« Une histoire d’amour et de ténèbres » – Amos Oz

Une histoire d'amour et de ténèbresUn homme passionnant, un auteur majeur de la littérature israélienne nous livre l’histoire de sa vie et celle de sa famille. Une histoire familiale pas banale qui se mêle avec la grande Histoire de l’État d’Israël, et avec celle de la Littérature.
Trois histoires intimement imbriquées 

Histoire tout d’abord de familles, paternelles et maternelles qui quittèrent l’Europe centrale et la Russie dès le début du XXème siècle pour certains et, pour d’autres, afin de fuir les menaces staliniennes et nazies. Deux régimes qu’Amos Oz met dans le même sac. Certains cousins, moins chanceux perdirent leur vie dans cette Shoah par balles. Quant à lui, il naquit en Israël en 1939…Une histoire familiale rattrapée et bousculée par la Grande histoire. Amos Oz nous fait partager les grands et petits moments de ses familles paternelles et maternelles, avant leur arrivée en Israël ainsi que son histoire,  enfant puis celle de l’adolescent, dont le père ne partageait pas les idées. Il voulait vivre dans un Kibboutz, son père lui avait prévu un autre destin, plus digne de ses capacités. Des conditions de vie familiale spartiates, un petit appartement sombre, une cour toujours à l’ombre au sol dur et stérile où même les radis refusaient de pousser. Un père intellectuel et une mère au foyer mélancolique et dépressive qui disparaîtra bien trop tôt. Deux êtres simples et aimant qui ont transmis à Amos Oz sa simplicité humaine et un amour certain des autres. 
Histoire politique d’un pays ensuite, qui nous permet d’assister aux premiers pas de l’État d’Israël, de côtoyer aussi bien bien les leaders sionistes que les combattants de 1947, Ben Gourion et Begin, que son père rencontrait et avec lesquels Amos  eut également le plaisir d’échanger des idées. Il eu même l’honneur, alors qu’il effectuait son service militaire, d’être reçu en tête à tête par Ben Gourion. L’histoire d’un pays qui créa son propre modèle social et socialiste, les kibboutz. Les informations sont nombreuses, Cette histoire est aussi une partie de celle de la Pologne, de la Russie, de l’Angleterre, des pays Arabes. Cette Histoire est aussi celle de ces milliers de réfugiés, homme et femmes d’origines géographiques et de langues diverses. Des réfugiés qui fondaient de grands espoirs parfois déçus, mais qui très vite devinrent un peuple uni qui se battra pour son autonomie et pour créer un pays. 
Histoire de la littérature, de la culture enfin. « Papa lisait seize ou dix-sept langues et en parlait onze (avec l’accent russe). Maman en parlait quatre ou cinq et en lisait sept ou huit. Ils discutaient en russe et en polonais quand ils ne voulaient pas que je comprenne (ce qui était presque toujours le cas). [….] Pour la culture, ils lisaient surtout en allemand et en anglais, et rêvaient probablement en yiddish. Mais à moi, ils n’enseignaient que l’hébreu : peut-être craignaient-ils que je succombe à mon tour au charme de la belle et fatale Europe si j’en connaissais les langues. » (P. 11). Son grand-oncle paternel Yosef Klausner était professeur d’université et fut l’un des leaders sioniste. Cette proximité avec eux détermina en partie la vocation littéraire du jeune Amos. Très tôt il aima et dévora les livres. Parmi les relations de son père et sont grand-oncle paternel figurait Shmuel Yosef Agnon, connu sous l’acronyme Shai Agnon. Écrivain israélien, il fut le premier écrivain de langue hébraïque à remporter le Prix Nobel de littérature. C’était en 1966. Il fut aussi l’un des premiers à lire les textes du jeune auteur Amos OZ et à lui donner son avis. 
Trois histoires qui se mêlent et s’imbriquent étroitement, trois histoires qui m’ont passionné.
Un livre dense, pas toujours facile à lire et à suivre, l’auteur jonglant avec les périodes, les retours en arrières..près de 870 pages riches qu’on ne lira pas d’un trait et dans lesquelles on se perd parfois. Des pages d’un destin pas banal et d’amour d’un homme pour sa mère trop tôt perdue par son état dépressif, d’amour d’un israélien pour son pays, sa culture, son peuple et d’amour d’un auteur pour les livres et la Littérature.

Des pages d’émotions, de détails, de réflexions. Une belle leçon de vie et d’Histoire


Connaitre Amos Oz


Quelques extraits
  • « Là-bas, dans le monde, les murs étaient couverts de graffitis haineux : « Sale youpin, va-t-en en Palestine », alors nous sommes allés en Palestine et aujourd’hui, le monde entier nous crie : « Sale youpin, va-t-en de Palestine. » (P. 14)
  • « Je n’avais pas été surpris d’apprendre qu’il était poète : à l’époque, quasiment tout le monde, à Jérusalem, était poète, écrivain, chercheur, penseur, savant ou réformateur. Le titre de docteur ne m’impressionnait pas : les hôtes de mon grand-oncle Yosef et de ma grand-tante Tsippora éteint tous professeurs ou docteurs » (P. 71)
  • « ….tout Jerusalem s’entassait dans une pièce et demie ou deux pièces, une simple cloison séparant deux familles rivales,… » (P. 97)
  • « …notre siècle avait subi la botte de deux bouchers assassins, ce fils de cordonnier géorgien qui vivait au Kremlin, et ce fou, cette ordure qui avait régné sur le pays de Goethe, Schiller et Kant. »(P. 100)
  • « Et sache que les accusateurs sont les Juifs d’hier aux idées courtes et à l’entendement limité, de misérables vers de terre. Et toi, mon cher petit, afin de ne pas leur ressembler, le ciel nous en préserve, tu dois lire les bons ouvrages, lire, lire et encore lire. À propos, mon opuscule sur David Shimoni, le poète, le l’ai offert à ton cher papa à condition que tu le lises aussi. Tu dois lire, lire et encore lire ! » (P. 120)
  • « Et la paix ? N’y a-t-il pas moyen de faire la paix? 
    Si : vaincre nos ennemis. Il est impératif de leur mettre un grand coup dans les gencives pour qu’ils nous supplient de faire la paix. » (P. 183)
  • « Mais qu’est-ce qu’on vous faisait exactement ? Avais-je demandé à papa. Quel genre de brimades ? On vois battait ? On déchirait vos notes ? Et pourquoi vous ne portiez pas plainte ? 
    Tu ne peux pas comprendre. Et c’est tant mieux au fond … » (P. 185)
  • « Aujourd’hui, je pense que les grands sentiments ce n’est pas l’essentiel dans la vie. Au contraire. Les sentiments, c’est comme une meule de foin en feu : ca brûlé un moment, et puis il ne reste que la suie et de la cendre. Sais-tu ce qui importe ? Ce qu’une femme recherche chez un homme ? C’est une qualité qui n’a rie d’époustouflant mais qui peut être plus précieuse que l’or : la droiture. Et peut-être la générosité aussi. Aujourd’hui, tu sais, j’attache plus d’importance à la droiture qu’à la générosité : la droiture c’est le morceau de pain. La générosité, c’est le beurre. Ou le miel. » (P. 277)
  • « Dieu a donné le plaisir aux hommes et à nous, la punition. A l’homme il a dit « tu mangeras  ton pain à la sueur de ton front » ce qui est une récompense et non un châtiment, privez un homme de son travail et il devient complètement fou, quant à nous les femmes, Il a bien voulu nous faire sentir de près la sueur du front des hommes, ce qui est un minuscule plaisir, et Il nous a accordé aussi « Tu enfanteras dans la douleur ». Je sais bien qu’il est possible d’envisager les choses d’une autre manière. » (P. 300)
  • « C’était comme ça dans les familles juives : elles croyaient que les études étaient une sécurité pour l’avenir, la seule chose qu’on ne pourrait jamais enlever à leurs enfants, même s’il avait une autre guerre, le ciel nous en préserve, une autre révolution, une autre émigration ou de nouvelles persécutions – le diplôme, on pouvait toujours le plier en vitesse, et le cacher dans la couture d’un vêtement avant de prendre la fuite là où les Juifs trouvaient asile. » (P. 305)
  • « Le diplôme c’est la religion des Juifs. » (P. 305)
  • « ….aujourd’hui, je trouve que les voyages sont une stupidité : le seul voyage dont on ne revient pas toujours les mains vides est intérieur. Là, il n’y a ni frontière ni douane, et on peut même atteindre les planètes les plus lointaines. On peut aussi flâner dans des endroits qui n’existent plus, rendre visite à des gens qui ne sont plus. On pourrait d’ailleurs se rendre dans des lieux qui n’existent pas et ne pourraient jamais exister, mais où l’on est bien. » (P. 339)
  •  « Et c’est ainsi qu’inconsciemment, à l’âge de quatre ou cinq ans, j’étais devenu un petit prétentieux auquel ses parents et le monde des adultes accordaient toutes les garanties et faisaient largement crédit. » (P. 424) 
  • « Les pires conflits entre les individus ou entre les peuples opposent souvent des opprimés. C’est une idées romanesque largement répandue que d’imaginer que les persécutés se serrent les coudes et agissent comme un seul homme pour combattre le tyran despotique. En réalité, deux enfants martyrs ne sont pas forcément solidaires et leur destin commun ne les rapproche pas nécessairement. Souvent ils ne se considèrent pas comme compagnons d’infortune, mais chacun voit en l’autre l’image terrifiante de leur bourreau commun. Il en va ainsi entre les Arabes et les Juifs depuis un siècle. » (P. 564)

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