, des soldats pouvant voir la nuit comme en plein jour…Science fiction, ou futur de la science? Nombreux sont les articles, que chacun pourra trouver sur la mémoire qu’est Internet pour confirmer l’intérêt de la science pour l’Intelligence Artificielle et le Transhumanisme.
Cette première partie du livre, mi roman-policier, mi-réflexion technique et philosophique est agréable, même si certaines situations sont un peu « tirées par les cheveux », trop rapides, trop superficielles …mais bon…..on a affaire à un sur-homme ! Et il faut abandonner le récit pour se plonger dans les idées, et j’ai été beaucoup plus attiré par les réflexions de l’auteur sur la mémoire et le cerveau que par le coté polar-surhomme, un peu trop série américaine à mon goût.
La deuxième partie du livre représentant un tiers environ du roman, est un long « devoir de mémoire » : Gustave Meyer va pour fuir, traverser des villes européennes, Vienne, Budapest, Lodz, Wroclaw Kaunas, Bucarest, Iasi, Prague…., visiter leurs synagogues ou ce qu’il en reste, en suivant un plan, calqué sur celui d’une partie d’échecs, l’occasion pour Pierre Assouline de rappeler au lecteur les souffrances, les persécutions du peuple juif, bien antérieures aux percutions nazies. Très documentée, voire trop précise cette deuxième partie du roman n’amène pas grand chose à l’intrigue policière, le lecteur se perd un peu dans les détails, de ces synagogues, de l’Histoire. On se demande comment la police arrive à suivre sa trace…une super fliquette très douée sans aucun doute ! Un dénouement un peu trop rapide..trop convenu d’avance
Je garderai de ce livre une impression mitigée : un coté Polar trop rapide, Pierre Assouline n’est pas un auteur de polar mais il a un don certain pour nous informer afin de nous faire réfléchir, pour nous proposer de suivre cette réflexion par d’autres lectures et un coté historique, certes intéressant, mais dont les détails n’apportent rien à l’histoire…un coté historique qui ne semble avoir qu’un seul objectif : n’oublions pas, gardons toujours à l’esprit la mémoire de l’Histoire.
Connaître Pierre Assouline
Quelques extraits
»Des personnes de toutes sortes et de toutes conditions que réunissaient leur qualité de solliciteuses. On les sentait prêtes à se jeter du haut de leur secrets. Certaines ne lisaient même pas. Même pas un vieux magazine. Le spectacle de gens capables de ne rien faire du tout pendant plus d’une demi-heure l’avait toujours stupéfié, surtout dans les trains ou les avions long-courriers dans lesquels ce néant absolu pouvait durer des heures. Ici leur regard ne se fixait sur rien. Il suintait l’ennui, cette araignée silencieuse. L’ennui et la sagesse. » (P. 17)
« Les médecins comprendront-ils jamais que rien n’est aussi difficile que de nommer ce qui ronge sourdement, que de mettre des mots sur l’innommable » (P. 21)
« Tous portaient une oreillette ou un casque […..] la musique leur permettait de mieux échapper à la conscience malheureuse en évitant le présent. Musique ou pas, dans le savoir, ils menaient une vie algorithmique, entièrement réglée par l’interaction des machines entre elles. Chacun de leurs gestes les rendait encore plus traçables ; plus ils se croyais libres d’envoyer des messages, plus ils aliénaient leur libre arbitre à leur insu » (P. 37)
« Un joueur d’échec, c’est quelqu’un qui se demande toujours pourquoi, après avoir enregistré le dernier mouvement de son adversaire et avant d’avancer une pièce » (P. 41)
« Il dit que tout est déjà dans la Bible et tout ce qui ne s’y trouve pas est dans Shakespeare les gens d’un seul livre sont toujours plus intolérants » (P. 48)
« Du genre à se sentir plus riche que les riches tout en ne possédant rien d’autre que ce quelque chose qu’ils n’auront jamais car l’argent ne peut l’acheter » (P. 60)
« Peut-être la compassion face à la présence des morts est-elle pour certains la seule manière de se sentir appartenir à la communauté des vivants » (P. 68)
« Les personnes qu’il avait croisées au mur des noms le hantaient déjà. Leur seule présence l’avaient confirmé dans l’idée qu’il pourrait tout dissimuler sauf son identité : il tenait à son nom autant que son nom le tenait. Tout renoncement vaudrait trahison » (P. 71)
« Fondamentalement, l’ordinateur et l’homme sont les deux opposés les plus intégraux qui existent. L’homme est lent, peu rigoureux et très intuitif. L’ordinateur est super rapide, très rigoureux et complètement con. On essaie de faire des programmes qui font une mitigation entre les deux. Le but est louable mais de là à y arriver » (P. 100)
« La mémoire de l’humanité ne risque-t-elle pas un jour d’être davantage contenue dans le silicium que dans les neurones » (P. 103)
« Un adolescent affale sur un pouf tripotait une console de jeux vidéo. Ivre de sa puissance, il avait le droit de vie sur des personnages et le droit de mort sur des avatars » (P. 106)
« Celui qui prend des risques peut perdre, celui qui n’en prend pas perd toujours » ( P. 143)
« Le grand maître d’échecs s’identifiait au grand peintre. Deux artistes en somme qui partageaient le même processus psychique en trois temps : d’abord s’entraîner, c’est à dire regarder en soi tout en conservant une attache avec la société ; puis se couper de tout et se laisser emporter par une frénésie intérieure qui mène aux confins avec la folie ; enfin abandonner avec regret cet état de grâce qui permet de titiller la transcendance pour affronter le monde des trafiquants. » (P. 162)
« De toute évidence, ces gens ignoraient qu’il faut toujours considérer un humain dans sa globalité si l’on veut tenir compte de l’essentiel à savoir le sentiment de soi » (P. 193)
« Au fond, ils participaient tous peu ou prou, malgré leurs différends d’un même idéologie dont les soubassements avaient quelque chose de religieux. Moins souffrir, moins vieillir, moins mourir. Leurs injonctions à la performance sonnaient comme des appels à une transcendance. Mais que pouvait-elle encore bien signifier dans leur bouche ? Quelle sombre défais de l’humanisme…On les eût dits secrètement ligués contre le poète qui promettait de tout faire pour que la réalité ne soit pas une oasis d’horreur dans un océan d’ennui. » (P. 196)
« On ne se perd jamais quand notre chemin tend vers ce que l’on ne connait pas » (P. 203)
« Le ghetto de Prague n’était plus qu’une attraction touristique depuis des années, mais comme tant d’autres, Gustave Meyer s’était enfermé dans son propre ghetto intérieur. A ceci près que le sien tenait dans les limites d’un échiquier » (P. 238)