« Petit piment » – Alain Mabanckou

petit pimentLes premières pages du livre, nous donnent un peu l’impression qu’Alain Mabanckou a souhaité écrire un roman léger, une farce pour faire sourire le lecteur….
Moïse est le surnom qui a été donné à ce gamin orphelin abandonné bébé, à la porte de l’orphelinat congolais par sa mère, surnom donné par ses copains parce que son nom trop long pour tenir sur un seul bracelet d’identification, est imprononçable, trop long à dire. Son nom traduit veut dire : « Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre des ancêtres » Alors Moïse est le seul gamin à porter deux bracelets sur lesquels son nom est partagé. Il aime le prêtre qui anime l’orphelinat, jusqu’au jour où ce dernier disparaît, éloigné de son orphelinat par la révolution socialiste. Là encore nous sourirons à la lecture de ces discours, des situations, des portraits. Plus tard, devenu héros de l’orphelinat Moïse deviendra « Petit piment » à la suite de l’un de ses méfaits.

Si Petit Piment avait été écrit par un auteur non africain, celui-ci aurait été certainement montré du doigt pour racisme, tant le trait aurait pu paraître parfois exagéré aux bien-pensants, tous les poncifs sur l’Afrique étant mis en avant. Mais on ne peut pas accuser Alain Mabanckou de cette tare, ni le soupçonner d’avoir souhaité écrire seulement une farce.
Non, ce livre est avant tout un livre témoignage, fait pour mettre en évidence, autour de la vie de Moïse, les faiblesses de l’Afrique, son passé, les tares de certains, celles issues du colonialisme, mais aussi le potentiel de l’Afrique noire. Et écrit par un auteur africain, ce témoignage en devient plus fort, plus dérangeant. Une Afrique tiraillée entre ses traditions ancestrales et le désir d’être un continent comme un autre, adoptant les règles et le mode de fonctionnement des autres.
Oui, il était traditionnel d’abandonner les enfants illégitimes, de connaitre des luttes ethniques, des luttes tribales. Oui, le racisme entre noirs existait, l’esclavage n’est pas le seul fait des blancs, il préexistait à leur arrivée. Oui, la religion occidentale, catholique peut causer des troubles, quand on est crédule et qu’on croit à la lettre les Écritures. Alors il ne faut pas s’étonner de cette violence, de ces nettoyages, de ces charniers camouflés derrière le discours de lutte contre la prostitution, de cet appauvrissement de certains, et de l’enrichissement d’autres.
Et derrière Moïse, gamin attachant malgré ses écarts, puis homme qui cherche sa voie, qui cherche à se faire une place dans sa petite ville, dans la société de son pays, un Moïse mal parti dans sa ville et dans la vie, ne faut-il pas y voir une certaine image de l’Afrique dans notre monde?
Une Afrique qui perd sa mémoire et en devient folle!

Plaisant et agréable, mais dérangeant aussi.

À lire en tout cas !


Connaître Alain Mabanckou


Quelques extraits
  • « Je m’inquiétais depuis que j’attendais le secours de Dieu, en particulier lorsque le directeur levait sa main sur nous et que le Tout-Puissant ne nous adressait aucun signe qui nous aurait rassurés » (P.19)
  • « Le rouge symbolisait la lutte menée pour l’indépendance de notre pays dans les années 1960 ; le vert,  la nature foisonnante et luxuriante de nos campagnes ; le jaune, l’ensemble de nos richesses naturelles que l’Europe n’avait cessé de voler et de piller jusqu’à notre émancipation. Quant à la joue et au marteau, ils nous exhortaient au travail, à l’activité manuelle tandis que l’étoile or nous rappelait la nécessité de regarder vers l’avenir et de traquer continuellement les ennemis de la Révolution, y compris ceux qui vivaient dans le pays, avaient la même couleur de peau que nous et que nous qualifions de « valets locaux de l’impérialisme ». D’après lui ils étaient les plus dangereux de nos adversaires car comment les détecter s’ils se fondaient dans la masse pour nous ronger de l’intérieur. Et dans l’orphelinat il y avait des valets locaux de l’impérialisme » (P. 34)
  • « Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés : lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible » (P.35)
  • « Le président de la République était invincible et nous avait été envoyé par nos ancêtres bantous. Sa geste était l’une des plus extraordinaires du continent noir car pendant son adolescence, son premier acte de bravoure fut d’attraper un crocodile par la queue au bord du fleuve Kouyou, de l’endormir par une gifle et de le ramener vivant chez grand-mère Maman Bowoulé afin que celle-ci nourrisse le village entier avec cette viande. Pendant que notre futur Président devenait la terreur des crocodiles qui n’osaient plus sortir de l’eau pour respirer sur la rive à cause de la présence permanente du gamin surdoué dans les parages, ses camarade réussissaient à peine à capturer des rats palmistes dans les champs de leurs parents ou à chasser des moineaux à l’aide des lance-pierres qui n’auraient même pas cassé une patte à une mouche tsé-tsé. Notre président avait ainsi, dès son bas âge, le soucis de la communauté et le sens du sacrifice. Il discutait avec les gorilles des montagnes, protégeait les éléphants contre les braconniers et parlait la langue des Pygmées qu’il n’avait pourtant jamais apprise. »  (P. 45)
  • « Vous voyez, nous avons parfois été vendus par les nôtres, et si un jour vous croisez un noir américain, dites-vous qu’il pourrait être un membre de votre famille. » (P. 53)
  • « Elle voulait avoir un enfant clair parce que cela représentait à l’époque une sorte de supériorité, c’était bête, mais c’était une part de notre complexe vis à vis des Blancs, tout ce qui était blanc était meilleur, tout ce qui était noir était maudit, sans avenir, sans lendemain … » (P. 94)
  • « Pour ma part, je ne comprenais pas pourquoi on avait pu abandonner un garçon. C’était un peu différent de ce qui se passait dans l’Orphelinat des  filles de Loandjili où, comme je te le disais, seules des filles étaient retrouvées devant la porte de l’établissement parce qu’une vraie famille devait d’abord avoir un fils. » (P. 103)
  • « Tu ne seras plus ni Robin des bois, ni Robin le terrible, c’est fini ! Tu ne seras pas non plus Petit Jean, parce que nous avons notre Petit Jean, mais nous l’appellerons « Petit Piment » parce qu’il a fait ses preuves avec du piment, et toi tu ne seras qu’un membre de la bande parmi les autres. » (P. 151)
  • « Alors n’ouvre ta bouche que lorsque ce que tu dis est plus beau que le silence, merde ! Je connais ma loi, puisque c’est la loi à moi et que la loi c’est moi ! » (P. 184)
  • « Les troubles de mémoire modifiaient mon allure et […] je marchais en zigzaguant parce que, comment aurais-je encore pu me souvenir que la ligne droite était le plus court chemin qui menait d’un point un autre et que, comme on dit ici, c’est à cause de cette règle que les ivrognes arrivent toujours en retard chez eux? » (P. 215)
  • « – Donc, tu ne sais pas d’où tu viens, c’est ça ?
    – Oui, c’est ça 
    – Par contre, tu te souviens bien que tu ne sais pas d’où tu viens ? » (P. 221)

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