
Un livre sur la Shoah ? Non, il se refuse de décrire la Shoah « J’ai essayé plusieurs fois de raconter tout cela sur un ton documentaire, mais chaque tentative se soldait par un échec. Tout simplement parce que ce que j’ai vécu n’est pas… croyable. Vous ne pouvez pas exprimer la peur et l’angoisse d’un enfant sans utiliser des métaphores. Il m’a fallu, pour rendre à mon histoire sa crédibilité, rompre avec le récit logique, passer par la fiction et me détacher de mes souvenirs ».
…Mais il m’a fait découvrir «l’enclos Keffer» …horrible, ….je n’en dirai rien.
Un livre, qui partant de la Shoah qui fut l’un des événements majeurs de sa vie, évoque tous les autres événements qui jalonnèrent sa vie , toute la Mémoire d’Aharon Appenfeld, son lent cheminement, cette lente reconstruction, qui l’amenèrent à devenir un écrivain, un penseur Juif.
Une mémoire qui revient par bribes dans tous les chapitres en employant le plus souvent un cheminement historique, mais n’hésitant pas à croiser ou à superposer les époques, sans chronologie : « le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu’il pleut, qu’il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m’ont abrité longtemps. La mémoire, s’avère t-il, a des racines dans le corps. »
Être Juif aujourd’hui, être un écrivain Juif, c’est certes ne pas oublier, mais c’est aussi affronter d’autres enjeux. Ce fut, se heurter à tous ceux qui considéraient qu’on ne devait pas écrire de roman sur la Shoah, mais seulement témoigner. Ce fut aussi pour cet adolescent arrivant en Israël, découvrir et apprendre une nouvelle langue, l’Hébreu, devenir Israélien et se battre pour la construction et l’existence de cet État.
Il est arrivé sans connaitre cette nouvelle langue, il en connaissait quatre autres, il a adopté cette nouvelle culture qui se créait. Il écrit aujourd’hui et écrira pour défendre à la fois cette langue, cette culture cette identité juive israélienne qui est la sienne. « Je ne suis pas un écrivain de l’holocauste et je n’écris pas sur cela, j’écris sur les hommes juifs . »
« Histoire d’une vie » est la mémoire des combats de l’écrivain, mais aussi celle de tous ces survivants qui ont du se reconstruire, en silence, avec ce traumatisme, partie intégrante de leur personnalité, ce traumatisme qu’il les hante, et qui leur donne une philosophie de vie, un humanisme que nul autre ne peut avoir. Aharon Appenfeld m’a permis de découvrir ces autres écrivains ayant du affronter un parcours identique, parmi lesquels Yosef Agnon.
« Histoire d’une vie « donne un éclairage sur l’intégration de ces arrivants sur ces combats de pensée qui ont divisé Israël dans ses premières années
Ne pas oublier n’est pas ressasser ses souvenirs, mais en tenir compte dans sa vie, dans son comportement d’homme, dans son métier d’écrivain, de penseur, sont les messages que je retiendrai de cette lecture.
Je vais poursuivre la découverte de cet auteur
Quelques autres extraits pour mieux découvrir
La mémoire est fuyante et sélective, elle produit ce qu’elle choisit. [….]. La mémoire, tout comme le rêve, saisit dans le flux épais des événements certains détails, parfois si signifiants, les emmagasine et les fait remonter à la surface à un moment précis. Tout comme le rêve, la mémoire tente de donner aux événements une signification » (Préface P. 7)
« La lecture de la Torah sur la petite estrade m’apparaît comme un mystère à l’intérieur d’un mystère. A présent il me semble qu’à la fin du conciliabule les gens s’enfuiront et que je demeurerai seul, face à face avec Dieu qui réside dans l’arche sainte Quatre hommes entourent la Torah et s’adressent à elle comme si Dieu était dissimulé dans ces parchemins. Un instant je m’étonne que le Dieu si grand ait pu se contracter ainsi pour tenir sur cette estrade. » (P. 22)
« La situation empira de mois en mois. Au début il eut à se battre contre les voleurs et les brigands. Lorsqu’il s’avéra que les voleurs avaient pactisé avec les gendarmes, il se battit contre les gendarmes. Mais quand le préfet se joignit à ses adversaires, il n’eut d’autre solution que d’entasser les biens de sa maison dans un camion et de s’installer en ville. Il entreposa les meubles dans notre grand débarras et loua la propriété pour une bouchée de pain. » (P. 33)« Des gens qui hier encore étaient des habitués de la maison, des associés en qui l’on avait confiance, des amis de jeunesse, changèrent d’attitude, s’éloignèrent ou devinrent des ennemis. » (P. 41)
« Je ne parlerai pas du camp mais de la fuite, qui eut lieu à l’automne 1942, alors que j’avais 10 ans. » (P. 60)
« Après avoir été affamé pendant des jours, l’homme cesse d’avoir faim. » (P. 61)
« Sur les routes qui menaient au camp, et au camp, j’ai vu beaucoup de cadavres. Pourtant je refusais de considérer ma mort comme semblable à la leur. Le fantasme penche le plus souvent vers le sentimental et le sublime. Le Happy end n’est pas qu’une invention artistique, elle est ancrée, manifestement, dans l’esprit de l’homme. » (P. 74)
« Il y a avait des horreurs qu’on détaillait et d’autres dont personne n’osait parler. » (P. 80)
« Ce qui s’est gravé en moi de ces années-là, ce sont principalement des sensations physiques très fortes. Le besoin de manger du pain. Aujourd’hui encore je me réveille la nuit, affamé. Des rêves de faim et de soif se répètent chaque semaine. Je mange comme seuls mangent ceux qui ont eu faim un jour, avec un appétit étrange. » (P. 100)
« Pendant la guerre j’élevais la méfiance au rang d’un art. [….] Durant mes errances dans les champs et les forêts, j’ai appris à préférer la forêt au champ ouvert, l’écurie à la maison, le porteur d’une tare aux hommes sains, les hommes chassés de leur village aux soi-disant honnêtes propriétaires. » (P. 112)
« Les premiers mots de ma main furent des appels désespérés pour trouver le silence qui m’avait entouré pendant la guerre et pour le faire revenir vers moi. Avec le même sens que celui des aveugles, j’ai compris que dans ce silence était caché mon âme et que, si je parlais à le ressusciter peut-être que la parole juste me reviendrait. » (P. 116)
« À la fin des années cinquante, j’abandonnai l’ambition d’être un écrivain israélien et je m’efforçai d’être ce que j’étais vraiment : un migrant, un réfugié, un homme qui portait en lui l’enfant de la guerre, parlant avec difficulté et s’efforçant de raconter avec un minimum de mots. » (P. 135)
« ..il me fallut des années pour me libérer des érudits, de leur tutelle, de leur sourire supérieur, et revenir à mes amis fidèles qui savaient qu’un homme n’est rien d’autre qu’une pelote de faiblesses et de peurs. » (P. 170)
« Ils prétendaient que sur la Shoah, il n’y avait pas lieu de composer des poèmes, d’inventer des histoires, mais qu’il fallait évoquer des faits. Ces remarques qui contenaient une certaine vérité et aussi une dose de méchanceté, me blessaient, même si je savais qu’une longue route m’attendait, et que je n’en étais encore qu’au commencement » (P. 200)
« Il y avait aussi des procureurs qui affirmaient sans relâche que tout était de notre faute, la faute à notre caractère, et que si le monde entier était contre nous, cela signifiait que quelque chose de mauvais était en nous. La preuve : même un État et une armée ne nous avaient pas régénérés. » (P. 203)