« Le crayon du charpentier » – Manuel Rivas

Le Crayon du charpentierLa guerre d’Espagne est finie depuis bien longtemps, Sousa, le journaliste rencontre le Docteur Da Barca afin de recueillir les mémoire du vieil homme. Il était un rouge indomptable, il a été condamné à mort , puis gracié mais est resté longtemps emprisonné : « Avec tout le temps qu’il avait passé comme dirigeant républicain et avec tout le temps qu’il avait croupi en prison, Da Barca était devenu une véritable archive vivante. Il avait tout dans la tête. Ses textes contenaient des témoignages décrivant la répression en prison… »

Une guerre, bien moins présente dans la littérature que les deux guerres mondiales. Et pourtant également à notre porte. 
Trois personnages principaux mêlent leurs voix, le docteur, prisonnier politique, puis Herbal, jeune phalangiste gardien de prison. Il sera l’un de ces « Paseadores » : ces « promeneurs » franquistes qui organisent pour les prisonniers des promenades sinistres une fois la nuit tombée, promenades dont ces derniers ne reviennent pas, promenades qui cachent des exécutions sommaires souvent précédées de tortures. Au cours de l’une d’elle, Herbal tire une balle dans la tête d’un peintre, et conserve sur lui le gros crayon rouge qu’il utilisait, ancienne propriété d’un autre prisonnier également exécuté, un charpentier.
Ce peintre dessinait de tête le porche d’une église,  la Gloire de Saint-Jacques de Compostelle, et remplaçait les visages des saints par ceux de ses compagnons de captivité.
Et enfin un troisième personnage, qui parle par l’intermédiaire de son crayon: le peintre. Chaque fois qu’Herbal porte le crayon sur l’oreille, il entend les remarques venues d’outre-tombe du peintre qui lui tire l’oreille : « Fais attention à ce qui est en train de se passer ! « . Une forme de conscience qui le hante, qui le rend fou, et qui lui fait remarquer les turpitudes de ses actes.
Une construction poétique pour décrire le coté sordide de cette guerre, mais aussi des mots durs pour décrire les ignominies des phalangistes, les exécutions de masse, ces prisons dans lesquelles on pouvait croupir des années, souffrir de maladies respiratoires, être torturé pendant des jours et des jours, parce qu’on avait blasphémé l’Église, plaisanté sur Franco, ou simplement parce qu’on avait été dénoncé par un voisin,  ou parce qu’on était seulement un humaniste. Une Espagne de charniers et de suspicion.    
Sur fond de grande Histoire, une petite histoire d’amour et de jalousie : le docteur homme de paix, instruit, amateur de football, aidant les autres prisonniers, résistant au grand cœur, aime et est aimé par Marisa, le bourreau vainqueur qui incarne cette nouvelle Espagne de mort et de haine hait, quant à lui le docteur, et aimerait tant être aimé par Marisa !
En faisant dialoguer morts et vivants, en passant d’une prison noire et humide au soleil de l’Espagne, de la turpitude du bourreau, à l’humanisme du médecin fin d’esprit et disponible pour les autres  et au regard du peintre, Manuel Rivas m’a fait encore mieux découvrir cette période noire de l’Histoire de l’Espagne

Une belle découverte littéraire, et une période historique à mieux connaître grâce aux livres pour la comprendre


Qui est Manuel Rivas


Quelques extraits
  • « Le seul intérêt des frontières ce sont les passages clandestins. Les antagonismes provoqués par une ligne imaginaire tracée un jour dans son lit par un roi simplet, ou dessinée par les puissants sur un tapis de poker, sont absolument terribles. » (P. 15)
  • « Voilà exactement ce que j’ai éprouvé avec le peintre. J’avais déjà commis de nombreuses atrocités, mais, lorsque je me suis retrouvé devant lui, j’ai marmonné en moi-même que j’étais désolé, que j’aurais préféré ne pas avoir à le faire. J’ignore de qu’il s’est dit, lui, lorsque son regarda croisé le mien, juste avant cette détonation humide dans la nuit,mais je préfère penser qu’il avait compris, qu’il avait deviné que je faisais ça pour lui éviter des soucis. Sans plus, sans autre cérémonie, j’avais pointé le canon du pistolet sur sa tempe et je lui avais fait exploser la tête. Puis je l’étais souvenu du crayon  le crayon qu’il avait mis sur son oreille. Ce crayon-ci. » (P. 23)
  • « Ils mirent eux-mêmes en place des mesures d’hygiène et se chargèrent de la distribution de la nourriture. Conjointement à l’horaire officiel, ils avaient établi un emploi du temps non écrit, grâce auquel les activités quotidiennes s’harmonisaient. Les tâches furent distribuées avec un tel sens de l’organisation et de l’efficacité que de nombreux prisonniers de droit commun demandèrent de l’aide aux prisonniers politiques. Un gouvernement de l’ombre, c’est le cas de le dire, se cachait derrière les barreaux de la prison, un Parlement dotée d’une véritable assemblée ainsi que de plusieurs juges de paix. Et aussi une école où l’on pouvait appendre les humanités, un bureau de tabac, une caisse commune servant de mutuelle et même un hôpital. » (P. 72)
  • « L’heure préférée du peintre, pour rendre visite à la tête du garde civil Herbal était, on ne sait pourquoi, l’heure du crépuscule. Il se posait doucement sur son oreille, comme le crayon d’un charpentier. » (P. 84)
  • « L’aumônier lutte le télégramme que le pape Pie XII venait d’envoyer à Franco le 31 mars : «Je rends grâce à Dieu et je remercie sincèrement Votre Excellence pour avoir contribué à la victoire de l’Espagne catholique.» » (P. 97)
  • « On pouvait lire chaque défaite sur le visage des prisonniers comme autant de rides, comme autant de couronnes mortuaires au fond des yeux, dans la lenteur de la démarche, dans le manque d’hygiène personnelle. Bombardés de mauvaises nouvelles, les prisonniers étaient aussi harassés qu’un bataillon de soldats vaincus, ils se traînaient le long des couloirs et dans la cour. Les maladies et les épidémies firent à nouveau leur apparition avec toujours plus de violence, les virus étaient à nouveau prêts à entrer en action dans l’épaisse consistance des miasmes. » (P. 98-9)
  • « La couleur rouge est interdite… » (P. 99) 
  • « La pire des maladies que nous puissions contracter, c’est la suppression de la conscience de ce qui nous entoure. » (P. 139)
  •  » Les meilleurs artistes galiciens sont morts très jeunes, lui avait dit le peintre. En Galice, la faux adore les artistes, Herbal. Si c’est vraiment ce que tu as, dis toi bien que c’est une maladie très célèbre. » (P. 143)
  • « Mais je vais vous dire quelque chose, mère Izarne, si Dieu existe, c’est un être schizoïde, une espèce de Docteur Jekyll et Mister Hyde. Et vous êtes sur le bord qui convient par rapport à lui : à sa droite. » (P. 154)

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